Prospective – Quand la « bombe BtoB » des pièces en ligne explosera…

Jean-Marc Pierret
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Les composants de la bombe sont là qui n’attendent plus qu’un facile assemblage. Tôt ou tard, elle explosera sur les eaux déjà agitées du marché de la pièce auto. Quelle bombe ? Celle de l'avènement d'acteurs BtoB vendant en ligne, de pros à pros, des pièces concurrencées. Le compte à rebours a assurément commencé. Reste à savoir quand, où et quel «docteur Folamour» de la pièce prendra le risque d’appuyer sur le bouton et d'irradier tout le marché. Car comme pour Fukushima ou Tchernobyl, il y aura un avant et il y aura un après…

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C’est l’histoire d’un futur proche qui ne plaira pas à tout le monde. Un avenir qui verra arriver et proliférer l’internet BtoB ( de pros à pros) des pièces concurrencées et son infernal cortège de prix monstrueusement bas. Il babille encore en carrosserie, au travers de sites comme amapiece.com. Il est devenu adolescent dans le pneumatique, avec les business models assez florissants de 07ZR ou Gettygo. Il ne deviendra grand et fort qu'en se nourrissant de pièces concurrencées. Si ce dernier domaine ne l'a pas encore importé, ce n’est pas faute de pouvoir le faire : les composants de cette “bombe BtoB“ sont déjà là ; ils n’attendent plus que d’être rapprochés, assemblés, synchronisés. Et activés.

On va bien sûr nous reprocher, une nouvelle fois, d’attirer l’attention sur ce qui n’est pas encore. Et, en voulant ainsi nommer l’ineffable, d’être ceux qui poussent les portes d’un Enfer que tout le monde pressent mais que personne n'évoque de peur de prononcer imprudemment l’incantation qui appellera l’Abîme. Mais cette peur n’évite pas le danger. Et comme l’on n’exécute plus, de nos jours, le marathonien qui ne fait que porter la mauvaise nouvelle, nous prenons le risque de pré-écrire l'Histoire. Car danger imminent il y a. Et mauvaise nouvelle il y aura, tôt ou tard. Parce que tous les préalables sont effectivement en place.

Les préalables techniques au BtoB des pièces en ligne existent…

Pour que l'explosion ait lieu, il faut bien sûr pouvoir s’approvisionner au meilleur prix d’achat, c'est-à-dire au plus proche du prix de vente équipementier : pas de problème, les sites grand public de ventes de pièces en ligne ont montré le chemin qui mène aux plateformes régionales bien sûr, voire même à l’achat direct auprès de certains équipementiers.

Il faut aussi un site internet équipé d’un moteur de recherche performant et complet. Là encore, rien d'insurmontable. Le marché, traditionnel ou pas, s’est déjà organisé depuis longtemps autour de bases de données qui croisent de façon fiable les références constructeurs avec celles des équipementiers ; qui autorisent l’identification de la bonne pièce via la carte grise ou le numéro d’immatriculation ; qui compilent les carnets d’entretien ; qui savent même adjoindre des infos techniques toujours plus pointues. Pour faire simple, il n’y a plus qu’à “copier-coller” tout cela et l’injecter dans un site internet avec la facilité d'une cartouche poussée dans un barillet.

Rien d'ailleurs n’exclut que les sites de ventes en ligne grand public s’élargissent d'eux-mêmes à une telle offre BtoB. Et d'un certain point de vue, ils pourraient même déjà y penser. Oscaro, qui réfute pourtant haut et fort tout réseau de “monteurs”, n'allait-il pas discrètement tester la réactivité des pros en 2012 ? L'ascenseur magique des sites grand public ralentit déjà ; il va bientôt apercevoir son plafond de verre s’il ne l’a déjà touché.

Car le marché de la vente à particulier n’est pas extensible à l’infini. Il va même inéluctablement se contracter sous la pression des technologies croissantes qui irradient, lentement mais sûrement, un parc qui se renouvelle chaque année. A termes, ces technologies désintègreront l'essentiel du marché du do it yourself. C'est effectivement écrit : leur univers en expansion va se stabiliser, puis se contracter. Biberonnés jusqu'à l'ivresse à l’euphorique “Big Bang” de la pièce en ligne et à ses addictives croissances à deux ou trois chiffres, ces sites peuvent donc être tentés par tous moyens d’éviter, ou au moins de retarder, le douloureux sevrage de ce “Big Crunch” qui s'annonce pour eux…

…et les réparateurs murissent

Il faut aussi et surtout des clients réparateurs susceptibles de franchir le pas. Et là aussi, Ils sont prêts par centaines. Et ils murissent même peut-être par milliers. Lentement, certes. Mais sûrement.

Il y a d’abord ces audacieux qui ont administrativement muté en code APE 4532Z pour acheter leurs pièces auprès des plateformes (voir «La possible et dangereuse multiplication des réparateurs 4532Z»). Ils ont fait le plus dur. Le pas vers Internet leur sera plus simple.

Il y a aussi ces autres, en partie “apprivoisés” par les sites grand public de ventes en ligne pour s'être résolus à devenir des “centres de montage” ; ou ceux qui commandent déjà à la marge pour leurs propres clients auprès des Oscaro, Allopneus et consorts ; ceux encore qui ont essayé et adopté les sites BtoB de pneus cités plus haut et sont donc pré-rôdés à l’aventure ; ceux enfin qui ont accepté, bon gré mal gré, les pièces en ligne apportées par l’internaute chasseur de bonnes affaires. Beaucoup de ces réparateurs-là se réapproprieraient bien le sourcing d'où qu'il vienne ou presque, pourvu qu'il soit à peu près compatible avec le prix attendu par cette nouvelle race d’automobilistes shootés aux «prix Oscaro». A la clé pour eux : un peu de marge récupérée, un chiffre d’affaires reboosté et le tour serait joué.Sans oublier bien sûr ces RA1 et RA2 qui, sans vouloir alerter leurs constructeurs par des changements trop suspects de volumes d’achats en pièces dites “d'origine”, sont évidemment prêts à découvrir des marges insoupçonnées et des marques encore souvent méconnues d’eux, au moins pour leur parc VO ou leurs entrées-atelier «autres marques»…

Et il y a aussi tous ces autres réparateurs, tout simplement en colère et/ou inquiets de voir le marché changer sans eux. Qui en ont marre de subir les devis stériles et chronophages de versatiles et infidèles consommateurs chasseurs de primes. Qui savent aussi, ou au moins sentent, qu’ils sont irrépressiblement centrifugés par ce marché après-vente en peau de chagrin structurelle : tous les prévisionnistes s’accordent sur une baisse tendancielle du nombre d’entrées-atelier pour encore de longues années.

Qui osera et surtout : quand ?

Il ne manque plus, dans ce contexte, que le détonateur. C'est-à-dire un “gros malin” débarquant avec une offre BtoB de ventes de pièces en ligne, une offre résolument conçue pour séduire ces divers profils de réparateurs. D’autant que le gros malin en question aura probablement su “copier-coller”, là aussi, une caractéristique forte de la vente BtoC en ligne : une offre de marques Premium d’abord, mais à des prix plus sexy que ceux de la plus sexy des MDD disponibles dans le “circuit long” du marché traditionnel.

Ce primo-assaillant sera-t-il un groupement, un site en mal de croissance, un équipementier, un simple franc-tireur ? Un site ou un franc-tireur assurément, même s'il lui faudra connaître et maîtriser toutes les arcanes de la distribution de pièces. Il faudra aussi qu’il soit suffisamment libre de toute attache trop consanguine avec le marché qu'il bousculera, au risque sinon d'avoir à subir de pesants chantages menaçant directement ses business déjà construits. Et il devra être suffisamment mobile et rusé pour esquiver les points rouges que des snipers-distributeurs pointeront par dizaines sur lui. Avec la féroce envie d'appuyer sur la gâchette.

Les équipementiers, eux, n'auront bien sûr qu'à ré-expliquer une nouvelle fois, des sanglots sincères ou pas dans la voix, qu’ils ne peuvent décidément pas refuser la vente aux plateformes qui revendent au scélérat, au risque sinon de se mettre hors-la-loi par d'impossibles refus de vente.

Quant aux groupements de distribution, face à la brèche ouverte par ce terroriste de la pièce, il se constateront condamnés à s’en aller guerroyer sur le même terrain, seule option réputée possible pour entraver au nom de tous l'assaut du félon. L'esprit de sacrifice est sans limite. Dans une guerre de toute façon, c’est toujours celui qui la déclenche qui est jugé par l'Histoire, pas ceux qu'il force à répondre, même si ces derniers contre-attaquent avec les mêmes armes produisant les mêmes effets. Et puis, face à une telle explosion quasi-atomique à l’échelle du marché actuel de l’après-vente, comment de toute façon éviter une réaction en chaîne ?

Les révolutions n’étant jamais brutales sur le marché relativement acyclique de l’après-vente, beaucoup de réparateurs ne céderont bien sûr pas (ou pas tout de suite) à cette sirène —du moins ceux qui vont bien. Mais le mal sera quand même fait quand ils n’oublieront pas de réclamer à leurs distributeurs habituels un effort supplémentaire pour durablement sceller leur fidélité. Et leur permettre d’affronter la dure concurrence de cette nouvelle race de “réparateurs low-cost”.Certes, toutes les pièces ne se livreraient pas via internet. Mais leur exemplarité en termes de prix, si la vente BtoB en ligne prenait suffisamment d'ampleur, pourrait être dramatiquement contagieuse. Et plus rien n'empêcherait alors les prix de dévisser de 20% dans de douloureuses convulsions de marché.

Pour toutes ces raisons et une fois surtout ces raisons bien pesées, la question n’est déjà plus de savoir si l’internet BtoB des pièces concurrencées va apparaître. Mais tout simplement de savoir quand et où. Et accessoirement, de connaître le nom de ce “gros malin” suffisamment “couillu” –et d’une certaine façon, suffisamment suicidaire– pour accepter de devenir celui par qui le malheur sera arrivé…

Car si tous ne périront pas, tous ou presque seront frappés. Les pièces en ligne concurrencées BtoB ne seront peut-être pas une arme de destruction massive. Mais à tout le moins risquent-elles d'être l'instrument d'une massive refondation...

Jean-Marc Pierret
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