Oscaro: Pierre-Noël Luiggi ou le Zorro de la pièce auto

Jérémie Morvan
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Le désormais célèbre site marchand de pièces détachées automobile a fait l’objet d’un reportage dans l’émission Capital, diffusée dimanche dernier sur la chaîne M6. Ou comment son patron, Pierre-Noel Luiggi, en vengeur démasqué, pourfend les prix hauts… et va s’attaquer au monopole des pièces de carrosserie !
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On ne présente plus Oscaro.com. Trublion de la distribution de pièces de rechange automobile depuis maintenant 10 ans sur la toile, il a braqué sur lui les projecteurs en allant au bras de fer avec le plus grand équipementier mondial, Bosch (cliquez ici), lequel l’avait emmené devant les tribunaux. Il faut dire que, pour les professionnels de la réparation, cet empêcheur de marger en rond qu'est Oscaro affiche depuis sa naissance des prix ahurissants, circuit court oblige. Des prix contre lesquels la distribution traditionnelle ne peut pas s’aligner. Ils font le bonheur des do-iteurs internautes qui ont déserté en partie les linéaires des centres auto et les comptoirs des grossistes pour la tranquille chasse à la pièce devant l’ordinateur...Oscaro revient aujourd’hui sur le devant de la scène avec un reportage qui lui a été consacré dans l’émission phare du dimanche soir sur M6, Capital. Et qui le consacre roi du pouvoir d’achat. Ayant pour thème «Nouveaux produits low cost, arnaques ou bonnes affaires ?», l’émission de dimanche dernier entendait passer en revue un panel de secteurs où le low cost a fait son entrée. Après la chaussure ou la nourriture, il se conclut par l’entretien-réparation automobile. Avec un reportage intitulé «Pièces auto ; l’homme qui fait baisser les factures», on allait voir ce qu’on allait voir…Le réseau constructeur définitivement trop cher!Thomas Sotto, le présentateur de l’émission, n’y va d’ailleurs pas avec le dos de la cuillère lorsqu’il présente le reportage réalisé par François Xavier Dupouy : «Monsieur Oscaro est en train de révolutionner le monde de la pièce détachée de voiture».A travers ce voyage au pays de la pièce de rechange, le téléspectateur est vite mis en situation de comprendre à quel point Oscaro œuvre pour son porte-monnaie. Son fondateur, Pierre-Noël Luiggi se présente dès les premières secondes du reportage comme le «leader mondial de la vente de pièces auto sur internet». Le journaliste aurait peut-être mieux fait de surfer ne serait-ce que quelques secondes sur la toile pour découvrir quelques sites, russes ou américains, qui culminent parfois à 700 millions de dollars, soit le double des 340 millions fièrement exhibés par Oscaro…Premier exemple des bienfaits d’Oscaro avec cet artisan taxi à la recherche d’un d’embrayage neuf et d’un jeu de plaquettes de frein avant pour son Opel Astra. Chez le concessionnaire, le devis atteint un peu plus de 3 000€ (pièces et main d’œuvre), dont plus de 2 000€ uniquement pour les pièces! Contre-offre du site Oscaro : 857 € en pièces…oscaro plaquettes identiques_netLa caméra suit maintenant Pierre-Noël Luiggi, ce Bastiais fondateur du site n°1 en Europe donc (c’est déjà bien !), parti quérir une pièce de rechange chez un distributeur de la région parisienne. C’est Franck Pelletier, P-dg de la plateforme Autoreserve (membre de S'Energie) et l’un des fournisseurs majeurs d’Oscaro, qui l’accueille en personne. Tout deux s’en vont comparer une plaquette de frein d’origine constructeur (PSA) à 60 € dont ils trouvent l’équivalence chez Bendix à 20 €. Pour la petite histoire, la pièce Bendix «visiblement identique» selon le reportage est surtout visiblement chanfreinée et pas l’autre. Mais bon, l’approximation ne nuit pas à la démonstration, puisque le chanfrein  la rend même plus confortable en termes de bruits et de vibrations : CQFD donc.Les vilains équipementiersMais la voix off a préalablement souligné que tout n’a pas été simple pour le pourfendeur de prix chers. Le combat du patron-visionnaire a été à la hauteur de sa farouche volonté de défricheur de marché pour servir l’intérêt suprême du consommateur.oscaro equipementier_netOn apprend ainsi dans le reportage que ces méchants équipementiers, à la botte des constructeurs, ne veulent pas vendre au Zorro du pouvoir d’achat… Le bref graphique présenté, qui met en scène quelques uns de ces "méchants" fournisseurs de la première monte  (Bendix, Valeo, Monroe, Bosch…), va en énerver certains et en faire rire d’autres. Car même si ces résistances ont été réelles, c’est oublier là encore un peu vite que plusieurs équipementiers traitent aujourd’hui en direct avec le site marchand (certains ne s’en cachent d’ailleurs plus vraiment) ou que Bosch, en l’occurrence en procès avec lui, ne peut l’empêcher de s’approvisionner librement…Mais surprise : voilà que le reportage souligne que Pierre Noël Luiggi n’a pas pensé à tout ni tout réformé ! Le journaliste précise que l’achat de pièces chez Oscaro présuppose que l’on monte soi-même les pièces, «ce qui n’est pas à la portée de tous». S’ensuit alors une brève incartade sur le site Yakarouler, qui propose, lui, des partenaires centres de montage en complément de l’achat de pièces sur la toile, puis une visite chez l’un de ces centres (pour la petite histoire il s’agit en fait de l’ancien atelier que Yakarouler possédait en propre à Villeneuve-le-Roi et repris aujourd’hui par Auto Tom 94…). Le réparateur se félicite de l’impact du partenariat internet/atelier et la cliente repart guillerette avec sa belle auto.A l’assaut du monopoleMais revoilà déjà Oscaro. Et qu’on se rassure immédiatement : si son patron n’a pas choisi l’option des centres de montage, c’est d’abord parce qu’il concentre toute son énergie vers son prochain défi. Car le téméraire Pierre-Noël Luiggi entend s’attaquer à un géant : le dernier bastion défendu par nos constructeurs nationaux, à savoir leur monopole sur les pièces de carrosserie.Le journaliste explique en effet qu’«ils (les constructeurs) continuent de contrôler les prix de vente de ces pièces, ce qui conduit à des situations aberrantes»… Le reportage n’oublie d’ailleurs pas de revenir sur l’un des petits spots vidéo créés par la marque au Losange et visibles sur le site internet Renault Retail Group, où l’on éduque le consommateur automobiliste à grand biberonnage de phare d’origine en avertissant des dangers des pièces «contrefaites» (pour retrouver la séquence, cliquez ici puis allez sur "Phares").Preuve supplémentaire que la situation n’est plus tenable : le reportage montre un jeune automobiliste du Nord de la France qui a embouti l’avant de sa Clio III et se voit réclamer environ 1 000 € pour un pare-choc avant… En parcourant quelques kilomètres, il trouvera de l’autre côté de la frontière, à Mons, la même pièce pour 160 €.Certes, elle ne provient pas du même fabricant que la pièce d’origine. Mais qu’on se rassure là encore : il ne s’agit nullement de contrefaçon dans la mesure où elle offre toutes les garanties en matière de sécurité. Et de préciser d’ailleurs que sur les quelque 250 millions de pièces de rechange écoulées annuellement en France, seulement 5 000 seraient des contrefaçons. Et encore, le journaliste aurait pu préciser que sur ces 5 000 pièces "contrefaites" saisies par les douanes, l’écrasante majorité concerne des accessoires et autres logos, donc peu impactants pour la sécurité des usagers de la route (voir Contrefacon : des chiffres francais... contrefaits).Mais «Pierre-Noël Luiggi refuse d’en rester là», nous rassure le reportage. Ni une, ni deux : le voilà maintenant dans un train pour la Belgique. Objectif : trouver une solution pour s’approvisionner en rétroviseur de Peugeot 107. Il trouve évidemment une pièce adaptable chez un distributeur belge, une pièce «identique» mais pas équivalente, ce qui n’est malheureusement pas précisé dans le reportage. Mission accomplie :  il pourra alors l'afficher à 25 € sur son site internet contre… 75 € chez un concessionnaire en France. Pour le Robin des Pièces, l’intérêt du consommateur prime : ce type d’offre sera bientôt disponible sur Oscaro, foi de Pierre-Noël !Simplifications simplistesIn fine, le reportage, bien qu’évitant certains écueils (la différence est bien faite entre "copie" et "contrefaçon", soulignant à ce titre assez clairement l’ambiguïté des constructeurs), laisse toutefois un goût d’inachevé. Que le pourfendeur des prix constructeurs aille lui-même chercher la commande d’un jeu de plaquettes en banlieue parisienne, puis celle d'un rétroviseur en Belgique peut faire sourire, surtout lorsqu’il explique que le site enregistre actuellement quelque 10 000 commandes/jour (quelle santé...) ; qu’il soit érigé en ardant défenseur du pouvoir d’achat des consommateurs automobilistes aussi. Mais qu’on le présente complaisamment comme le seul et unique à s’élever contre le monopole des constructeurs sur le marché des pièces, de carrosserie ou pas, est en revanche fallacieux. C’est oublier –encore une fois un peu vite– les combats de la Feda notamment, mais aussi l’histoire de Cora ou de Saint-Amand par exemple, qui proposent depuis des années des pièces de carrosserie malgré le monopole. Un combat qui continue, non par via ZO(sca)RRO, mais par toute une profession !Ce reportage a au moins un indiscutable mérite : rappeler le fait que, qu'on le veuille ou non, internet est non seulement devenu un incontournable canal de vente à part entière, mais qu’il peut offrir aussi (et surtout) une visibilité enviable à ceux qui s’y s'y positionnent, traditionnels ou pas. Quant bien même P.-N. Luiggi s’approprie sans vergogne une bataille déjà bien défrichée depuis 2007 et où les chocs les plus rudes ont été essuyés bien avant, à coup de coûteuses saisies et de stocks dévastés, par les vrais pionniers de l’anti-monopole…Mais visiblement, Pierre-Noël Luiggi, même s’il a de belles raisons d’être fier de son parcours et de celle de son entreprise, aime simplifier le pourtant complexe marché de la rechange pour se mettre en scène dans un reportage tout à sa gloire.De l’économique au politiquell est vrai qu’en matière d’égo, l’émission n’est guère décevante. Le pourfendeur du monopole et de la vie chère apparaît ainsi discutant en ami, en tant que sponsor principal du SC Bastia, avec le médiatique Djibril Cissé dans les vestiaires du club ; on le voit aussi, tel un quidam moyen, bricoler humblement sa propre voiture comme tout un chacun… Un gars comme nous, en somme....Quel rapport avec le marché disputé de la pièce ou le portefeuille de l'automobiliste moyen ? Aucun a priori. A moins que ce portrait laudatif ne soit un opportun sinon précieux tremplin télévisuel au patron d’Oscaro, à quelques semaines d'un scrutin où on le retrouve inscrit en troisième place sur la liste "Inseme Per Bastia" en course pour les prochaines échéances municipales. Une liste actuellement à deux points seulement de la liste principale, selon TNS Sofres ; et une liste donnée vainqueur au deuxième tour selon le même institut de sondage.Dans ce théâtre politique-là, la pièce et son acteur emblématique n’ont pas de raison de bouder un aussi bon film…Pour retrouver tous nos articles sur Oscaro, cliquez ici
Jérémie Morvan
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