Kfzteile24/Carpardoo: l’humble mais ambitieuse offensive française

Jean-Marc Pierret
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A peine Oscaro rentré dans les rangs de la distribution dite traditionnelle, voilà que débarque en France le très sérieux, très crédible et très allemand site de vente de pièces en ligne Kfzteile24, sous les traits du tout nouveau Carpardoo. De quoi maintenir la pression hyper-concurrentielle qui caractérise la “pièce digitale” française. Et bousculer la hiérarchie des acteurs français du secteur...
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A peine Oscaro est-il redevenu sage, discret et besogneux sous l’égide de son repreneur PHE (voir «Oscaro bel et bien racheté par Bain Capital») qu’un nouveau trublion vient déjà bousculer les positions des trois leaders de la vente en ligne en France. Oscaro donc, Mister-auto et Yakarouler -et leur cortège de challengers- vont devoir compter avec un nouveau compétiteur. Et pas n’importe lequel : dans le cadre de sa très récente internationalisation, l’Allemand Kfzteile24.de vient de lancer son site hexagonal de vente de pièces en ligne. Pour l'occasion, il a opté pour le nom de Carpardoo.fr, une dénomination ronde et anglo-saxonne qui fleure bon la start-up aux ambitions planétaires.

Pas encore vendu, mais déjà international

Kfzteile24, c’est ce pure-player germanique qui, fort de ses 180 millions d’euros de CA et d'une belle réussite en moins de 20 ans outre-Rhin, est détenu par le fonds EQT Partners. Un fonds qui, il y a quelque temps, faisait le tour d’éventuels repreneurs dans plusieurs pays d’Europe pour voir s’il n’était pas temps de s’adjuger une belle plus-value (voir «La révélatrice mise en vente du site allemand KFZteile24»).

Mais peut-être aussi voulait-il juste se convaincre qu’il fallait donner à sa pépite allemande une stature internationale pour mieux encore la valoriser. Différer et développer pour plus gagner. Car s’il n’est apparemment toujours pas revendu, le site de vente de pièces en ligne s’est nettement mis en mouvement. Début 2018, il franchissait pour la première fois ses frontières en s’implantant dans l’Autriche voisine. Il s’est ensuite enhardi aux Pays-Bas en septembre, puis en France en novembre dernier. Son implantation polonaise est en cours et le Danemark constitue sa prochaine étape européenne assumée.

Se donner le temps d'apprendre le marché français
Romain Bridon, directeur France de Kfzteile24: «On ne peut pas commencer petit». Romain Bridon, directeur France de Kfzteile24: «On ne peut pas commencer petit».

Carpardoo vient donc d’officialiser sa naissance. Et avec une pragmatique logique toute germanique, nous démontre Romain Bridon, directeur France de Kfzteile24 GmbH. «Nous allons apprendre le marché français, ses règles et ses spécificités, au fil des mois, explique-t-il, en nous appuyant sur le million de références gérées par notre logistique basée en Allemagne». Parallèlement, le site approche et recrute de nouveaux équipementiers pour franciser au mieux les collections. «Nous complétons déjà nos gammes pour nous adapter toujours plus finement aux attentes des consommateurs français et de leur parc roulant constitué à 60% de véhicules PSA et Renault».

Revendiquer cette phase d'apprentissage est bien sûr une façon polie d’éclipser nos questions sur la stratégie envisagée, les moyens investis et les objectifs forcément volontaristes du tout jeune Carpardoo. «Laissez-nous 12 mois pour vous répondre, le temps d'avoir une vision complète des saisonnalités, de la bonne stratégie et du bon positionnement prix», évacue donc Romain Bridon.

Rester près de ses bases logistiques

Une chose est d'ores et déjà claire : Carpardoo ne veut pas rater son entrée en scène. A ce titre, le fait d’avoir choisi la France, les Pays-Bas, la Pologne et le Danemark n’est pas seulement une apparente façon de s’acclimater à des marchés du Nord, de l’Ouest et de l’Est européens pour mieux préparer une offensive plus largement continentale.

C'est d'abord pour l'heure une manière de s’appuyer sur sa rodée et performante logistique allemande. «Ce sont là des marchés limitrophes à l’Allemagne qui permettent d'utiliser nos compétences acquises sur notre marché natif», souligne Romain Bridon. En restant ainsi à portée de son rassurant schéma logistique, KfzTeile24 mise sur ses fondamentaux pour réussir au mieux ses nouvelles implantations.

Dans ce cadre, Carpardoo assume pleinement un délai de livraison annoncé entre 2 à 5 jours, quand ses concurrents français peuvent assurer du J+1. Même logique pour les frais de livraisons, fixés à 5,95 € quand d'autres font mieux, parfois jusqu'à la gratuité. Mais cette prudence n’exclura pas l'agilité, cette notion si consubstantielle à la digitalisation des entreprises et des stratégies. Il a bien l'intention de tirer tous les enseignements qui s'imposeront au fil du déploiement des ventes : «S'il nous faut chercher des relais de proximité pour répondre aux exigences de rapidité du marché, nous le ferons», rassure-t-il.

Une taille à la dimension du marché français

Cette humble mais néanmoins ambitieuse approche est-elle à la hauteur des concurrents français que Kfzteile24 vient défier ? Il n'ignore pas qu'en face, le Mister-Auto de PSA comme l'Oscaro de PHE disposent d'actionnaires et de moyens conséquents pour affronter le nouveau venu. Il n'en respecte pas moins Yakarouler.com, même si ce dernier n'a pas la même assise financière et commerciale. A l'inverse, les trois chefs de file français doivent sûrement déjà, eux aussi, considérer Carpardoo comme un challenger sérieux.

Car d'office, avec sa capacité d'achats induite par bientôt 200 M€ pour 500 salariés, Kfzteile24/Carpardoo montre des muscles que Romain Bridon ne cherche d'ailleurs pas à cacher :«On ne peut pas commencer petit, assène-t-il ; nous sommes convaincus que nous pourrons également satisfaire nos clients en dehors des frontières de notre berceau historique».

Une offre prix adaptée

Et même issu d'un marché allemand réputé moins agressif tarifairement parlant, Carpadoo dit ne pas avoir peur de devoir s'aligner. Pour les clients qui ne veulent que du prix, il affiche d'ailleurs d'ores et déjà une offre explicitement baptisée «Prix Canon». Elle s'adresse aux conducteurs de véhicules âgés qui veulent le meilleur rapport prix/qualité, une attente que Carpardoo se targue de pouvoir pleinement satisfaire. Là encore, en s'appuyant aussi sur sa crédibilité allemande, tant volumétrique que technique : «Nous disposons en Allemagne d'un centre d'essais qui nous permet de valider la qualité des produits, même de petits prix», explique Romain Bridon.

Et puisqu'il faut du prix, le pure-player exhibe sa séduisante promo printanière : 10% de remise complémentaire à toute commande passée avant le 25 avril 2019...

Croître tant qu'il y a croissance

Y a-t-il pour autant de la place pour un tel nouveau venu sur un marché français particulièrement concurrencé ? Puisqu'il dit s'appuyer sur des études de marché, Romain Bridon ne doit pas non plus ignorer les chiffres du cabinet d'études allemand 2HMForum. Ce dernier n'annonçait-il pas, à la toute récente réunion bruxelloise du Clepa que, pour de longues et bonnes années encore, le marché de la pièce en ligne va continuer de croître de 4 à 8% par an dans la plupart des pays d'Europe ?

Autre indice de la volonté de Carpardoo de ne pas rater son débarquement : le droit de rétractation de 100 jours proposé à ses clients français. Cela donne certes du temps à des particuliers qui constateraient l'inadéquation d'une commande livrée. Mais cette souplesse peut aussi ravir des clients pros et “semi-pros” (réparateurs-blackeurs et autres auto-entrepreneurs de semaine ou de week-end), susceptibles d'avoir besoin de stocks-tampons en quelques références à forte rotation, de pré-stoker avant de poser ou tout simplement de temps pour retourner des pièces inadaptées. Des clients stratégiques qui pèsent, à en croire Mister-Auto, 30 à 50% des ventes de la filiale digitale de PSA...

L'agressive guerre de positionnement-prix va continuer

Quant à savoir si Carpardoo déploiera ou non une stratégie de centres de montage, même réponse prudente de Romain Bridon qui ne veut rien révéler, mais sans toutefois insulter l'avenir : ce sera le marché et ses exigences qui commanderont...

Voilà qui nous fait en tout cas mentir, nous qui pensions pouvoir prédire que la récente “traditionnalisation” d'un Oscaro repris par un acteur classique comme PHE allait calmer la guerre des prix qui décime depuis si longtemps les marges de la pièce digitale française. Un nouveau venu aussi crédible que Kfzteile24 va plus probablement entretenir cette interminable guerre des dépositionnements tarifaires qui n'enchante pourtant pas les acteurs français de la pièce en ligne...

Jean-Marc Pierret
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