ANALYSE – Plateformes régionales: l’hécatombe annoncée…

Jean-Marc Pierret
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L’histoire des plateformes régionales se remet en marche vers des matins qui déchantent. Après leur émergence souhaitée mais controversée, puis l'âge d'or de leur multiplication, voilà qu’arrive l’heure de leur douloureuse sélection. 80 plateformes aujourd’hui, la moitié demain ?
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Notre analyse ne va pas plaire à tout le monde. Mais il nous semble que le moment est venu de la faire. L'objet n'est pas, de toute façon, de lister ici telle ou telle plateforme qui paie déjà au c... des camions ou qui les voit se raréfier. Ni, à l'opposé, de sanctifier celles qui, fortes de leur logistique, de leurs dirigeants clairvoyants et/ou de leurs riches actionnaires, semblent devoir perdurer sans difficulté. Non ; l'objet est de se rappeler d'où elles viennent pour mieux comprendre quel pourrait être leur destin.Souvenez-vous : supplantant les historiques dépôts des équipementiers, les plateformes émergeaient vraiment à la fin des années 2000, vitaminées par un double contexte. Un contexte structurel d’abord : la croissance exponentielle du nombre de références imposait qu’au moins, les pièces à faible rotation soient externalisées par les distributeurs-stockistes confrontés aux limites physiques de leurs propres capacités de stockage.Un contexte conjoncturel ensuite : en 2008, la Loi de Modernisation de l’Economie (LME) et sa réduction des délais de paiement grevaient brutalement la trésorerie du commerce inter-entreprises en général et en particulier, celle des groupements de distribution auto et de leurs adhérents. La mise en conformité avec les nouvelles règles imposait au petit monde de la rechange auto de faire un chèque inattendu, à la fin du 1er trimestre 2009, estimé alors entre 300 et 485 millions d’euros. Pour financer la trésorerie de cette mise en conformité, les distributeurs déstockaient massivement, légitimant un peu plus les dites plateformes.Sœurs ennemies des distributeursInitialement tolérées comme réservoirs de références «rares», les plateformes s’attiraient ensuite, au début des années 2010, les foudres croissantes des distributeurs et des groupements. Bien sûr parce que, rentabilité faible oblige, elles enrichissaient leur offre en pièces à fortes rotation en revendiquant ainsi une part d’un gâteau logistique non-extensible, donc disputé aux stockistes traditionnels. Mais aussi parce que leur quête de débouchés salvateurs les faisait devenir fournisseurs -donc traîtres complices- de ces autres ennemis honnis de la rechange traditionnelle : les sites de ventes de pièces en ligne, en pleine croissance.Mais malgré les suspicions, les reproches et le difficile partage des marges avec ce nouvel intermédiaire, le pli de la plateforme régionale était durablement pris et le paysage de la distribution traditionnelle, condamné à s’organiser autour d’elle.Trop de plateformes tue les plateformesSeulement voilà : les plateformes sont à leur tour confrontées à un double problème. Leur «intra-concurrence» d’abord. Récemment, notre confrère J2Rauto.com les a patiemment et savamment chiffrées à un peu moins de 80 sites en France, plateformes nationales des groupements comprises. Cela fait évidemment beaucoup trop pour satisfaire la petite dizaine de localisations stratégiques nécessaires à l’irrigation des 2 200 grossistes français qui font l'essentiel du marché.Mais le pire est ailleurs. Car les plateformes ne sont pas totalement maîtresses de leur destin. Elles ont beau s’être intercalées entre l’équipementier et le distributeur, cet amont ne leur confère pas l’avantage déterminant qu’elles pouvaient en espérer. Au final, c’est l’aval du grossiste qui garde le pouvoir d’ouvrir ou de fermer le robinet. A fortiori quand son pouvoir est renforcé par cette pléthore de plateformes qui frappent à sa porte et parmi lesquelles le distributeur peut du coup minauder, punir les plus impertinentes et récompenser les plus respectueuses en y faisant, ou pas, son «marché»…Dans ce contexte de semi-légitimité, les plateformes ont malgré tout poursuivi leur impressionnante croissance, bénéficiant notamment de l’effet d’aubaine qu’elles représentent pour les nombreux équipementiers sans réelle force commerciale terrain. Sur le papier, ces derniers ont fait leurs beaux jours : il suffit a priori d’implanter des stocks chez elles et le reste doit suivre, puisqu’elles sont censées prendre en charge la revente aux distributeurs de leurs zones.La douloureuse prudence des grossistesMais les réalités terrain sont têtues qui ont entretenu les plateformes un pas en-deçà de l’incontournabilité qu’elles ambitionnaient. D’un côté, les groupements qui négocient des volumes via leurs centrales d’achats et qui ont des distributeurs filialisés n’ont évidemment pas permis, sans autorisation expresse, aux plateformes régionales d’entrer par la petite porte locale de leur distribution intégrée. Quant aux autres, les adhérents grossistes indépendants, ils ont déjà souvent du mal à reconnaître le pouvoir de leur propre groupement. Ils avaient donc encore moins envie d’adouber celui des dites plateformes. Ils les considéreront toujours comme suspectes («et si elles vendaient directement à mes garagistes ?») et, par la part de leur marge qu’elles s’attribuent à leurs dépens, de toute façon trop parasitaires pour générer une sympathie complice.Et puis, les équipementiers qui ont su préserver leurs forces commerciales le savent bien : on peut décrocher tous les référencements du monde en amont, c’est l’aval des distributeurs-stockistes, surtout quand ils sont leurs propres patrons, qu’il faut et qu’il faudra continuer à rencontrer, séduire et convaincre pour qu’ils basculent ou non vers la marque.Les groupements vont commencer à faire leur marchéCertes, la doctrine des groupements de distribution traditionnelle en matière de plateformes a considérablement évolué. Après avoir initialement voué une haine farouche à ces nouveaux arrivants pour toutes les raisons déjà évoquées, ils ont ensuite manifesté une apparente acceptation de ce mal nécessaire pour maintenant reconnaître implicitement en avoir besoin. Les uns après les autres, les Autodistribution, Groupauto, Starexcel et autre AGRA commencent à saisir, à tout le moins à renifler, les croissantes opportunités.Mais qu’on ne s’y trompe pas. S’ils s’apprêtent ainsi à rendre un hommage posthume à la stratégie visionnaire mais avortée d’Alain Redheuil, l’ex-patron d’Autodistribution/Investcorp qui, à contre-courant et malgré la bronca de ses «confrères», annonçait en 2008 l’arrivée de 9 plateformes AD régionales, c’est aussi parce que l’heure des prises de contrôle a sonné. Mais les groupements ont le temps pour eux. Et ils le savent. Pour le prédateur, surtout s'il a un compte à régler, c'est la loi du genre : plus les cibles s’entredéchirent et s’entr’affaiblissent, moins le chèque sera élevé. Seul impératif : ne pas trop attendre au risque sinon de se faire «souffler» les meilleures places par les concurrents.Quelles plateformes survivront ?Cet avenir de "sauvetage" n’est que facialement idyllique. Car même vite fait, le calcul reste assassin : les 3 groupements majeurs, dès lors qu’on tient compte de leur plateformage actuel, ne pourront guère trouver chacun séduisantes plus de 7 à 8 plateformes complémentaires. Il y a encore loin, de cette petite trentaine qu’ils vont vouloir repêcher pour leurs besoins propres aux 80 qui constituent l’actuel vivier.Bien sûr et comme toujours, il n’y a pas qu’un futur possible. Les plateformes indépendantes qui sont fortes d’une excellence logistique et/ou de spécificités techniques reconnues pourront subsister malgré l’hécatombe qui s’annonce. Ne serait-ce que parce que des distributeurs irréductiblement indépendants chercheront à privilégier une solution logistique tout aussi indépendante qu’eux.Au final, par qui ou pourquoi les plateformes survivantes seront-elles élues ? Par les seuls besoins des groupements ? Par le choix logistique commun aux principaux équipementiers qui comptent ? Les distributeurs locaux arbitreront-ils au final dans un sens ou dans l’autre en fonction de leurs réalités et de leurs attentes locales ? Un peu de tout cela probablement. Ce nouveau chapitre de l'histoire des plateformes, qui tiendra également compte du tryptique bon produit/bon service/bon endroit, reste à écrire…Comme d’habitude, on vous tiendra au courant…
Jean-Marc Pierret
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