[Atlas] Constructeurs : vers des pactes entre frères ennemis

Jean-Marc Pierret
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Concurrences

Les constructeurs le savent et commencent à l’accepter : ils abandonneront toujours plus de parts de marché après-vente du fait de l’électrification croissante de leurs VN. Et ce, au profit des indépendants qui savent traiter les technologies récentes tout en continuant à régner sur un parc thermique toujours plus vieillissant. L’heure arrive des pragmatiques et stratégiques alliances…

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Pour les constructeurs, l’époque est aux révolutions coperniciennes. Oubliés, les vains espoirs d’une ultime rupture technologique qui pourrait exclure les acteurs indépendants de l’après-vente. Finie, cette guerre de tranchées entre les deux camps qui a duré toute la fin du 20ème siècle. Car avec ou sans enseigne, indépendants ou sous franchises, ces réparateurs multimarques petits ou grands sont et resteront inlassablement formés et informés, via leurs têtes de réseaux et/ou via les distributeurs-stockistes, par ces équipementiers qui concentrent toutes les innovations technologiques majeures qui irriguent les productions auto.

Fin d’un business model

Les états-majors desdits constructeurs l’ont en outre calculé : ils n’ont déjà plus les moyens d’entretenir leurs coûteux réseaux exclusifs tels qu’ils existent. Les marges s’effondrent ; la digitalisation vide les coûteux showrooms, ces cathédrales démodées par la transition pragmatique du « ownership » (propriété) vers le « usership » (usage). De statutaire, l’auto se dégrade en banal outil de mobilité. Tout cela, les concessionnaires l’ont bien sûr pressenti, parfois découvert par des vagues massives de résiliations. Ils se diversifient, s’hybrident même de plus en plus souvent avec des enseignes multimarques.

Après avoir adoubé la pièce équipementière, les constructeurs s’apprêtent donc à franchir un autre pas historique : ils vont bientôt commencer à s'appuyer sur les réparateurs indépendants pour, sinon les agréer, au moins les labelliser, en complémentarité servicielle de ce qu’il restera de leurs réseaux de concessionnaires et d’agents.

Les indices de ce changement de paradigme sont depuis longtemps semés. Ils affleurent dans de secrètes tentatives avortées de rachat de grands distributeurs indépendant de pièces ; ils s’avèrent dans la reprise de réseaux de plateformes ou de distributeurs indépendants ; ils se répandent dans de nombreuses rencontres discrètes entre constructeurs et grandes enseignes de franchises. Le récent accord Stellantis/Feu Vert n’est évidemment qu’une première réalisation ; les semaines, au pire les mois qui viennent, verront ces prémices généralisées par tous les constructeurs.

Vers une paix armée

Lucides, les constructeurs annoncent même qu’ils pourront gagner, à court terme, peut-être plus d’argent avec les données émises et exigées par leurs voitures que par la vente VN elle-même. « Les logiciels constituent un levier de croissance avec des marges supérieures à celle de l'automobile », vient d’annoncer Stellantis. Le groupe aux 14 marques prévoit déjà de réaliser 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an dès 2026 dans ses nouveaux services connectés, contre 400 millions d'euros aujourd'hui.

Ne soyons pas naïfs. Si les constructeurs ouvrent les vannes collaboratives et lancent des ponts vers la rechange et la réparation indépendantes, c’est en restant convaincus qu’ils renforceront ainsi le contrôle du marché et le contact avec « leurs » clients automobilistes, particuliers comme flottes, par la maîtrise en amont des outils et données générés par la révolution digitale. Et s’ils s’appuieront probablement toujours plus sur les stocks de la rechange indépendante et des équipementiers pour servir leur parc roulant, ce ne sera pas sans tenter de ravaler la distribution indépendante au rang de sous-traitant.

« Si tu ne peux vaincre ton ennemi, embrasse-le », édicte un proverbe tibétain que les constructeurs semblent donc faire leur. Constructeurs et indépendants vont certes se rapprocher pour embrasser ensemble un seul et même marché. Ils ne seront peut-être plus frontalement ennemis ; mais même à bas bruit, ils demeureront concurrents…

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Jean-Marc Pierret
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