D. Stempfel, Syndicat du Pneu : « Nous devons renforcer nos liens avec d’autres organisations »

, mis à jour le 19/06/2025 à 18h01
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Dominique Stempfel

Déferlement de pneus asiatiques à bas coût et premium déstabilisé, loi anti-dumping et bipolarisation du marché… Dominique Stempfel dessine une filière du pneu chahutée, renforçant d’autant les missions du syndicat qu’il préside depuis cinq ans et l’idée de consolider toutes les forces en présence pour défendre les pros. 

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Zepros : Votre visite en mai dernier dans les allées d’Autopromotec vous a « choqué ». Pourquoi ?

Dominique Stempfel : Je m’attendais à voir beaucoup de marques chinoises, mais pas à ce point ! Elles occupaient la majeure partie de l’espace dédié au pneumatique. Mais ce qui m’a vraiment choqué, c’est l’absence des manufacturiers majeurs ! Une situation qui ressemble à une absence de résistance et à une invitation vers ces marques à investir plus encore le marché européen.

Le Village du Pneu sur Equip Auto Paris, en octobre prochain, sera-t-il le contre-balancier de ce raz-de-marée asiatique ?

Il est essentiel de répondre à la demande de chaque automobiliste et de construire une offre à tous les niveaux de prix. Le Village du Pneu sera le reflet du marché et des acteurs de tous les segments seront présents. Mais nous voulons montrer que même si les technologies paraissent abouties, des progrès sont encore réalisés. Nous allons mettre en évidence la digitalisation du pneu et de sa maintenance, afin d'inciter les acteurs de l’après-vente automobile à se préparer à cette révolution, à se former et à s’équiper.

Donc, les manufacturiers jouent le jeu du salon français ?

Malheureusement pas tous, comme à Autopromotec. Heureusement, certains ont compris l’opportunité qui leur est donnée de mettre en évidence leur avance technologique et l’intérêt de leur offre auprès d’un visitorat d’acteurs qui commercialisent régulièrement des pneus… mais aussi d’acteurs qui manifestent un intérêt nouveau pour ce marché.

Le pneu premium est-il définitivement perdu pour les manufacturiers, dans un contexte de recherche de produits à bas coût par le consommateur ?

Sur un marché historiquement orienté vers les pneumatiques premium, leur part est descendue pour la première fois au-dessous de 50 %, alors que la part des pneumatiques budget approche les 25 %. Le budget serré des automobilistes les pousse à acheter des pneus toujours moins chers, uniquement pour se mettre en conformité avec le Code de la route, sans autre préoccupation. Le marché se bipolarise car il y aura toujours des automobilistes qui choisiront des pneus qui leur assureront une sécurité et une longévité optimales. Mais les manufacturiers premium doivent veiller à ne pas mettre la barre trop haut : les affinements technologiques ont un coût qui contribue à renchérir le prix des pneus et à les mettre hors de portée de certains foyers. 

Il a fallu arriver à une situation dramatique pour que la Commission européenne ouvre une enquête antidumping ! 

« Pour ou contre » l’instauration de taxes douanières sur le pneumatique ?

Il est impératif de disposer d’une offre budget pour couvrir tout le marché. Mais on ne peut pas oublier que depuis quinze ans, six usines majeures ont fermé en France et plus de 6000 emplois détruits. Il a fallu en arriver à cette situation dramatique pour que la Commission européenne ouvre une enquête antidumping ! Les premières études montrent que le prix de certains pneus fabriqués en Chine sont inférieurs au prix des intrants. Ce qui est inacceptable et justifie la mise en place de taxes pour rétablir un niveau concurrentiel équitable. J’ajoute qu’il faut prendre conscience d’une nouvelle menace : certains pneus premier prix peuvent s’avérer très dangereux, comme le démontrent les essais comparatifs du Touring Club Suisse. La différence de distance de freinage sur chaussée mouillée à 80 km/h entre un pneu premium et un mauvais pneu chinois est de 17 mètres, soit la longueur d’une semi-remorque. C’est terrifiant ! Les importateurs doivent faire preuve de bon sens, en testant et en sélectionnant les produits qui offrent le meilleur rapport prix-sécurité. Je pense qu’un renforcement des seuils de sécurité est indispensable, pour ne mettre sur la route que des pneus qui assurent la sécurité des utilisateurs.

Il faut des « Hommes de l’Art » pour réparer le pneu, mais aussi pour le vendre et avoir la connaissance pointue. Cette expertise existe-t-elle dans les forces de vente ?

Les manufacturiers ont un rôle crucial à jouer et leur force de vente doit transmettre les bons arguments aux revendeurs. Quelques-uns m’ont indiqué que la qualité de la force de vente des manufacturiers avait baissé. Mais je rencontre des vendeurs formidablement passionnés à la fois par le commerce et par leur produit. La partie n’est donc pas perdue, mais les manufacturiers doivent être vigilants et exigeants, et ne pas oublier que leur force de vente est un rempart contre la banalisation du produit. Tous les acteurs ont un rôle à jouer pour ne pas banaliser le pneu, qui doit être considéré comme un produit hautement technologique, essentiel pour la sécurité sur la route. Les revendeurs disposent d’un extraordinaire arsenal d’arguments qui leur permet de proposer et de vendre au prix juste, à chaque automobiliste, le produit qui correspond le mieux à son usage. Mais cela demande plus d’efforts et de temps que de vendre uniquement un prix. 

La réglementation RDUE est une patate chaude.

La puce RFID – poussée par l’association GDSO, Michelin en tête – va-t-elle exploser et nettoyer le marché de certains acteurs qui ne jouent pas les règles européennes ?

La puce RFID va se généraliser, c’est une évidence. Elle est peu coûteuse et les acteurs de tous les niveaux devront légalement intégrer ce passeport numérique à leur production. Ce n’est donc pas un rempart. Mais elle va rendre d’inestimables services aux acteurs de la filière, à tous les niveaux : logistique, maintenance, gestion des parcs et tri en fin de vie. 

Que pensez-vous de la réglementation RDUE ?

C’est une véritable patate chaude… Il faut rappeler qu’elle ne concerne pas que les pneus, mais globalement tous les produits issus de la forêt, y compris ceux qui sont destinés à l’alimentation. Aujourd’hui, les pouvoirs publics européens qui ont inventé cette réglementation se rendent à l’évidence : elle est ingérable en l’état et doit être aménagée et simplifiée. Concernant notre filière, ils imposent sans cesse aux manufacturiers des contraintes nouvelles. Les grands manufacturiers réussissent parfaitement à intégrer ces normes pour améliorer la sécurité, la durabilité et l’écoresponsabilité de leurs produits. Mais elles contribuent à renchérir significativement le prix des pneus, avec une conséquence collatérale : s’appliquer à être bon élève favorise l’entrée sur notre marché d’acteurs moins respectueux de ces impératifs.

Quels sont les dangers qui menacent la filière du pneumatique en France, thème de vos septièmes Rencontres du Pneu ?

Nous sommes confrontés à un cumul d’événements concomitants qui complique la vie de la filière : un marché en berne, les difficultés budgétaires des automobilistes, une pression réglementaire toujours plus pesante… Il faut être conscient que dans les années à venir le marché sera au mieux stable, et que l’arrivée sur le marché des véhicules électriques va progressivement modifier l’équilibre de l’après-vente auto. La diminution des opérations mécaniques sur l’électrique aura une conséquence sur la fréquentation des points de service. Le pneumatique est en passe de devenir la première raison d’entrée atelier et sera un excellent moyen de conforter les marges. Ce qui explique que de nouveaux acteurs s’intéressent à ce marché. La concurrence sera forcément plus féroce… et ces nouveaux acteurs ne pourront travailler qu’en prenant des parts de marché aux acteurs installés. Nous devons militer pour qu’ils travaillent dans les règles de l’art, en informant et en conseillant au mieux leurs clients.

Y-a- t-il encore de la place pour l’entrepreneuriat en France ?

Oui, sans aucun doute. Les réseaux continuent à recruter de nouveaux adhérents sans aller les chercher chez leurs concurrents directs. Et de nouveaux acteurs s’intéressent au pneumatique. Manifestement et heureusement, le pneumatique interpelle des personnes qui veulent entreprendre. Et ceux qui viennent d’univers différents arrivent avec une approche nouvelle. Dans le même temps, les nouvelles générations prennent la relève et font évoluer les entreprises créées par leurs aïeuls. Ce sont ces profils novateurs et ces idées novatrices que nous voulons mettre en avant dans les Ze Awards du Pneu et de l’Innovation. Cette année, nous avons reçu de très beaux dossiers et les délibérations du jury ont fait l’objet de débats animés. On aurait même pu distribuer plus de prix et à mon avis, certains dossiers mériteront d’être représentés dans les prochaines années.

Nous serons plus forts en parlant d’une seule voix !

Pourquoi un Livre Blanc édité par le Syndicat ?

Le Syndicat du Pneu soutient toutes les actions écoresponsables. Réparer un pneu qui a subi une avarie est doublement vertueux. Pour l’utilisateur, c’est moins coûteux que de racheter un pneu neuf, et même éventuellement deux. Et ça permet d’économiser la matière première nécessaire à la fabrication de pneus neufs. Cette démarche s’inscrit parfaitement dans la loi AGEC. Mais les réparations ne doivent pas être dangereuses. Elles doivent être faites après un examen minutieux par des professionnels expérimentés, dans les règles de l’art. C’est pourquoi nous avons édité ce guide des bonnes pratiques à l’attention des spécialistes du pneu, mais également d’acteurs périphériques concernés par la sécurité sur la route, qui peuvent aisément le télécharger en se connectant sur notre site www.syndicatdupneu.org. 

L’union fait la force, dit-on. Peut-on imaginer un soutien mutuel entre le Syndicat du Pneu et une autre structure pour aller plus loin dans la défense des métiers du pneu ?

Nous devons renforcer nos liens avec d’autres organisations dans ce contexte autophobe et face aux réglementations qui contraignent à l’excès les métiers de l’automobile ! Nous serons plus forts en parlant d’une seule voix. Le Syndicat du Pneu bénéficie du savoir-faire de l’ensemble de la filière avec les manufacturiers, fait de la veille réglementaire, connait parfaitement le produit et le marché et travaille avec les éco-organismes. Nous pouvons être utiles à l’ensemble des acteurs qui vendent et montent des pneus, avec deux objectifs : contribuer à améliorer la sécurité sur la route et préserver notre planète.

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