Distribution: le défi croissant des pièces premium à prix internet

Jean-Marc Pierret
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L'accès aux pièces premium à prix internet et livrées physiquement dans les ateliers est en train de s'organiser et de se systématiser vers les réparateurs. Originauto a ouvert une voie que sont en train d'élargir Mister-Auto et surtout Otop. Ce défi commercial lancé à la distribution traditionnelle forcera-t-il cette dernière à adapter son modèle ?
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Il y a longtemps que la pièce premium au tarif web agace les réparateurs autant qu'elle les titille. Depuis 2003 en fait, quand Oscaro, devenu depuis leader incontesté du marché de la pièce en ligne, a le premier rendu accessibles et visibles de tous des prix inédits et jusque là tabous. A quelques pourcents près, il mettait alors pour la première fois en pleine lumière les tarifs obtenus par les centrales d'achat des distributeurs.Cette réalité s'est accrue au fil de la croissance du nombre d'acteurs de la vente de pièces en ligne dont les plus importants sont encore là (Oscaro donc, mais aussi Yakarouler depuis 2006 ou Mister-Auto depuis 2007...). Dès lors, c'était écrit : les réparateurs ont vu croître et embellir le nombre de leurs clients-automobilistes comparant le prix des pièces facturées par leurs ateliers avec celui, inévitablement inférieur, exhibé par les sites ; pour la première fois, ils ont dû s'interroger sur le positionnement-prix des pièces qu'ils posent.
Les voies dissidentes des réparateurs
Bien sûr, tous les réparateurs ne se sont pas contentés de subir sans réagir. A commencer par ceux qui vivent sur des territoires économiquement sinistrés. Certains ont alors opté pour des stratégies diverses et parfois même complémentaires.
  • L'achat direct sur internet. Certains réparateurs, en plus de la catégorie joliment appelée «semi-pros» par Mister-Auto (auto-entrepreneurs, retraités et autres salariés mécanos qui bricolent plus ou moins au black pour leurs proches ou pour des clients désargentés), sont devenus clients occasionnels de ces sites web pour s'approvisionner en "prix natifs" d'un circuit long qu'ils se sont ainsi mis à contourner. Mister-Auto, dans une récente interview, a estimé qu'ils constituent entre 30% et 50% de ses clients.
  • Le montage des pièces achetées sur Internet. D'autres, en acceptant de devenir centres de montage des sites, ont totalement abandonné le chiffre d'affaires de ces pièces. Ils n'ont certes gardé que la main d’œuvre liée à ces pièces prépayées par les clients-automobilistes, mais en pariant aussi sur le business additionnel potentiellement généré par ces entrées-ateliers. En outre, ils ont parfois majoré le prix de la main d’œuvre associée à la pose des pièces qu'ils n'ont pas achetées...
  • L'achat direct auprès des plateformes régionales. Si les deux catégories précitées font déjà les beaux jours des sites de ventes en ligne, il faut aussi évoquer ces réparateurs qui ont franchi un autre Rubicon : le changement pure et simple de code NAF. En adoptant très facilement celui réservé au «commerce de détail d'équipements automobiles» (voir «La possible et dangereuse multiplication des réparateurs 4532Z»), ils ont ainsi pu commencer à s'approvisionner auprès de certaines plateformes régionales. Des plateformes qui, en mal de business, se sont hypocritement contentées de vérifier le code sans s'attarder vraiment sur la nature de l'entreprise...
Le “prix  distributeur” encore légitime malgré internet
Mais pourtant, ces infidélités sont restées relativement marginales. Évidemment, les ventes en ligne, associées ensuite à ces alternatives adoptées par une partie de leurs clients réparateurs, ont agacé des distributeurs dont les ventes au comptoir ont été malmenées, parfois sinistrées. Pourtant, il n'ont pas non plus vécu d'hémorragie massive dans les rangs de leurs clients pros.Car le prix ne fait pas tout. Les réparateurs –dissidents évoqués inclus− sont restés massivement clients de leurs distributeurs pour les raisons qui, en fait, justifient le prix que ces derniers pratiquent : 2 à 6 livraisons par jour, s'il le faut de plusieurs références pour un même montage, le tout gratuitement en ce qui concerne la livraison initiale comme le retour éventuel. Sans oublier les MDD proposées par les distributeurs, afin d'adapter le prix de la pièce aux attentes budgétaires des consommateurs aux véhicules âgés.
Des services reconnus
Et ce ne sont pas là les seules plus-values affichées par les distributeurs. Bien d'autres services fondent aussi la légitimité des tarifs pratiqués : information technique, hotline de fait des magasiniers expérimentés voire même spécifiques avec des entreprises spécialisées, outils informatiques de plus en plus performants, équipements de garage, largeur et profondeur de gammes, accueil de sessions de formation dans leurs locaux de proximité ou, plus pragmatiquement encore, les RFA consenties en fonction du volume d'achat annuel.Parallèlement, leurs efforts en matière de déploiement d'enseignes ont contribué à maintenir une forte relation distributeur/réparateur et une fidélité des achats. Les réparateurs peuvent ainsi accéder de façon croissante à d'importantes évolutions digitales, des investissements en communication et marketing, des accords-cadres porteurs de business et d'autres partenariats optimisant les frais généraux des adhérents ou leur permettant de proposer des services inaccessibles sans la capacité de mutualisation que permettent les stratégies de réseaux...
La nouvelle offensive des “hybrides”
Mais voilà que les lignes se remettent à bouger. Les distributeurs vont devoir tenir maintenant compte d'un durcissement concurrentiel venant d'acteurs hybrides cherchant à réconcilier l'accès au prix internet avec la livraison physique des pièces. Depuis trois ans, plusieurs experiences ont creusé, puis élargi le sillon :
  • Le défricheur Originauto. Historiquement, il a tiré le premier. En septembre 2014, Originauto révélait une offre disruptive, même si ce mot n'était pas encore vraiment à la mode. En s'appuyant sur l'offre de plateformes régionales et en échange d'un abonnement mensuel d'une centaine d'euros, le site BtoB s'est mis à faire livrer deux fois par jour des pièces premium à -30% environ. Il a séduit quelque 400 réparateurs.
  • Le malin Mister-Auto. Assez logiquement, il fallait bien aussi qu'un des sites de ventes en ligne tente de porter ses prix et ses pièces jusqu'aux portes des ateliers. Depuis début février, Mister-Auto a renforcé son offre aux pros en promettant la livraison garantie à J+1, à domicile (donc à l'atelier), et cette fois gratuitement.Et si nos grandes oreilles ont bien entendu, le tout devrait s'assortir à court terme de retours tout aussi gratuits. Mister-Auto pense ainsi mieux servir les 7 000 clients professionnels qu'il revendique, indépendants et membres du réseau PSA, tout en attirant bien sûr de nouveaux adeptes.
  • L'accélérateur Otop. Depuis le 7 février dernier, le réseau proposé par Newdis est venu encore consolider la tendance. Et cette fois, en ajoutant même l'atout inédit d'une distribution de proximité (voir tous nos articles sur le sujet).Il veut proposer aux réparateurs la pièce premium au prix de son stock national −c'est à dire jusqu'à 9% moins cher que le “prix Oscaro” !− tout en la faisant livrer à J+1 à l'atelier au travers d'un réseau de points de services de proximité. Un réseau qui ouvre déjà ses premiers centres-pilots et compte d'ici 2 ans atteindre 181 points franchisés, chargés chacun de gérer environ 171 réparateurs locaux. Otop espère pouvoir ainsi s'adjuger 3,5% du marché de la vente de pièces à réparateurs.
Un nouveau défi à relever ?
Aussi marginale soit-elle encore, cette nouvelle génération de premiers de cordée risque bien de susciter d'autres vocations. Les prochaines initiatives alliant digital, prix cassés et pièces physiques pourraient bien finir en ce moment de se peaufiner chez certains acteurs issus de la grande distribution.La solidité et la cohérence du modèle traditionnel des distributeurs résisteront-elles à ces nouvelles offres tentant de coupler le prix internet avec un minimum crédible de services de proximité ? Ou faudra-t-il que la distribution traditionnelle en vienne à devoir dégrader ses prix de ventes −et donc ses marges− pour pouvoir maintenir ces hybrides et leurs émules à distance raisonnable des réparateurs ?Comme d'habitude, nous vous tiendrons au courant...
Jean-Marc Pierret
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