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La possible et dangereuse multiplication des réparateurs 4532Z

Jean-Marc Pierret
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De plus en plus d’entreprises de réparation adopteraient le code APE 4532Z au lieu des classiques 4520A ou B. Le nombre d'adeptes a effectivement progressé de 14% entre 2010 et 2012, plus de deux fois plus vite que les autres et que pendant les années 2007 à 2009. Pourquoi ? Peut-être parce qu’ainsi identifiés, ils peuvent s’approvisionner… auprès des plateformes à de meilleures conditions d’achat de pièces. Des MRA ont certes franchi le pas. Les auto-entrepreneurs aussi. Et d'autres ?
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Une info venue de nos lecteurs-correspondants!Au détour d'un intéressant débat entre lecteurs fin juillet sur “l'affrontement” entre distribution traditionnelle et sites de ventes de pièces en ligne (cliquez ici pour le revoir), l'un d'eux lâchait l'information suivante : «Le garage peut avoir son 4532Z  (Ndlr : code Naf/APE pour «commerce de détail d’équipements automobiles») avec une telle facilité qu’il devient distributeur de pièces sans l’être et sera de ce fait livré par les plateformes (dans beaucoup de villes, c’est le cas)». Et comme il semble visiblement savoir de quoi il parle, nous avons décidé d'enquêter.
Toulouse : pas si rose que ça...
D'autant que, dans l’absolu, on comprend aisément les fondements de l’approche : cette métamorphose “nomenclaturale” qui troque le classique 4520A ou B (Entretien et réparation de véhicules automobiles légers) pour le code 4532Z  donne accès à 80% de remise directement à la plateforme et non plus à 45% auprès du distributeur habituel. En achetant mieux, le “réparateur-détaillant” en pièces redore mécaniquement sa rentabilité.Ce serait le cas par exemple du département 31 et tout particulièrement de Toulouse où tout n’est donc pas si rose en la matière : la sur-représentation des plateformes semble bien y avoir dopé la tendance. En observant l’évolution du CA de certains de ces réparateurs-mutants Haut-Garonnais sur le site “Infogreffe.fr”, force est effectivement de constater des bonds étonnants d’une année sur l’autre : chez celui-là, les presque 210 000 € du bilan 2012 grimpent à environ 280 000 en 2013 ; chez cet autre, on passe sur la même période de 400 000 à plus de 500 000 €… C’est quasi-miraculeux sur un marché général des entrées-atelier qui ne s'affiche pourtant guère porteur.Certains groupements de distribution vont peut-être même rire jaune : en fouillant un peu, on trouve en Haute-Garonne des “réparateurs 4532Z” jusque dans les adhérents de leurs réseaux de réparateurs animés par leurs distributeurs…
La douce hypocrisie
On l’a compris : si le réparateur peut ainsi embellir sa rentabilité, il n’est pas le seul. On sait déjà que les trop nombreuses plateformes vivent mal (voir «plateformes régionales : l’hécatombe annoncée…»). Pour l’heure, elles ne sont que quelques-unes, semble-t-il, à avoir franchi le Rubicon du distributeur pour atteindre directement les réparateurs. Mais pourquoi s’en priveraient-elles durablement, puisqu'elles ne sont pas, à proprement parler, coupables de forfaiture ? Ce sont en fait ces “réparateurs-mutants” qui enjambent lesdits distributeurs en jetant vers elles le pont légal du code APE. Quand le pot de confiture s'ouvre devant soi, difficile de ne pas y mettre le doigt. Surtout quand des concurrents s'en régalent déjà en toute impunité…On nage bien sûr dans une douce hypocrisie : la plateforme sait pertinemment à qui elle vend ; quant au réparateur, il ne se grime pas en grossiste pour venir tromper le comptoir de la plateforme. Mais grâce au Sésame 4532Z, la bonne forme est respectée. Évidemment, le réparateur qui change de code APE pour “cocufier”  son distributeur oublie un peu vite les autres valeurs ajoutées dont il se nourrit pourtant : l’accompagnement en infos techniques, les livraisons gratuites, les stocks, le personnel compétent, les services connexes en “back office”, l’animation commerciale, les formations, etc.
Une déjà vieille histoire...
Mais là encore, peut-on vraiment pointer un doigt accusateur vers le réparateur ? Car comme pour les plateformes, la question mérite aussi de se poser en termes de déséquilibre concurrentiel entre le “4520A” et son voisin “4532Z”, plus alerte financièrement et plus à même de remiser ses prestations pour conquérir et fidéliser. En outre, il faut bien le reconnaître : les MRA traditionnels qui se ré-immatriculent 4532Z ne seraient pas les seuls, loin s’en faut, à le faire. Ni les premiers de la famille.Car l'arbre cache une forêt déjà bien plantée, comme le démontre un autre petit tour rapide sur le site “Infogreffe.fr” qui recense les entreprises françaises. Une forêt forte d’indiscutables précédents et ce, depuis longtemps. On constate ainsi que les centres auto filiales de Norauto bénéficient par exemple tous du code 4532Z, comme d’ailleurs une bonne partie des 123 centres Feu Vert filiales. Bien sûr, leurs linéaires de pièces le justifient ; mais côté baies de service, ils sont aussi des concurrents réparateurs. Et ce n’est pas tout : alors que les centres filiales de Speedy sont sagement rangés dans la case 4520A, une partie des Midas émerge, elle aussi, sous le code 4532Z. Tout comme d'ailleurs beaucoup de RA1 ou RA2. Bref : si ver il y a, il est déjà dans le fruit...Autre constat plus alarmant encore : en traquant cette fois le code 4532Z sur plusieurs départements via le site “societe.com”, on identifie rapidement une myriade de micro-entreprises qui, sous le nom d’une seule personne, se sont créées ces trois dernières années sous ce code APE. Il y a certes des artisans classiques parmi elles. Mais aussi —surtout ?— des auto-entrepreneurs qui ont peut-être bien compris où aller chercher une pièce moins cher…
L’INSEE ne fait pas… de détail
Comment dès lors, pour mieux quantifier le phénomène, séparer ceux qui ont initialement et “automatiquement” reçu le code APE 4532Z de l'INSEE de ceux qui en ont volontairement changé ? C'est impossible, l'INSEE ne gardant pas en mémoire les mutations de code APE dans le temps. Un indice toutefois en page 6 de ce rapport produit annuellement par la Branche des Services de l'Automobile. Dans sa dernière livraison, on y constate une belle progression des entreprises adeptes du 4532Z comme en atteste cet extrait :

evol_code_NAF_4532Z_2(*) Estimation ANFA pour 2012, mais elle n'a jamais été contredite au fil des années...

Précision préalable à ce point de notre démonstration : que les optimistes ne s’enivrent pas trop vite de l'apparence faussement réjouissante de ces progressions “à contre-crise” du nombre d'entreprises. Elles sont essentiellement dues à l'explosion du nombre d'auto-entrepreneurs —encore eux— qui ne font que cacher le recul structurel du secteur et masquer une partie de ses licenciements.

Reste que ces données publiées par la Branche sont interpellantes : pendant que les entreprises sous codes APE 4520A et 4520B progressaient d'un peu moins de 6,7% (40 884 en 2010 pour 43 618 en 2012), celles sous code 4532Z bondissaient de presque 14% (4 427 pour 5 043) ! Et ce, à un rythme exponentiellement croissant : à peine  plus de 200 nouvelles entreprises entre 2010 et 2011 pour presque 400 entre 2011 et 2012.

Les chiffres 2013 et 2014 permettront de voir comment la courbe s'est poursuivie depuis. Mais les temps ont déjà bel et bien changé : les “4532Z” ne croissaient que de 5% entre 2007 et 2009 —année de la création du statut d'auto-entrepreneurs— pendant que les “4520A et B” affichaient un similaire +6% de progression...

Facile d'accès
Autre certitude : s'il le souhaite, le réparateur peut facilement, au prix d’une simple acrobatie sémantique, se revendiquer comme «détaillant» en pièces. Car le changement de code APE doit seulement être justifié en pourcentage de l’activité, comme le montre ce formulaire-type de «demande de modification du code d’activité principale» :formulaire INSEELe réparateur qui se concentre sur le seul entretien-réparation n’aurait donc guère de difficulté à démontrer que la vente de pièces représente la plus grosse part de son CA, surtout à une époque où les taux horaires restent bas pendant que le prix des pièces s’accroît lentement mais sûrement, technologie croissante oblige pour les “concurrencées” et monopole oblige pour les “captives”. En outre, le pas à franchir n’est pas financièrement coûteux : le changement de code APE excède rarement 500 €. Et que va choisir un auto-entrepreneur qui, avec un taux de main d’œuvre très bas, sait qu'il va voir la pièce représenter d’office l’essentiel de son CA ?L’INSEE est-elle coupable de faciliter le changement ou l'accès au code incriminé ? Pas vraiment : non seulement ses petites mains ne peuvent être spécialistes en tout, mais le rôle du code APE est juste d'aider l’INSEE à produire des statistiques voulues les plus fiables possible, pas de permettre un contrôle de l'activité réelle des sociétés demanderesses.
Vers de grands déséquilibres ?
Pour l'heure et au niveau national, les “4532Z” ne représentent certes qu'à peine plus de 10% des “4520A et B”. Et tous ne sont pas en outre des “réparateurs déguisés”, loin s'en faut. Reste que si le mouvement de mutation existe en se fondant sur la recherche de pièces “moins cher que moins cher”, les conséquences, elles, sont possiblement redoutables. Car dans les régions où ces réparateurs-mutants tendent à se multiplier (qu'ils soient bien établis ou auto-entrepreneurs récents), c’est tout l’équilibre du marché traditionnel qui en prend pour son grade, effectivement ou potentiellement : si le réparateur vit mieux, son ou ses distributeurs-stockistes voi(ent) baisser d’autant le chiffre d’affaires historiquement réalisé avec lui.Se pose dès lors la question de la logique du marché : la plateforme qui vend ainsi à tous les (r)ateliers, passe de fait du statut de fournisseur du stockiste à celui, plus frontal, de son concurrent direct. Dans un climat de suspicion déjà historique entre distribution traditionnelle et plateformes, voilà qui n'est pas fait pour améliorer le climat de guerre froide...Une guerre froide qui peut, si le climat se dégrade, générer par exemple quelques dommages collatéraux chez les équipementiers fournisseurs desdites plateformes commercialement “ambidextres”. On imagine aisément le diktat pré-nucléaire assené par le distributeur traditionnel au pauvre équipementier : «ou tu arrêtes de fournir la plateforme scélérate, ou tu seras blacklisté par moi et mes concurrents locaux qui, pour l’occasion, sauront faire cause commune».La même colère potentielle fait que la très grande majorité des plateformes ne franchit pas (ou pas encore, ou à la marge) le pas vers le “réparateur 4532Z”. Elles sont conscientes qu'elles lâcheraient dangereusement la proie bien réelle du client-distributeur pour l'ombre incertaine des réparateurs. Mais pour combien de temps, surtout si elles n'avaient économiquement plus rien à perdre ?
La Feda veut réagir
Dans ce contexte de mèche allumée que la Feda reconnaît avoir identifié, le ton de la fédération des distributeurs indépendants de pièces est sans ambigüité : «Elle n’est peut-être pas encore très répandue, mais la tendance prend suffisamment corps pour que nous nous interrogions sur la concurrence indirecte des plateformes qui mettent le doigt dans ce système», souligne Yves Riou, secrétaire général de la Feda ; «Il s’agit là d’une concurrence déloyale avérée qui justifie que nous interrogions les DIRECCTE  (NDLR : les relais de la DGCCRF, c'est-à-dire les «DIrections Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi») pour qu’elles se penchent sur la question».Mais au vu de ce que nous avons pu constater, les plateformes apparaîtraient plus comme un symptôme que comme l’origine d’une maladie. Si cette “4532Z-isation” devait se répandre dans l'entretien-réparation comme un mauvais virus réveillé par les auto-entrepreneurs, il faudrait probablement s’atteler à remettre tout un système à plat pour clarifier les positions de chacun et soigner la concurrence entre acteurs. Car si des réparateurs de tous poils se mettent à chercher un tel circuit court, c'est le court-circuit assuré. A suivre…
Jean-Marc Pierret
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