EXCLUSIF – Covéa met-il le loup des agréments dans la bergerie mécanique?

Jean-Marc Pierret
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Covéa innove : sur la base d’un cahier des charges précis, l’assureur a recruté des réparateurs "mécanique" pour dessiner un "réseau" de 2 000 ateliers susceptibles de recevoir les véhicules des assurés tombés en panne. Covéa se défend de toute arrière-pensée. Mais les réparateurs craignent que le loup des agréments carrosserie n’ait mis ainsi une première patte dans la bergerie de l’entretien-réparation…
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Une info venue de nos lecteurs-correspondants!Ces derniers jours, plusieurs réparateurs nous ont informés d’une initiative tout à fait inédite de Covéa : pour la première fois, un assureur a recruté des réparateurs "mécanique" pour pouvoir orienter vers eux ses assurés victimes d’une panne. Covéa veut ainsi pouvoir proposer à l’automobiliste qui le souhaite un réparateur-point de chute capable d’assurer un service multimarque globalement codifié de la façon suivante : un diagnostic de la panne réalisé dans la demi-journée, un véhicule de remplacement à tarif préférentiel (totalement offert si la réparation n’est pas réalisée dans les trois jours) et une remise sur la facture finale d’environ 10%.«Nous avons atteint l’objectif de près de 2 000 garages sur toute la France», confirme Laurent Decelle, directeur du Pôle Covéa AIS (Assistance Indemnisation Services). Ils ont notamment été recrutés parmi les trois réseaux d’ores et déjà référencés : concessions et succursales Renault, réparateurs "experts" Precisium et AD. Les enseignes se sont chargé de rassembler suffisamment d’adhérents pour garantir le maillage ambitionné, «ce qui a été accompli sans difficulté», se félicite-t-il. En effet : renseignement pris, le taux de volontariat a atteint jusqu'à... 96% dans l'une des enseignes concernées !Un potentiel business séduisantPour quel marché ? A en croire les chiffres du Gipa, 5% des 38 millions annuels d’entrées-atelier en France sont liés à des pannes immobilisantes. En la matière, les mutuelles MAAF, GMF et autre MMA fédérées par Covéa ont d’évidents arguments : elles assurent environ 25% du parc VP/VU français, soit quelque 9,7 millions de véhicules. Le calcul est vite fait : chaque année selon nos estimations, près de 500 000 d’entre eux sont donc statistiquement appelés à subir une panne nécessitant dépannage et réparation. Et même en tenant compte des véhicules réparés sur place et des automobilistes qui demanderont toujours –s’ils en ont la possibilité géographique– à voir leurs véhicules rapatriés dans "leurs" garages, le potentiel quasi-captif fait de toute façon rêver : dans l’absolu, 160 entrées-atelier/an pour chacun des 2 000 réparateurs ciblés !On comprend évidemment l’intérêt identifié par les réseaux concernés. Ils n’oublient pas la demande prioritaire de leurs adhérents : les aider à remplir leurs ateliers. Dans le maussade contexte d’un recul à la fois conjoncturel et structurel de l’activité-atelier, l’aubaine vaut bien quelques sacrifices. Comme cette petite remise de 10% «que, de toute façon, les réparateurs font déjà souvent sous forme de promotion ou de remises», rappelle L. Decelle. Ce qui n’est pas faux…Vers un agrément mécanique… ou pas ?Mais on comprend aussi pourquoi les réparateurs approchés s’inquiètent : tout cela sonne comme une ébauche d’agréments façon carrosserie et leur pénible cortège de contraintes imposées en termes de tarifs et de services.Cette crainte, Laurent Decelle la réfute immédiatement : «Ce n’est pas un réseau agréé au sens où vous l’entendez car en l’occurrence, nous n’avons pas vocation à "acheter" la prestation de réparation mécanique pour le compte de l’assuré: c’est lui qui règle et continuera à régler la facture», argumente-t-il. «Notre initiative est certes inédite, mais elle a pour seul but de pouvoir proposer, à ceux de nos clients assurés qui le souhaiteront, une réparation à la qualité garantie par une compétence, une technicité et un sens du client dignes de leurs attentes. C’est dans l’ADN de Covéa : épater par le service à toutes les étapes de la relation client».Réparateurs dubitatifsD’accord, la nuance apportée par le patron du Pôle Covéa AIS est réelle. Mais même bien comprise, elle ne suffit pas vraiment à éteindre la suspicion des réparateurs, surtout envers un assureur qui a déployé la garantie panne GMF AutoPass.«C’est peu ou prou ainsi qu’a commencé la stratégie des agréments de carrossiers», se souvient l’un des réparateurs sollicités par la campagne d’explication et de recrutement déployée par les réseaux-candidats. A l’origine, on leur a "vendu" un même climat gagnant-gagnant, sur la même base du volontariat et du business additionnel», poursuit-il. Mais depuis le jour où les assureurs ont concentré un poids économique suffisant, le rapport de force s’est dégradé chaque année un peu plus, toujours au détriment des carrossiers, pour arriver aux excès du type Nobilas».«C’est peut-être bien le début de l’engrenage et le pire, c’est que l’expérience des carrossiers risque de ne servir à rien», prédit un autre : «l’approche de Covéa est économiquement séduisante, les têtes de réseaux sont évidemment sincères dans leur volonté d’apport de business et les réparateurs suffisamment préoccupés par l’avenir pour se laisser embarquer.»Un troisième enfin dresse le portrait d’un futur qui déchante en énumérant avec humour son propre décodage du cahier des charges de Covéa (voir l'intégralité de son témoignage) : «Faire une remise sur le taux horaire et sur les pièces ; respecter les temps constructeurs (fini les 2h de recherche panne, hi hi !) ; avoir des véhicules de prêt de moins de 3 ans et de moins de 40 000 km ; réagir de suite (une petite crevaison à 4 h du mat’… et hop !) ; et un petit expert qui va éplucher leurs factures et enlever des heures. Youpi !»Le débat ne fait sûrement que commencer. Car si les réparateurs veulent bien comprendre qu’il ne s’agit pas encore d’un réseau agréé pur et dur, ils craignent que Covéa n’ait ainsi entr’ouvert une porte par laquelle les assureurs vont pouvoir introduire, dans l’univers mécanique, leur "modèle" rodé côté carrosserie. Et cette possible ébauche de réseau mécanique "agréable", au sens assureur du terme, leur est visiblement… très désagréable.Voir aussi : Les assureurs bientôt sur le marché de l’entretien-réparation ?
Jean-Marc Pierret
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