« L’IAM entrera aussi dans l’ère de la digitalisation par l’IA, comme tous les autres secteurs »

Muriel Blancheton
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Alexander Gruzdev

Un secteur auto américain en redressement mais face à une concurrence chinoise féroce et un gouvernement qui scalpe les incentives pour le véhicule électrique… Analyse d’Alexander Gruzdev, consultant, sur un marché qui doit également affronter une pénurie massive de techniciens dans les ateliers. L’intelligence artificielle peut-elle résoudre une partie du problème ? 

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Quelles sont vos observations et votre analyse pour 2024 sur l’automobile en général et la pièce en particulier ?

Alexander Gruzdev : Le secteur automobile américain s’est redressé et continue dans ce sens. Les ventes de véhicules légers et de camionnettes devraient très probablement atteindre les niveaux d'avant la pandémie. Les concessionnaires s'en sortent généralement bien. Il faut cependant noter un événement majeur qui a stupéfié le secteur VN : le développeur de logiciels automobiles CDK Global a été frappé par des cyberattaques successives menées par le groupe BlackSuit qui a exigé une rançon. Cette attaque a entraîné la mise hors ligne de ses systèmes et a touché plus de 15 000 concessionnaires en Amérique du Nord. Pendant ce temps d'arrêt, de nombreux concessionnaires ont dû revenir aux stylos et aux papiers ! Il a fallu plusieurs jours pour rétablir la liaison et retrouver un fonctionnement optimal. L'événement a suscité des inquiétudes déjà nombreuses concernant la cybersécurité. Le marché secondaire indépendant n'a pas été touché par l'attaque. Ce secteur est toujours prêt à poursuivre son chemin de la digitalisation. 
Autre observation, celle d’un parc automobile croissant mais vieillissant, atout pour l'IAM, mais sur un secteur où le consommateur réalise de plus en plus lui-même son entretien. L'inflation et le climat économique affectent les automobilistes et les incitent à économiser sur les réparations. En conséquence, la demande de pièces de rechange se déplace vers les places de marché et les magasins en ligne, ce qui pose des défis supplémentaires aux réparateurs traditionnels.

Quels sont les plus grands défis que les distributeurs VN en général et le marché indépendant en particulier doivent relever aujourd'hui pour être encore debout demain ?

A.G. : Globalement, pour l'ensemble du secteur, le principal défi reste la concurrence des constructeurs chinois, autant en matière de véhicules électriques que de véhicules à moteur à combustion interne. Le marché chinois souffre en effet d'une demande locale insuffisante. Ils peuvent produire plus qu'ils ne peuvent vendre localement, de sorte que les fabricants chinois exportent dans le monde entier. Ils sont largement aidés par leur gouvernement et les fabricants chinois peuvent offrir des prix plus bas, même en ajoutant les coûts logistiques. C'est ce que l'on constate au Mexique, où cinq grands constructeurs mondiaux ont toujours dominé le reste du peloton. Sauf qu’en l'espace de deux ans, la situation a beaucoup évolué et les constructeurs chinois jouent désormais un rôle prépondérant sur le marché mexicain. Il en va de même sur le marché russe, où les chinois représentent désormais 50 % des ventes de voitures neuves.

Comment analysez-vous la situation très compliquée de l'industrie automobile ?

AG. : Avec l’administration Trump, nous allons probablement assister à l'arrêt du programme gouvernemental d'allègement fiscal de 7 500 dollars, ce qui entraînera à son tour un ralentissement à court terme des ventes de véhicules électriques. Cependant, Elon Musk étant très proche de cette administration, je ne pense pas qu'il se « tirera une balle dans le pied » ! Donc, l'électrification devrait se poursuivre à plus long terme. Beaucoup d'investissements ont déjà été faits, donc les ventes de VE vont continuer à croître. Il faut cependant noter que les tensions géopolitiques mondiales entraînent des coûts énergétiques prohibitifs qui compliquent encore la situation. De nombreux dirigeants mondiaux ont compris que pour passer aux VE et à la demande d'électricité qui en découle, il faut augmenter le nombre de centrales électriques. 

Quels sont les prochains défis pour le marché américain ?

AG. : Une pénurie de main-d'œuvre ! Le manque de techniciens qualifiés reste un problème majeur, ce qui impacte la qualité du service et la satisfaction des clients. Ce qu'il faut retenir, c'est que le métier de technicien automobile est un « good job », et que l'essor de l'IA et de tous les autres outils numériques ne devrait pas beaucoup affecter ce pan de la filière. La main-d'œuvre est toujours très demandée. Mais cela signifie aussi que les salaires doivent être augmentés pour être compétitifs, même avec un impact sur les coûts de main-d'œuvre et des prix globaux facturés aux clients. L'autre défi est la persistance des tensions dans la chaîne d'approvisionnement. La nouvelle administration ne les résoudra pas si, comme elle l'a promis, elle introduit des droits de douane. Les tensions géopolitiques croissantes avec la Chine nécessiteront également des stratégies d'approvisionnement différentes.

Quelle est votre vision à cinq ans pour l'AIM, compte tenu de la situation actuelle de l'OE ?

AG. : Je pense qu'il vaut mieux parler d'une prévision à quatre ans, étant donné la nouvelle administration ! La concurrence chinoise affectera le marché sous tous les angles. Une guerre commerciale avec une augmentation des droits de douane va commencer, et nous verrons probablement des problèmes d'approvisionnement en composants. Cela entraînera une augmentation des coûts, pour le reconditionnement ou pour les pièces fabriquées localement. 
Enfin, l’IAM entrera aussi dans l’ère de la digitalisation par l’Intelligence Artificielle, comme tous les autres secteurs. Nous verrons probablement des outils spécifiques à l'industrie avec l’IA, qui faciliteront la planification, le suivi des clients, etc. Mais cela ne contribuera pas à atténuer notre pénurie de main-d'œuvre ! La complexité croissante des véhicules créera une nouvelle génération de techniciens qui auront besoin de compétences en programmation, au lieu d'une clé à molette. C'est cette génération qui contribuera à améliorer l'image globale de la profession automobile et à convaincre de nouveaux talents de rejoindre ses rangs.

Muriel Blancheton
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