
Franck Jolly (Wolf Oil) : « L’huile est devenue une pièce de rechange à part entière ! »

Pour Franck Jolly, le directeur des ventes de Wolf Oil, le lubrifiant est un produit d’appel historique comme le pneumatique pour l’atelier. Le business a été logiquement adopté par les distributeurs en Europe de l’Ouest. Pour les toucher au plus près, Wolf Oil mise sur son métier de spécialiste.
Quelles sont les positions mondiales de Wolf Oil ?
Franck Jolly : Nous réalisons 200 M€ de chiffre d’affaires générés à 50% par nos marques de distribution et l’OE, le reste est issu de nos deux marques propres, Wolf Oil et Champion. L’Europe représente 50% de notre business. Nous fabriquons 100% de nos produits en Belgique (terre d’origine) hors produits annexes comme les liquides de refroidissement. Le Made In Europe est notre force car nous contrôlons toute la chaîne de fabrication. Nous sommes également distribués en Afrique et au Moyen Orient, en Russie où nous enregistrons une croissance de 40%. Nous développons la Chine via une récente filiale locale. Le continent américain est plein de promesses, notamment en Amérique du Sud où nous fonctionnons déjà en mode export, puis les États-Unis et le Canada où nous allons accélérer. A chaque fois, nous fonctionnons en étant sélectifs dans notre distribution et créatifs. Nous sommes un groupe de 250 personnes. Nous sommes des petits poucets face à des géants comme Castrol, Total, Shell, Mobil… Nous devons donc jouer la démarcation.
De quelle manière ?
F. J. : Le lubrifiant est un produit d’appel historique comme le pneumatique pour l’atelier, mais la multiplication des homologations constructeurs lui ont donné le statut de pièce de rechange à part entière ! Ce qui signifie que ce business a été logiquement adopté par les distributeurs en Europe de l’Ouest. Pour les toucher au plus près, nous misons sur notre métier de spécialiste. 70% de notre CA est réalisé chez les distributeurs, avec nos marques Wolf Oil et Champion. Donc, nous déployons avec eux des programmes complets : renforcement du marketing, tournées accompagnées, formations sur la partie technique et/ ou commerciale et couplées avec du e-learning. Pour le réparateur, nous apportons des solutions digitales comme notre appli téléchargeable avec scan de la plaque ou accès au catalogue en ligne… Nous avons également initié un vrai « push » commercial en 2012 (afin de rééquilibrer ses ventes très axées sur les MDD jusqu’en 2011, ndlr) en relançant nos marques Wolf Oil et Champion : travail des gammes, marketing poussé, sponsoring sportif depuis 2018*… Ce coup d’accélérateur a reboosté notre notoriété dans les ateliers. Nous avons fortement investi sur les équipes de vente en France, en Italie, en Espagne et au Portugal, soit une quarantaine de personnes sur le terrain. Enfin, nous réfléchissons au déploiement d’un programme de fidélité européen vers les garages, dans l’esprit de ce que nous avons mis en place aux Pays-Bas avec PartsPoints (racheté par AAG en 2019) et ses 200 points de vente dans lequel nous déployons notre concept Champion Service Point.
La concentration des acteurs a-t-elle compliqué votre métier ?
F. J. : Les gros distributeurs veulent une offre unique en Europe et recherchent des solutions par produits. LKQ est le plus actif pour cela. Il a même racheté son fournisseur d’huile (MPM International Oil Company en 2018). Notre chance en tant que spécialiste du lubrifiant réside dans notre positionnement, à la fois en tant que fournisseur de MDD pour la distribution, mais aussi avec nos deux marques propres. Ce marché va de plus en plus vite. Il faut donc être agile, notre position de challenger est là encore un atout. Car la concentration va se poursuivre, accélérée par le digital. Le modèle est en rupture, c’est certain, d’autant que la montée en puissance des marques privées crée des mastodontes qui se reportent sur des fournisseurs turcs ou chinois. Le risque est de créer un marché avec de l’ultra Premium et du low-cost. Il faut des alternatives pour obtenir un marché sain et équilibré.
Vous travaillez avec les groupements d’achats ?
F. J. : Bien sûr ! Nous sommes référencés en tant que « Preferred Supplier » chez Nexus mais également chez Groupauto International... Cela nous ouvre des perspectives de développements internationaux en étant accompagnés par ces derniers. Les ITG sont dynamiques, c’est leur ADN, tout en agrégeant des groupements avec des entreprises de tailles intermédiaires. Nous sommes sélectifs, donc nous n’allons pas travailler avec tout le monde.
Ressentez-vous une forte concurrence du web ?
F. J. : Il y a de plus en plus de plateformes Retail et BtoB avec des places de marché en expansion. Mais comme la distribution traditionnelle, ce segment va se rationaliser. Le but est de maitriser ces flux et de manière intelligente afin de ne surtout pas nous déstabiliser par rapport à nos clients distributeurs. C’est un levier pour faire de la croissance et se diversifier. La question est de savoir avec quelle marque. Nous devons finaliser, comme les autres équipementiers, cette stratégie web. Tout est en réflexion.
Comment intégrez-vous l’électrification des véhicules dans votre business ?
F. J. : Sur les huiles moteur et la transmission, nous sommes particulièrement impactés par les véhicules 100% électriques. Mais il reste des besoins très spécifiques sur ce véhicule car il est alimenté par plusieurs petits moteurs nécessitant des huiles ultra spécifiques. Nous avons déjà une gamme dédiée sur les hybrides. Les quantités en volume seront moindres, c’est certain, mais les produits sont à plus forte valeur ajoutée. Nous nous sommes déjà adaptés en développant les huiles synthétiques venues compensées les espacements de vidange. La marge en valeur absolue est plus intéressante sur un marché déclinant en volume. Ce qui est également le cas sur d’autres familles de pièces mécaniques. Le modèle migre mais il n’est pas perdu.
Que pensez-vous des constructeurs et de leur stratégie aftermarket ?
F. J. : On parle beaucoup de PSA, mais Volkswagen et Ford arrivent également dans la partie. L’allemand notamment a clairement annoncé son accélération dans ce domaine. Et son plan passera par la fidélisation via le digital pour rendre le client captif. Un véhicule hybride conduit mécaniquement son propriétaire vers le concessionnaire. C’est une réalité. Ils sont encore un peu timides, mais ils s’offrent les compétences qu’ils n’ont pas en interne. Et s’ils le veulent vraiment, ils peuvent faire très mal à la rechange indépendante.
*WRC pour Wolf Oil, Rallye Cross pour Champion, le Dakar en PL et moto pour l’Enduro
Muriel Blancheton
Sur le même sujet




