Exclusif – Riposte de la Matmut au libre choix: les experts, otages des assureurs
Nous le pressentions dans notre article "La bataille est gagnée... mais pas la guerre" : les assureurs n’allaient tout de même pas rester les bras ballants face à une loi Hamon instaurant –enfin, disent les carrossiers– le libre choix du réparateur ! Il fallait de toute urgence trouver une parade à un texte rendant effectivement à l’automobiliste son droit le plus strict de consommateur et au carrossier, celui d'aller le séduire librement... C’est désormais chose faite pour AMF Assurances et la Matmut, filiales du groupe éponyme. Et il se murmure même que d’autres éminents donneurs d’ordres fourbissent des armes assez similaires.
La promptitude de cette contre-attaque que nous transmet un lecteur le prouve : avant même la promulgation de la loi Hamon, la Matmut et AMF Assurances savaient déjà comment la contourner, avec la complicité forcée d’experts qui voient ici leur indépendance encore battue en brèche. Du côté des deux compagnies d’assurances, la riposte était prévue depuis longtemps, puisque la note qu’elles viennent d’envoyer à leurs experts agréés est datée du mois de décembre 2013. Elle n’attendait plus que le vote favorable du Sénat pour être lancée.
Le subterfuge du dépositaire
Sous couvert de questionner la conformité de certains dépositaires de véhicules accidentés (dépanneurs, remorqueurs, voire concessionnaires faisant sous-traiter la réparation carrosserie) quant à leur code APE ou leur atelier, la note précise plus loin son véritable but : éliminer les factures aux «coûts non concurrentiels». Entendre "non concurrentiel pour les assureurs", et non pour les réparateurs. Dans le viseur des deux compagnies, bien sûr, se trouvent les factures aux taux horaires réels, les tarifs publics affichés par le professionnel dans son atelier et qu’il n’a théoriquement plus à craindre de pratiquer.
La Matmut et AMF Assurances tombent d’ailleurs le masque dès le troisième paragraphe de la note. «Nous entendons que l’assuré soit mis face à la réalité lorsqu’il s’adresse à un réparateur dont le coût de réparation est élevé, soit pour les raisons ci-dessus (la conformité, NDLR) ou soit parce qu’il entend retenir une méthode onéreuse.» D’autant que, selon le courrier, «il relève des prérogatives de l’expert en automobile d’avoir à rechercher le juste coût de la réparation du dommage», renvoyant à un texte de Lionel Namin, juriste et secrétaire général de l’ANEA. Et, ce, en dépit du libre choix dont bénéficie l’automobiliste. Cette référence à la chambre syndicale des experts indépendants, par ailleurs, gênera sûrement aux entournures plus d’un expert libéral…
Considérer le «coût global»
Pour arbitrer, la Matmut et AMF Assurances encouragent donc leurs experts à considérer le «coût global» de réparation, et non plus le taux de main d’œuvre. Question de probité, bien sûr. Les deux donneurs d’ordres n’en font pas mystère à leurs experts : «Si les tarifs horaires constituent d’évidence une composante majeure de ce coût, ils ne doivent pour autant jamais être mis en avant comme constituant le problème, ceci tant vis-à-vis du réparateur que de l’assuré, au risque de se retrouver en situation délicate au plan juridique».
La méthode préconisée pour retrouver le coût concurrentiel cher à la Matmut/AMF Assurances est la suivante : les experts doivent faire jouer la concurrence locale entre réparateurs afin de « dresser une moyenne arithmétique » du coût de réparation, « devenant de fait l’estimation du coût de la remise en état » ! Tout d’abord, l’expert devra vérifier la réalité des dommages et expertiser le véhicule accidenté sans chiffrer le montant de ces dommages dans le procès verbal remis à l’assuré mais en soulignant, par écrit, la nécessité de « recherches complémentaires quant à l’évaluation du dommage ». Car celui-ci risque de s’exposer à un montant anticoncurrentiel.
L’expert doit ensuite procéder à un petit benchmark des réparateurs du secteur, à «structure et équipement comparables» (bonne chasse...) ou capables de réaliser les travaux expertisés. D’abord en évaluant le coût de remise en état du véhicule par l’établissement dépositaire choisi par l’assuré, puis ceux d’au moins trois réparateurs des environs, en retenant les tarifs publics, même si ces réparateurs sont déjà agréés Matmut/AMF Assurances et pratiquent, en réalité, des tarifs bien inférieurs. Une méthode évidemment imparable pour obtenir une «moyenne arithmétique» du coût global de réparation supérieur au coût réel de réparation dans un atelier agréé Matmut/AMF ! En opposant ainsi des réparateurs voisins, voilà qui peut aussi,en passant, permettre de diviser ceux qui veulent se rassembler localement pour mieux communiquer le libre choix (voir «Les carrossiers indépendants nancéiens à l’affiche»).
L’expert complice... et récompensé par la Matmut !
Non content de saborder sa propre crédibilité en tant que professionnel indépendant diplômé d’Etat, l’expert doit également convenir de toute une somme d’incartades sur son rapport d’expertise qui, «par exception», bien entendu, ne doit pas valider de facture mais simplement faire état d’estimations et des opérations à effectuer sans préciser ni temps opératoire, ni taux de main d’œuvre, au profit de la fameuse «moyenne arithmétique» du coût de réparation global !
Bien évidemment, une telle procédure nécessite d’autres formes d’ententes anticoncurrentielles de la part des experts agréés Matmut/AMF, notamment d’appliquer tous strictement les mêmes consignes s’ils partagent un même secteur, sous peine de voir s’envoler des opportunités de business. Des opportunités largement au profit de la Matmut/AMF, moins à celui de "ses" experts… L’abus de position dominante des donneurs d’ordres sur l’expertise ne peut plus, dans ce cas, être relégué au rang des théories du complot. Au moins les deux donneurs d’ordres consentent-ils, «en cas de conclusions rédigées en désaccord, à accepter que la note d’honoraires soit portée à une fois et demi les honoraires de base». En grand seigneur face à un avilissement réel de professionnels censés être indépendants. Que ne doit pas consentir un expert, aujourd’hui, pour conserver des volumes de travail...
Que les réparateurs, menacés dans le libre affichage de leur taux horaire ou dans leur droit de faire sous-traiter les réparations, et les experts outragés qui ne sont pas encore au courant de la note, se rassurent toutefois : l’information circule déjà vite dans les sphères d’influence. Certaines organisations professionnelles travaillent déjà sur cette étrange approche. Ne serait-ce que pour, elles aussi, dresser les barricades nécessaires pour préserver un libre choix à peine né. Et déjà martyrisé.
On attend bien évidemment vos réactions...
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