VE & sécurité routière : les propositions du SEAI au Ministère

Romain Thirion
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Alors que le premier comité de suivi VE depuis des années s’est tenu le 23 octobre, le Syndicat des experts en automobile indépendants (SEAI) avait déjà adressé au Ministère de l’Intérieur des propositions d’évolution de la procédure “véhicules endommagés” et d’amélioration de la sécurité routière en générale, en remettant l’expert dans la position de juge de paix pro-sécurité avant tout.
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Cela faisait de trop longues années que le comité de suivi VE (véhicules endommagés), qui réunit notamment l’État, les représentants des organisations professionnelles de réparateurs et d’experts, et les assureurs, entre autres, n’avait pas été réuni (voir «Comité de suivi VE : les pistes d’évolution du CNPA»).Une séance à laquelle le Syndicat des experts en automobile indépendants, très récent et donc non représentatif, n’assistait pas, ce qui n’a pas empêché celui-ci de transmettre, plusieurs mois avant la réactivation du comité, des propositions afin d’améliorer encore les conditions de sécurité routière des véhicules. En insistant sur le rôle d’impartialité et de technicité de l’expert et en remettant sur la table quelques principes clefs de la procédure VE. Surtout à la lumière des scandales de d’épaves roulantes qui secouent le secteur de la réparation-collision et du commerce de VO depuis trois ans…
Des trous dans la raquette de la procédure VE
Dans le document envoyé au Ministère de l’Intérieur (cliquez ici pour le visualiser), le président du SEAI, Karim Megrous, fait bien le distinguo entre véhicules gravement endommagés (VGE) et véhicules économiquement irréparable (VEI), dont la responsabilité du classement n’incombe qu’aux assureurs. Et rappelle que les VGE, qui nécessitent une présomption de dangerosité de la part d’un représentant des forces de l’ordre, ou l’affirmation de la part d’un expert en automobile, «sont concernés d’une part, par une opposition au transfert du certificat d’immatriculation (CI) et d’autre part, par une interdiction de circuler lorsque le véhicule présente cette fois un caractère de dangerosité (articles R327-3, L327-4 et 5 du code de la route, annexe 2 de l’arrêté du 29 avril 2009)».Or, les deux procédures ne suffiraient pas à couvrir l’ensemble du spectre de véhicules potentiellement dangereux à la circulation, affirme le document du SEAI. «En effet, dans le cas où le contrat d’assurances n’inclut pas une indemnisation pour les dommages causés (pas d’assurance dommages tous accidents), un sinistre sans tiers ou engageant la responsabilité du propriétaire du véhicule ne fera l’objet d’aucune expertise. Dès lors, aucune des deux procédures ne sera initiée, hormis en cas d’intervention des forces de l’ordre.» Par voie de conséquence, «le véhicule pourra être réparé sans aucun contrôle, circuler sur les voies ouvertes à la circulation et être vendu à n’importe quel citoyen, alors même qu’il pourrait présenter un caractère de dangerosité». Et ce, sans que réparateur et/ou vendeur ne soient dans l’illégalité.
Expertiser tous les véhicules ayant subi un dommage !
En outre, les véhicules âgés étant souvent assurés à minima, généralement au tiers, «en cas de sinistre responsable ou sans tiers, ces véhicules ne seront donc jamais expertisés et aucune des deux procédures ne pourra donc être initiée. Il s’agit pourtant de véhicules souvent fortement kilométrés et dont les organes de sécurités sont vieillissants et devraient donc faire l’objet d’une attention particulière», ce que le contrôle technique est censé faire mais dans la limite de sa périodicité biennale. «Afin d’éviter que ces véhicules passent au travers d’une éventuelle application des procédures VEI ou VGE, il conviendrait que tous véhicules ayant subi un dommage fassent l’objet d’une expertise», ose donc le SEAI ! De quoi hérisser à coup sûr quelques poils dans le Landerneau de la réparation auto… Et une façon de valoriser la délégation de service public dont dispose l’expert en vertu de l’agrément d’Etat dont bénéficie la profession.Mais le SEAI n’oublie pas la pertinence de donner aussi aux réparateurs la possibilité d’émettre une présomption de dangerosité d’un véhicule ! «Ces derniers, en tant que professionnels de la réparation automobile et intervenants dès les premières étapes qui suivent la survenance d’un sinistre, lors du remorquage par exemple, seraient plus à même d’émettre cette présomption de dangerosité, explique le syndicat. Ainsi, le champ d’application de la procédure VE ne se limiterait [donc] plus aux seuls véhicules endommagés et assurés mais bien à l’ensemble des véhicules, dès lors qu’ils sont confiés à un professionnel de l’automobile.» Tout à laissant à l’expert la charge de confirmer ou non cette présomption.
Le risque du chiffrage automatique et des levées d’opposition fréquentes
Dans son document envoyé Place Beauvau, le SEAI relève aussi la difficulté à relever la dangerosité d’un véhicule suite à l’abus de certaines pratiques… Comme le chiffrage automatique, par exemple. «Parallèlement, il existe des pratiques assurantielles qui sont susceptibles d’écarter involontairement des véhicules endommagés de ces procédures VE, notamment, lorsque des “photo expertises” ou des chiffrages automatisés sont réalisées pour le compte des assureurs, déplore le SEAI. En effet, ces systèmes évitent tout simplement le recours à un expert sur site, impliquant l’impossibilité de relever le caractère de dangerosité qui aurait permis le déclenchement de la procédure VGE.»Ou comme les trop nombreuses levées d’opposition auxquelles sont autorisés les experts, qui sont très chronophages car exigeant pourtant visite avant, pendant et après travaux au centre de contrôle technique, ainsi que, parfois, contrôle sur banc de mesure tridimensionnelle et contrôle des soudures. «Les dernières affaires ont montré un nombre de levées de VE anormalement élevé, 600 en 6 mois pour la dernière affaire en date, soit 5 levées par jour, déplore le SEAI. Sachant qu’un minimum de 3 visites par véhicule est nécessaire, nous obtenons une moyenne de 15 visites par jour, ce qui est mathématiquement irréalisable d’autant plus, si l’on y ajoute le temps nécessaire aux déplacements, ainsi qu’à la partie administrative.»Aussi, le jeune syndicat propose-t-il d’intégrer une alerte au sein du SIV au-delà de laquelle la DSCR «serait avertie lorsqu’un expert aura réalisé un nombre important de levées VE sur une période donnée et qui serait défini comme critique», ce qui lui permettrait de «déclencher une enquête». A moins de définir d’emblée «un quota de levées VE par jour ou par semaine et par expert (par exemple 2 par jours)». Ce qui pourrait, là encore, faire jaser dans les cabinets qui ont fait de l’expertise VE pour les assureurs leur fonds de commerce…
Insister sur les contrôles, sur le mandat…
Si le SEAI revient sur les contrôles obligatoires auxquels l’expert doit soumettre le véhicule, et recommande notamment «d’imposer la présence de l’expert lors de TOUTES les étapes de contrôles, et d’imposer un contrôle annuel des bancs de géométrie des trains roulants et de mesures tridimensionnelles», il fait un focus encore plus important sur le temps imparti aux expertises VE. En insistant sur l’extrême disparité entre cabinets “agréés” par les compagnies d’assurance, surchargeant de missions leurs experts et s’exposant au risque de rapports réalisés a minima, et les cabinets “non conventionnés” par ces mêmes assureurs ayant parfois «du mal à remplir leurs agendas».Aussi le syndicat suggère-t-il deux solutions pour y remédier. La première : la libre désignation de l’expert par l’assuré sur la base de la liste nationale, solution qui aurait le mérite de couper «le lien de clientélisme (de subordination) [de l’expert conventionné] avec son mandant» assureur. La seconde : l’attribution à l’automobiliste d’un expert ou, mieux, la proposition de 3 experts sur la zone géographique du lieu de l’expertise. «Ce ou ces 3 experts serai(en)t désigné(s) de façon aléatoire et équitable d’après la liste nationale», propose le SEAI.
…et sur la réglementation des PIEC autorisées
Le document évoque également, actualité oblige, l’exigence de réglementation des pièces issues de l’économie circulaire (PIEC) autorisées dans la remise en état d’un véhicule, en particulier lorsqu’il s’agit d’organes de sécurité, que le SEAI propose de réglementer en excluant de la liste de PIEC dédiées les équipements suivants :
  • Système pyrotechnique
  • Ceinture de sécurité.
  • Éléments de train roulant (amortisseurs, articulation, pièces en mouvement)
  • Éléments constituant la direction
  • Éléments de freinage (disques, plaquettes, tambours, garnitures, étriers, conduits, maitre-cylindre, servofrein)
  • Éléments de carrosserie soudée.
«L’interdiction d’utilisation de ces pièces impliquerait logiquement l’interdiction de leur vente, ce qui limiterait leur utilisation pour remettre en état des véhicules endommagés et échappant aux procédures VE», tranche même le SEAI ! Encore une mesure qui devrait faire bondir de leur chaise les spécialistes du recyclage automobile ainsi que les groupements de distribution qui se sont lancés dans l’activité PRE pour maîtriser au mieux une filière qui leur était jusqu’ici étrangère.
Le vœu d’un Carpass ou d’un Carfax français
Si le SEAI propose, dans son document, de réglementer les tarifs minimum des prestations liées à l’expertise VE, afin de mettre fin à la notion de concurrence au moins disant forcément néfaste à la notion de sécurité routière, il suggère également au Ministère de l’Intérieur la possibilité de faire intervenir l’expert avant chaque nouvelle immatriculation d’un véhicule d’occasion, afin de «limiter la mise en circulation d’épaves maquillées».Une idée qui, cette fois, devrait trouver davantage d’écho auprès de l’ensemble de la population d’experts. Mais là où le SEAI devrait rejoindre les combats des réparateurs aussi, c’est dans sa volonté de mise en place d’une base de données concernant l’historique des véhicules, à l’image de ce que propose le système belge Carpass ou l’américain Carfax.«Pour que l’expert réalise un suivi de réparation, connaître l’historique du véhicule lui serait d’une aide précieuse, mentionne le document. Cela lui permettrait d’avoir une attention particulière si le véhicule a déjà fait l’objet de dommages antérieurs. De même, pour les particuliers souhaitant acquérir un véhicule, ceux-ci souhaitent se voir confirmer le kilométrage d’un véhicule et savoir si celui-ci a fait l’objet de sinistre important.» Aussi le SEAI fait-il la proposition de rendre accessibles les données d’acteurs tels que l’UTAC-OTC qui «recense les contrôles techniques réalisés sur les véhicules, la date des contrôles et les kilométrages» ainsi que le SIV qui «est informé des dates relatives aux différentes étapes liées à la procédure VE».Et le syndicat d’experts d’ajouter que «la mutualisation de ces informations dans un système informatique, […] en établissant une restriction d’accès aux données personnelles selon le statut de la personne qui sollicite le système (de la même manière que le SIV ne divulgue pas toutes les informations selon le professionnel qui s’y connecte), permettrait aux experts, entre autres, de connaître l’historique du véhicule et favoriserait la diminution des fraudes au kilométrage».Un combat qui, cette fois, s’avère relativement partagé par l’ensemble des acteurs œuvrant au sein de la filière des services de l’automobile.
Romain Thirion
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