Stellantis : concessionnaires résiliés, pas résignés
Tous les concessionnaires européens des réseaux Peugeot, Citroën, DS, Fiat, Opel… vont être individuellement reçu par le groupe franco-américano-allemand d’ici juillet pour savoir s’ils font partie de l’aventure Stellantis. Le groupe, concentrateur de quatorze marques et détenteur de 23,6 % de parts de marché, a résilié tous ses contrats de distribution européens. Une refonte d’un modèle qu’il considère obsolète. Dans tous les sens du terme.
De manière abrupte, le groupe Stellantis a cassé sine die les contrats de distribution de ses réseaux de marques en Europe au 31 mai 2021, hors filiales, avec un préavis de deux ans. Le constructeur veut « un modèle de distribution multimarque durable en appui d’un réseau performant, efficace et optimisé ». Cette direction est la même déjà prise par Volkswagen et BMW en 2018, portée par les mêmes raisons : gammes électrifiées à marche forcée, clients hyper-digitalisés et nouveau cadre réglementaire, modifiant les contrats et les normes de distribution. « Les concessionnaires disposeront d'un nouveau modèle d'entreprise efficace, optimiseront leurs coûts de distribution, offriront des services commerciaux supplémentaires, gammes de produits, solutions de financement et de mobilité... »
Derrière ces termes assez clairs se profile pour les concessionnaires européens dont 2000 points de services français un nouveau destin. Sous réserve d’avoir été adoubés « sur la base de critères et de facteurs clés objectifs », ils devront s’engager pour assurer le développement des activités de vente et d’après-vente « en mettant l’accent sur une satisfaction client de haut niveau ». Car en 2023, il y aura bien un nouveau réseau de distribution Stellantis. D’une part, parce que la fusion de PSA avec Fiat Chrysler signée en 2019 et actée début 2021 a créé deux réseaux de distribution avec des doublons naturels (non quantifiés). Ensuite, parce qu’il faut répondre au nouveau règlement d’exemption européen qui régira d’ici deux ans les relations entre les fournisseurs et leurs réseaux. Un règlement qui semble-t-il donne beaucoup plus de liberté aux marques pour réorganiser leur réseau en supprimant les fameux doublons, voire en augmentant le nombre de marques vendues dans certains showrooms.
A la recherche de l’efficacité
En attendant, les investisseurs vont être reçus individuellement par Stellantis d’ici le 15 juillet. Ils sauront à cette date dans quelle case ils sont rangés : les performants renouvelés automatiquement , les moyens qui devront fournir un plan d’action pour prouver qu’ils peuvent retrouver de la performance… et les derniers jugés trop petits et qui ne seront pas reconduits. Ce que nous confirment à couvert, des distributeurs. « C’est une surprise dans la rapidité de l’annonce, mais nous savions depuis un an que Stellantis allait résilier l’ensemble des contrats en Europe et les retravailler selon plusieurs critères : taille de l’affaire, parts de marché, chiffre d’affaires, pénétration locale, proximité… », indique ce patron de concessions Peugeot qui estime qu’il n’est pas « anormal de réorganiser sa distribution pour un groupe de cette taille. Si ces rendez-vous individuels ne se transforment pas en entretien préalable au licenciement, je pense que cela peut être intéressant ! Mais les sous-performants ont en effet du souci à se faire. »
Selon diverses sources, le réseau Peugeot est à 1,3 % de rentabilité en moyenne (0,12 % pour FCA). Les coûts de commercialisation sont environ de 30% comprenant les remises et tous les efforts consentis au client. A ne pas confondre d’ailleurs avec les coûts de distribution qui sont soumis à des marges variables mais qui n’atteignent pas ce montant. « Stellantis a peut-être vu que les performances n’étaient pas forcément du côté des grands groupes qui ont eu des compulsions d’achat frénétiques pour grossir et faire des cathédrales. Il y a un compromis à mettre en place », indique cet autre entrepreneur local. Alors est-ce encore rentable d’être concessionnaire aujourd’hui ? « Oui. Pourquoi cela ne le serait-il pas ? Dans tous les cas, il doit le devenir. Une concession reste incontournable dans le schéma de distribution. Chacun a encore sa place », plaide cet autre opérateur, qui espère visiblement faire partie du voyage Stellantis.
Accélération sur le digital
Et si la pandémie n’a rien à voir avec un process déjà testé et largement approuvé par tous les constructeurs, elle a donné un coup d’accélérateur à la digitalisation de l’achat des véhicules, ne serait-ce que pour court-circuiter les pure players en pleine essor pendant que les concessions étaient administrativement fermées. La vente 100 % en ligne a indubitablement fait voler en éclat les derniers freins à la vente directe tant rêvée par les marques. Un canal margeur et capteur de clients, sans passer par la case concessionnaire. Et si ce chemin devait être encore plus largement ouvert, on peut se demander quel distributeur acceptera de ne plus assurer que le stockage avant livraison et la mise en main d’un véhicule qu’il n’aura pas vendu. Sujet épidermique… « C’est oublier nos investissements pour respecter les standards, nos charges fixes, nos structures... Nous devenons des logisticiens », constate amer ce concessionnaire représentant les marques Peugeot, Citroën, DS Automobiles, Seat et Toyota. D’autant que pour l’heure, les constructeurs leur confient cette gestion du dernier kilomètre au prix de 400 € par véhicule, prélevés sur la marge. Serait-ce alors un moyen pour les concessionnaires de recapter au moins le client en SAV et gonfler leurs marges sur ce segment ? Pas si sûr avec l’électrification galopante du parc. Cette mutation vers des modèles à batterie nécessite moins de besoin en révision et en entretien et donc moins de points de service.
Christophe Maurel, président de la branche VP du CNPA
« Ayons du recul sur cette annonce. L’émotion et le remous créés sont dus à une communication du constructeur assez abrupte, dont acte. Mais les réseaux savaient que les contrats devraient être révisés dans le cadre du nouveau règlement. Et nous sommes face à un constructeur en pleine réforme suite à sa fusion avec FCA, un groupe multimarque avec un réseau multimarque. La remise à plat des contrats VP étaient donc programmés. C’est d’ailleurs ce qu’il a déjà fait avec ses contrats VUL il y a quelques semaines, sans provoquer de tollé. Nous sommes dans un cadre juridique parfaitement légal avec deux ans de préavis. Nous rentrons en négociation à ce stade, et personne ne peut dire comment les choses évolueront. Tout redémarrera en juin 2023. Nous avons deux ans qui seront animés.
Concernent le cadre réglementaire, nous sommes dans un dispositif très technique, avec un nouveau règlement en cours de rédaction, après une consultation par la Commission Européenne sur la relation constructeurs et distributeurs, clôturée en mars dernier. Nous, en tant que représentants des concessionnaires, nous souhaitons la poursuite d’un règlement d’exemption, tout comme les constructeurs d’ailleurs, à quelques écarts près. Il devrait être prêt début 2022, ce qui suppose un dossier automobile assez lourd que la France, en tant que prochaine présidente de l’Union Européenne, devra porter avec d’autres comme la Norme Euro 7, Green Deal… »