Les agents toujours dans la cible des enseignes multimarques

Muriel Blancheton
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Courtisés par les enseignes multimarques, les agents ont le choix du roi. Fiers de leur image, difficiles à séduire, l’option du multimarquisme se réveille quand la relation avec leur concessionnaire se durcit. Charge aux groupements d’affûter leurs armes pour les convaincre de basculer…

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Sur les 6000 agents de marque en France* recensés avec leurs 7352 points de service, combien affichent aussi un panneau de réparation multimarque ? Combien ont même franchi le Rubicon pour devenir MRA sous réseau indépendant ? Difficile de donner un volume précis quand cette frange du marché s’érode annuellement de 300 points de service depuis quatre ans par cession, transmission voire liquidation. N’empêche, l’opération séduction des enseignes indépendantes s’accélère depuis dix ans. Elles savent qu’elles vont intégrer une structure bien implantée dans sa zone de chalandise, avec une organisation et des compétences en place, de l’équipement, des techniciens rompus aux dernières technologies… « L’agent joue le rôle d’ambassadeur vers et pour le réseau multimarque ! C’est plus économique, avec une performance immédiate ! Pour autant, peu d’agents Citroën franchissent le pas », avoue Denis Baeza, président du groupement d’agents de la marque aux chevrons. Chez les agents du Lion, la sentence est la même peu ou prou. « Je suis agent Peugeot au sein du groupe Emil Frey, mais je suis Axial pour la carrosserie, comme d’autres sont carrossiers AD. Historiquement, le constructeur avait peu bougé sur cette activité, d’où la tentation de prendre un panneau indépendant, mais uniquement sur ce segment ! Et si d’autres sont Eurorepar Car Service, ils restent dans le groupe Stellantis. Car le constructeur apprécie peu que l’on aille voir ailleurs », souligne Florence Gète, présidente du groupement des agents Peugeot. Pourtant, ils existent bien ces agents investisseurs qui installent des panneaux multimarques indépendants ! Leur philosophie : être multi-métiers et multispécialistes, donc multi-panneaux pour fidéliser le client, avec le spectre des entrées atelier qui devraient diminuer au fur et à mesure que le parc électrifié croît.

« La croissance de nos réseaux démontre l’attractivité de nos distributeurs », indique Vincent Congnet, directeur des réseaux VL AAG. Le groupement met le paquet pour rassurer des pros inquiets de perdre leur clientèle en rejoignant une enseigne multimarque. En règle générale, ils en conservent une grande partie et élargissent même leur portefeuille clients selon les groupements (15 %). « Ils voient également la rentabilité de leur entreprise progresser, de 1 à 5 % du résultat net, par la seule réduction des dépenses qu’exige leur appartenance au réseau (garanties, standards…) », indiquait déjà V. Congnet en 2017. Plus en amont encore, dès 2010, ces agents étaient aussi dans le viseur de l’Autodistribution. Le groupe organisait alors des soirées de présentation (jusqu’à 300 agents rencontrés sur 4000 prospects) en brandissant les opportunités du panneau AD Expert et les avantages de la vente VN/VO multimarque, la réparation avec Diag’issimo… le tout au moment de la résiliation des contrats avec PSA. Ironie de l’histoire ? La rupture actuelle des contrats avec les RA2 de Stellantis pourrait bien refaire le lit de ces enseignes indépendantes qui ne lâcheront pas une si belle cible !

*2365 agents Renault, 1607 Peugeot, 1273 Citroën, 400 Ford, 154 Fiat, 94 Opel, 23 Toyota, 32 Volkswagen, 38 DS, 11 SEAT.

RÉSEAUX MULTIMARQUES

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Les agents sont alléchants

Biberonnés à la culture réseau des constructeurs, les agents sont fantasmés comme les meilleurs soldats possibles : strict respect des chartes graphiques, importants utilisateurs de l’ensemble des services mis à leur disposition, pointus techniquement car intervenant sur un parc de véhicules plus récent… Pour autant, les têtes de réseaux réussissent-elles à attirer ces pros ?

AAG revendique une « quasi moitié » de ses adhérents étant des ex-agents reconvertis au multimarquisme. Florence Galisson, directrice des réseaux marketing, explique : « Ils gagnent en souplesse et s’ouvrent au multimarque, tout en restant dans un réseau national. » Chez Autodistribution, la proportion est quasi-identique, estimée à 40%. « Chaque année, nous accueillons vingt à vingt-cinq RA2 au sein de notre réseau AD », rappelle Eddy Albert, responsable national des réseaux mécaniques VL du groupement. Même proportion chez Bosch Car Service. « Les agents – qu’ils tombent ou non le panneau constructeur – représentent un nouvel adhérent sur deux. Il s’agit de professionnels exigeants en termes de services et d’accompagnement, mais qui viennent dans un réseau multimarque pour retrouver plus de flexibilité. Comme pour retrouver leur liberté de chef d’entreprise », confirme Jérôme Magloire, concept manager chez Bosch. Si la proportion est moindre, le phénomène n’est pas aussi visible chez Technicar Services puisque sur les seize nouveaux entrants au sein du réseau, « trois sont effectivement des ex-agents », confirme Sandra Henric, responsable du réseau.

Bientôt les RA1 ?

Depuis quelques temps, les concessionnaires suscitent également l’intérêt des têtes de réseaux multimarques ! Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène. Cette population se heurte aux mêmes interrogations que les agents sur leur avenir à l’aube de probables résiliations de contrat, en vue du nouveau règlement européen. Ensuite, leurs business models mutent : Volvo a ainsi récemment annoncé qu’il allait vendre ses modèles électriques exclusivement sur le Web. De quoi faire réfléchir les distributeurs sur leur futur. Tandis que d’autres ont déjà franchi le pas. Deux anciens Ford viennent ainsi de rejoindre l’Autodistribution pour passer AD Expert. Le premier à Mantes-la-Jolie (78). Le second à Châteaubernard près de Cognac (16), après trente-cinq ans de mariage… mais trois ans de négociation avec AD Talbot. « Nous, les “petits” concessionnaires indépendants, sommes devenus des pions appelés dans le meilleur des cas à être rachetés par des groupes, et plus probablement à disparaître », constate ainsi le patron Christian Cellier en montrant du doigt l’intérêt croissant des concédants pour les ventes en ligne.

Jérémie Morvan

Redevenir le patron de sa boîte

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Qu’il soit RA2 doublé d’un panneau multimarque ou 100 % RA3, l’agent n’aspire qu’à retrouver son rôle de réparateur indépendant. Une fois acté le changement de culture, rassuré sur la conservation de sa clientèle et l’ouverture du parc roulant, le dirigeant prend le contrôle de son destin. Exemples.

Marescal : 100% indépendant avec trois panneaux

Le garage Marescal, basé en Basse-Normandie, souhaitait « devenir indépendant et surtout multimarque pour proposer encore plus de services ! » C’est chose faite depuis mai 2020. Ludovic Renaude a descendu son panneau Opel accroché depuis toujours pour le remplacer par ceux d’AAG (Top Garage, Top Carrosserie et Top Classic). Il emploie cinq collaborateurs pour un CA de 873 000 € en 2020 et a déjà réalisé des travaux conséquents pour créer une carrosserie – nouvelle prestation – et modifier l’accueil. Il revêt l’habit d’ambassadeur avec le suivi des cinq campagnes marketing annuelles et « joue le jeu à 100 % avec la mise aux couleurs (vêtements, véhicules logotypés, drapeaux, papeterie…) ». Sa notoriété et sa proximité font le reste sur une clientèle qu’il n’a pas perdu, voire même enrichi avec trois nouveaux panneaux.

Dubourg Auto prend le meilleur des deux mondes

Le garage de Tresses (33) a conservé le panneau d’agent Fiat mais descendu celui d’Opel, détenu pendant quarante-cinq ans, et est passé Précisium il y a trois ans. Fini les journées portes ouvertes peu rentables, place à l’entretien multimarque. « 60 à 70 % de nos entrées atelier sont hors entretien actuellement (65 % en VN/VO sur un CA de 1,5 M€) », indique David Dubourg. Il donne une carte valable douze mois à chaque client en offrant 25 % de remise sur la filtration et l’huile. Il a réduit ses intermédiaires en VO et travaille avec Delta Car en VN. « Nous essayons de combiner notre vision et celle de nos réseaux Fiat et Précisium. Nous n’adhérons pas systématiquement aux préconisations des deux. Nous les accommodons plus souvent « à notre sauce », car toutes les idées sont bonnes à prendre ! » Les projets ne manquent pas : habilitation VE, investissement dans l’outillage PL pour le développement de l’activité camping-cars et utilitaires…

MV-Guerraz Automobile : l’agent concentrateur

Vincenzo Maiorana cumule quatre enseignes sur deux affaires séparées de quatre kilomètres autour d’Archamps (74) : un garage Fiat/Top Garage depuis 2011 et un garage Ford/Bosch Car Service depuis 2016. Objectif : concentrer les clients chez lui en leur proposant « un panel complet de compétences, du camping-car avec Fiat aux utilitaires en passant par la carrosserie et la vente VN/VO ». Ainsi, sur un CA de 1,6 M€, 50 % provient de la réparation, 15 % de la carrosserie, 10 % de la vente VN/VO et 25 % du dépannage. MV-Guerraz Automobile organise des journées portes ouvertes pour le VN avec Ford et Fiat et suit les campagnes marketing de Top Garage (avec Durand Services) et Bosch Car Service. « Adhérer aux réseaux multimarques me permet d’échanger les bonnes pratiques avec d’autres patrons, avec différentes tailles d’entreprises et des visions différentes. Mes concurrents sont aussi des agents, mais ils ne proposent pas autant de service que moi ! »

Muriel Blancheton
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