Analyse – PSA et Mister-Auto, Michelin et Allopneus : l’ère des mariages de raison(s)…

Jean-Marc Pierret
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Mariages de raison

PSA n'a pas encore fini de gober Mister-Auto que Michelin vient s’adjuger 40% d’Allopneus : la “vieille économie” est en train de s’offrir les pure-players qui, hier, la démodaient pourtant cruellement... C'est l'histoire d’une reconquête annoncée : ces mariages de raison ont de solides raisons que la raison économique ne peut plus ignorer...

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Si nous voulions nous contenter de la surface des choses, nous aurions pu titrer : «la revanche de la vieille économie». Les rachats consécutifs de revisersavoiture.com par Michelin, de Mister-Auto.com par PSA puis à nouveau par Michelin du leader français du pneu en ligne Allopneus.com, sonnent en effet comme autant de contre-attaques victorieuses sur ces trublions de pure-players que sont les sites de ventes en ligne. Sortis de nulle part en quelques années, ces derniers sont venus, chacun à sa façon et chacun sur son marché, bousculer et parfois déstabiliser les habitudes commerciales et tarifaires d’un monde qui a historiquement crû sans Internet. Et qui a d’ailleurs tardé à vouloir y croire…

Mais ces mouvements de rachats qui s’ébauchent via ces deux géants industriels-commerçants sont beaucoup moins émotionnels qu’il n’y paraît. Ils sont en fait tout le contraire : ils sont diablement méthodiques et pragmatiques. Et s'ils peuvent paraître contre-nature à bien des professionnels, ces mariages sont avant tout des mariages de raison(s) pour les deux parties...

L'intérêt bien compris de tous

A y regarder de plus près, ces unions ne devraient d’ailleurs surprendre personne. D’abord parce qu’il est dans les gènes mêmes de ces “start up” de convoler à terme. Quels que soient les marchés que ces sites de ventes en ligne ont investis, leurs fondamentaux sont toujours les mêmes : croître rapidement, se rendre visibles autant par leur vitesse de développement que par leur capacité à bousculer l’ordre commercial établi ; puis se faire craindre pour mieux se valoriser… et se vendre. L’adage est vieux comme la guerre et ils l'ont fait leur : «si tu ne peux vaincre ton ennemi, embrasse-le». Visiblement, ils ont su susciter ce baiser qui scelle autant la paix que leur pay back....

Ne soyons pas hypocrites : leur naissance, leur croissance et leur maturation ont été paradoxalement utiles aux acteurs “classiques” des secteurs qu’ils ont pourtant parfois presque déstructurés. Trop vieux, trop institutionnalisés, trop policés, trop prisonniers de leurs séculaires stratégies marketing et commerciales, les industriels historiques n'auraient jamais su être les défricheurs du business internet.

Alors qu'il savaient le virage du e-business inévitable, les Michelin ou PSA −puisque ce sont eux qui font cette actualité− ne pouvaient en effet être ceux qui allaient initier la “révolution du e-commerce”. Mais une fois que des sites “fous furieux”, sans foi ni règle mais surtout sans passé, ont fini de bousculer les codes sur lesquels sont fondés les empires industriels en créant un nouveau marché, tout est devenu différent. Après s'être parfois déchirés, les ennemis commerciaux d'hier peuvent maintenant se retrouver autour d’un intérêt commun.

Pour PSA comme Michelin, des mariages logiques

L’intérêt des pure-players, on vient de l'évoquer : se faire racheter au bon moment. Plus ils grossissent, plus les coûts d’acquisition ou même de maintien de leurs parts de marché deviennent mécaniquement exponentiels. Leur business-model (croître grâce à des prix bas, mais dans l'ambiance incertaine de très faibles marges, elles-mêmes érodées par une inévitable mais coûteuse communication) a donc besoin de croissance constante, alors même que cette dernière ne peut grimper jusqu’au ciel. Toute la finesse manœuvrière consiste donc pour eux à faire converger au mieux l’apogée de leur développement (synonyme de valorisation maximum) avec la décision de leurs concurrents “traditionnels” de les racheter. Avant donc l’inéluctable “crise des ciseaux” générée par des coûts de fonctionnement qui deviennent vite mortifères si leurs parts de marché commencent à se stabiliser, voire à décroître.

Et justement, ce moment crucial semble venu : pour continuer à grandir, les sites de ventes en ligne empilent de plus en plus de gammes complémentaires ou tentent, avec plus ou moins de succès, l'internationalisation (que Michelin et PSA promettent d'ailleurs tous deux de financer pour Allopneus et d’accélérer pour Mister-Auto). Mais à périmètre constant, les sourires conquérants des “Terminator du Web” se sont déjà crispés...

L’intérêt des “vieux industriels” ? S’ils s’étaient lancés d’eux-mêmes dans le commerce internet, ils se seraient exposés à deux risques impensables : celui de rater une délicate conversion digitale qui n’est pas dans leur culture, tout en donnant l’impression de trahir leurs clients traditionnels, pour la plupart très remontés contre la concurrence tarifaire du web. Alors que venir maintenant racheter les acteurs de la vente en ligne –même cher–, c’est “tout bénéf’” : non seulement ils intègrent des équipes rompues aux mécanismes du e-commerce avec le chiffre d'affaires qu'elles génèrent, mais ils s’arrogent en prime l’image de “dompteurs” de ces chevaux fous mais devenus de toute façon incontournables (voir «Oscaro et consorts : moins dangereux qu’avant, mais plus incontournables…»).

Reste alors le plus simple : expliquer urbi et orbi qu’ils ont dû racheter ces sites pour les inscrire dans une complémentarité réussissant l'alchimie hier encore inimaginable entre business physique et business virtuel.C’est ce que fait Michelin avec Allopneus.com : le manufacturier a rappelé le lendemain même du rachat que, de toute façon, «72% des automobilistes utilisent internet pour l’achat des pneumatiques». Et au travers de son réseau “physique” Euromaster, Michelin a déjà une expérience “pneus toutes marques” qu'il va compléter sans grand choc culturel avec Allopneus.

C’est aussi ce que PSA laisse entendre ou en tout cas laisse dire à propos de son rachat de Mister-Auto.com. Ce dernier serait prochainement transmuté en relais international de croissance pour les pièces Eurorepar et en probable vitrine “web to store” captant des clients nouveaux pour les drainer vers ses réseaux de RA1 et RA2, voire même RA3… Ces derniers sont d’ailleurs tous mûrs, eux qui se désespèrent du recul actuel et surtout futur de leurs activités après-vente, en pièces comme en prestations (voir «Avenir de l’entretien-réparation : radieux pour les indépendants, odieux pour les RA1/RA2 ?»)…

De toute façon, les géants industriels n’ont plus guère le choix. Les sites repris leur permettent d’ouvrir enfin en grand la fenêtre derrière laquelle ils regardaient s'emballer le train du e-commerce sans pouvoir le prendre. Une fenêtre qu’ils n’ont souvent que prudemment entrebâillée par eux-mêmes, au travers de leurs très Corporate, souvent très coûteuses et rarement lucratives stratégies de réseaux sociaux. Par ces rachats résolument commerciaux, ils acceptent le péage qui leur ouvre enfin l’autoroute vers ces clients-internautes qui ont déserté, ou à tout le moins évitent quand c’est possible, les circuits de vente traditionnels qui restent le fonds de commerce de la “vieille économie”.

Malheur aux vieux garçons ?

Voilà pourquoi l’heure des reprises de pure-players par les vieux joueurs de l’économie a sonné. Voilà pourquoi les couples emblématiques que sont PSA/Mister-Auto et Michelin/Allopneus annoncent d’autres belles noces similaires.La pression va vite monter, car ces premiers accouplements donnent le coup d'envoi d'un frénétique jeu des chaises musicales. Les prétendants vont courir de plus en plus vite autour d’un cercle de pure-players de plus en plus petit, de peur de se retrouver à court terme sans chaise où asseoir la nécessaire hybridation internet de leurs stratégies commerciales “classique”. Une situation qui sera aussi difficile pour des sites sans riche séducteur que pour des industriels amputés d'un accès par alliance au e-business.

La course au mariage de raison va même –et peut-être surtout– s’imposer aux plus gros des sites de e-commerce. Allopneus, le pourtant patron indiscuté du pneu en ligne, vient de le prouver en cédant aux avances de Michelin. Oscaro, son homologue leader de la pièce, se pose-t-il la question ? S'endimanche-t-il, lui qui a corrigé récemment sa rentabilité, pour mieux séduire quelque beau parti ? Quel autre industriel lui fait-il déjà la cour, agacé par l'avance digitale que pourraient ainsi prendre PSA ou Michelin sur lui ?

En tout cas, leaders ou pas, les sites encore célibataires s'interrogent probablement sur la pérennité de leurs parts de marché, face aux épousailles de leurs concurrents richement dotés et potentiellement dopés par de puissants repreneurs gourmands de parts de marché internet.

L’avenir maintenant proche le dira : dans la série nuptiale qui s'annonce, malheur au dernier esseulé, même s’il est vrai qu’en toutes choses, le pire n’est jamais certain. Et qu'en matière de rapprochements d'entreprises aussi, mieux vaut parfois rester seul qu'être mal accompagné…

Jean-Marc Pierret
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