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Allo Mécano (suite) : les deux réponses d’Axa…

Jean-Marc Pierret
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Axa prend visiblement au sérieux la fronde anti-Allo Mécano. L'assureur nous a répondu deux fois : indirectement d'abord, en adoucissant de son propre chef le message de son site Allo Mécano ; ensuite, dans une longue réponse de son porte-parole Eric Lemaire que nous reproduisons et commentons ici. Ses précisions ne sont pas toujours convaincantes. Et certaines imprécisions, inquiétantes...

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1. Le site Allo Mécano, ou «le jeu des quatre erreurs»

La première des deux réponses d'Axa à la fronde anti-Allo Mécano s'est faite spontanément et discrètement. Nos lecteurs les plus attentifs l'auront peut-être déjà remarqué en surfant ces derniers jours sur le site de présentation du service : un des quatre dessins détaillant son fonctionnement a été très récemment et assez profondément amendé. Vous ne l'avez pas vu ? Comparez attentivement ces deux images :

Axa-jeu-des-deux-erreurs
Avant la réaction outrée des professionnels...        Après leur réaction outrée 


A gauche, le dessin initial du “mécanicien Axa” discutant avec le réparateur. Il affichait à l'origine cette volonté implacable que nous avions notée en soulignant, dans notre premier article, «les sourcils froncés du justicier déterminé à exiger un -20% que le réparateur lui accorde évidemment derechef». A droite maintenant, la nouvelle version mise très récemment en ligne : les sourcils accusateurs ont disparu ; la bouche de l'expert Axa s'est affinée en un sourire bienveillant ; un opportun point d'interrogation après le «-20%» vient maintenant “arrondir” le dialogue par une question bien plus conviviale, respectueuse et policée. Enfin, vous aurez peut-être aussi noté que le représentant d'Axa a gagné un col et une jolie cravate. Incarne-t-il donc maintenant l'assureur, plus que le mécanicien expert ?

En nous ramenant ainsi dans le gentil monde des Bisounours simple et doux comme un coup de fil entre amis, Axa semble nous avoir rejoints sur un point : en l’occurrence, le diable était venu inutilement se nicher dans ces détails graphiques. Interrogé sur ces corrections, Eric Lemaire, directeur de la Communication d'Axa, précise volontiers que «nous n’avions aucune volonté, ni de près de loin, de remettre en cause le professionnalisme des réparateurs avec qui nous travaillons quotidiennement.»

Très probablement l'assureur a-t-il aussi écouté son service juridique et/ou ses conseils en communication : il était maladroit de laisser plus longtemps en ligne un dessin pouvant illustrer aussi clairement et aussi brutalement une possible intention de contrôle et de maîtrise des coûts en réparation mécanique. Surtout après que la FNAA ait menacé Axa de DGCCRF, exigé et obtenu un rendez-vous, puis que le CNPA, la FFC-Réparateurs et la Feda aient elles aussi ressenti et désigné Allo Mécano comme une agressive caricature diffamante et dégradante.

2. La réponse écrite d'Axa, analyse et commentaires...

Si l'incident graphique est donc clos, l'incendie, lui, couve toujours. C'est dans ce contexte qu'Axa a accepté de répondre à nos diverses questions. Voilà in extenso sa réponse écrite à nos questions. L'interview demandée «aura lieu plus tard». Nous ne sommes intervenus que dans l'ordonnancement des paragraphes, ce texte étant initialement issu de plusieurs échanges de mails :

«Allo Mécano» n’est pas un service nouveau. Il a été lancé en juin 2013 à la suite d’une étude faisant ressortir que 69% des personnes interrogées jugeraient utile un 2ème avis sur un devis de réparation. Ce service a été initialement lancé à destination des jeunes, population qui se sent naturellement plus fragile face à des réparations qui peuvent être coûteuses, et moins à l’aise dans une relation commerciale pouvant nécessiter une négociation. Ce service, baptisé initialement «Assistance Devis», a été ensuite étendu, en juin 2015, aux contrats automobiles pour les particuliers (à l’exception des véhicules de collection, camping-car, caravanes…).
Nous avons généralisé le service depuis le 1er juin 2015 sous l’appellation «Allo Mécano» après une phase de test débutée en juin 2013. Ce service concerne les réparations suite à une panne, une révision, ou un contrôle technique. Il ne s’applique pas aux réparations suite à un accident, réparations de carrosserie et/ou pneumatiques. Il n’est pas applicable aux véhicules de collection, camping-cars et caravanes. Enfin, il n’y a aucun seuil d’intervention.Comme évoqué, ce service permet d’expliquer le contenu d’un devis et, le cas échéant, d’entamer une médiation en vue d’une éventuelle renégociation. Celle-ci n’est pas systématique, et l’ajustement du devis peut alors se faire d'un commun accord avec le réparateur. Si aucun accord n’est trouvé, nous informons notre client qui décide de la suite à donner.En lançant «Allo Mécano», nous avons voulu rassurer nos clients dans leur relation avec leur garagiste, en faisant se parler 2 professionnels de la réparation pour confirmer la cohérence du devis. Ce service fait d’autant plus sens que le Baromètre Axa Protection Juridique 2015 (IPSOS 4ème édition mai 2015) nous montre, qu’en automobile, les réparations sont le principal motif de risque de litiges. Près de 10% des appels d’informations qui parviennent à nos services de Protection Juridique et 10 % des litiges gérés concernent l’automobile.«Allo Mécano» répond donc à un vrai besoin de protection de nos clients. Selon une étude récente marketing auto, conduite en juin 2015, 73% des personnes interrogées jugent ce service intéressant.
Activé à la demande expresse des clients, «Allo Mécano» permet d’expliquer le contenu d’un devis et le cas échéant d’entamer une discussion sur une éventuelle renégociation. Celle-ci n’est pas systématique, et l’ajustement du devis peut alors se faire d'un commun accord avec le garagiste. Si aucun accord n’est trouvé, il n’ y a pas de réorientation de la part d’Axa vers un autre réparateur.La réorientation que vous évoquez (NdlR : nous nous sommes demandé si le service ne débouchera pas sur une préconisation de réparateurs), n’est pas à l’ordre du jour puisque le service d’«Allo Mécano» ne le propose pas à l’issue de la consultation qui doit se passer dans un climat serein de médiation entre 2 professionnels.
Le service s’appuie sur une cellule d’experts mécaniciens, tous salariés Axa Assistance, ayant chacun plus d’une dizaine d’années d’expérience, notamment au sein de constructeurs automobiles français et étrangers.Cette équipe est constituée de 15 personnes dont 3 experts mécaniciens diplômés :
  • 2 experts mécaniciens ont plus de 10 années d'expérience
  • 1 expert mécanicien a 2 ans d'expérience
Ces 3 mécaniciens sont issus du monde de l'auto et ont des parcours complémentaires (expériences diverses). Ils ont en charge l’étude des devis et leurs analyses se basent sur le logiciel SYGEA (anciennement Autodata), base de données multimarque qui permet d'avoir des infos sur les temps barémés, des informations de prix de pièces fournisseurs, diverses informations techniques.
Nos mécaniciens salariés sont des professionnels de la mécanique et de la réparation. Ils ne cherchent qu’à apporter un service à nos clients et le faire en bonne intelligence avec les réparateurs.Dans les cas d’intervention du service «Allo Mécano», il convient d’une part de donner des informations à notre client et d’autre part d’expliquer les différents éléments du devis établis suite au diagnostic du réparateur. Pour cela l’analyse de nos professionnels se fonde sur l’ensemble des éléments de tarification communiqués par le réparateur.
Nous avons à ce jour étudié plusieurs dizaines de devis. Nous ne savons pas encore combien de demandes seront traitées par an.Ce service est en effet proposé par 3 autres assureurs.Allo Mécano n’a pas fait l’objet de campagne de communication d’envergure (radios, TV, presse, …). Le service a été communiqué à nos clients. Nous avons souhaité proposer dans le cadre de notre politique de service, ce conseil supplémentaire et gratuit. En effet tout le monde compare ou souhaite pouvoir comparer les offres et produits.
Évidemment, tout le monde souhaite Allo Mécano a priori...

Axa souhaite clairement montrer que ce service a été objectivement légitimé par une indiscutable demande des consommateurs qui a atteint, puis dépassé 70% dans deux de ses études.D'accord, mais qu'est-ce que cela prouve ? Car soyons réalistes : peu d'automobilistes, a fortiori jeunes ou féminins, rejetteraient d'emblée une telle proposition d’intermédiation gratuite d'Axa. Même s'ils n'en avaient jamais ressenti le besoin avant qu'on les interroge, pourquoi diraient-ils non à l'éventualité ?

On peut même s'étonner qu'à peine plus de 70% des automobilistes trouvent le service Allo Mécano intéressant, tant on leur rabâche à l'envi, dans tant de médias, que la réparation auto est toujours trop chère. Bref : si Axa avait cherché à justifier le service par la matérialisation d'une opportune attente, il lui suffisait effectivement de seulement poser ces questions...

Pourquoi l'auto d'abord ?

Autre argument d'Axa : l'assureur rappelle que «près de 10% des appels d’informations qui parviennent à nos services de Protection Juridique et 10% des litiges gérés concernent l’automobile», comme si un tel ratio devait justifier de tester pendant deux ans, puis de généraliser l'offre Allo Mécano sur le marché de l'automobile.

A bien y réfléchir pourtant, l'argument paraît aussi étrange que le sens des priorités de l'assureur. En toute logique, ce sont les attentes des autres 90% d'assurés Axa qui devraient être traitées en priorité. Car si Axa veut accompagner efficacement ses clients, ceux-là sont 9 fois plus nombreux à attendre pléthore d'autres “Allo Devis” que l'on peut aisément imaginer : Allo Maçon, allo Plombier, allo Couvreur, Allo Charpentier, Allo Peintre, Allo Carreleur, Allo électricien, Allo Architecte, Allo Pisciniste, Allo Internet, Allo Jardinier, etc., etc. Et pourtant, c'est la réparation automobile qui bénéficie d'une cellule de 15 personnes...

En outre, si Axa devait encore chercher une autre bonne raison de relativiser l'intérêt de son Allo Mécano, elle la trouverait aussi facilement que nous chez la très assurantielle FFSA (Fédération française des Sociétés d'assurance) dont l'assureur est proche puisqu'il en est adhérent. Le tableau de bord FFSA 2014, page 2, est on ne peut plus instructif.

Car cette automobile qui génère donc 10% des appels d'information et 10% des litiges représente pourtant presque 40% du marché de l'assurance «des biens et des responsabilités» (19,7 milliards de cotisations autos sur les 50,1 milliards collectés en 2013 en France par toutes les sociétés d'assurance et mutuelles confondues). 10% de problèmes pour 40% des cotisations : l'auto pose donc 4 fois moins de problèmes aux clients des assureurs que la statistique pourrait le supposer. Mais c'est pourtant l'auto qu'Axa cible avec Allo Mécano...

10%... de quoi ?

Enfin, Axa devrait peut-être aussi s'interroger sur ses propres statistiques et sur les conclusions qui en sont tirées. Dans une récente émission de RMC sur le coût de l'entretien auto, Eric Lemaire expliquait que 20% des intermédiations déjà réalisées ont débouché sur une baisse du coût de la prestation, à la suite de discussions conviviales et sereines reportant par exemple des réparations connexes non urgentes.

Nous avons nous-mêmes appelé Allo Mécano, en nous faisant passer pour un simple assuré intéressé par le nouveau service. Le nombre final de devis réellement suspects est, selon la cellule "Allo Mécano", encore moins important que ne le dit Eric Lemaire qui ne ment pas, mais cumule toutes les négociations abouties. L'un des experts de la cellule nous a précisé que «la plupart du temps, nous tombons d'accord après discussion avec le professionnel. Au final, il ne subsiste de réelles différences douteuses que dans 10% des cas étudiés seulement.»

20%, voire 10% de pros qui poussent indûment à la dépense... En l'état, ces chiffres peuvent encore paraître aussi accusateurs qu'explosifs. En tout cas, si on les manipulait sans précaution ni recul.D'abord parce qu'Axa précise ci-dessus avoir étudié seulement «plusieurs dizaines de devis», ce qui est très faible sur deux ans, rassurant en cela pour les réparateurs... et statistiquement peu fiable.

Ensuite et surtout parce que ces 10% réellement suspects sont eux-mêmes extraits des seuls devis déjà réputés douteux puisque soumis à Allo Mécano. Car n'oublions pas en effet l'indiscutable “effet loupe” d'Allo Mécano : par définition, il fait essentiellement converger vers lui les devis qui paraissent exagérés. Un exemple pour mieux comprendre la perversité de ces 10% s'ils étaient sortis de leur contexte ? Imaginons que les délinquants condamnés chaque année représentent 10% des personnes initialement suspectées. Cela ne signifierait pourtant jamais que les délinquants pèsent 10% de la population totale...

D'accord, même moins de 10%, ce sera toujours trop pour les consommateurs concernés. Mais qu'est-ce qui, tout bien pesé, s'avère le plus préjudiciable à l'image des 40 000 réparateurs du marché : ce pourcentage de pratiques certes discutables, qu'il faut certes combattre, mais que l'on retrouvera toujours, peu ou prou, dans l'automobile comme dans tous les métiers de services ? Ou un service comme Allo Mécano qui, par sa seule existence et par sa seule promesse, jette a priori le doute sur presque tous les réparateurs ?

Mais alors... Pourquoi Allo Mécano ?

Et c'est bien là toute l'absurdité d'Allo Mécano : alors que les chiffres, les études et le constat qu'il semble faire lui-même prouvent qu'il n'est pas nécessairement utile mais qu'il est exagérément stigmatisant, ce service veut quand même s'imposer comme une référence consumériste. C'est bien pour cela que la filière de la réparation va continuer à s'interroger : si Axa maintient ce service alors même qu'il ne répond peut-être pas à un réel besoin avéré, c'est qu'il y a d'autres objectifs.

En s'acharnant, même par simple orgueil, Axa doit donc savoir qu'il va ainsi continuer d'entretenir les inquiétudes des professionnels de la réparation qui subodorent d'autres ambitions chez Allo Mécano.

Une significative imprécision ?

D'autant que, parmi toutes les questions que nous avons posées à l'assureur, il y avait celle-là, qui traduisait LA crainte majeure qu'inspire Allo Mécano : «N’aurez-vous pas intérêt à construire un réseau d’agréés en mécanique, afin de négocier des tarifs plus bas en échange des volumes potentiels d’Allo Mécano et d’y obtenir des remises de pied de facture comme en carrosserie ? Pouvez-vous là aussi promettre que les interventions mécaniques de vos clients ne seront jamais soumises au même régime que celui qui régit la carrosserie» ?

La réponse d'Axa n'a pas été totalement rassurante : «Si aucun accord n’est trouvé [durant la tentative de médiation], il n’ y a pas de réorientation de la part d’Axa vers un autre réparateur. La réorientation que vous évoquez n’est pas à l’ordre du jour (...)». Nous avons donc demandé à l'assureur de nous préciser si l’expression «pas à l'ordre du jour» peut être remplacée par «pas pour l'instant»... ou par «jamais» ? Nous avons bien insisté sur la façon dont les professionnels risquaient d'interpréter l'absence de clarification. Mais Axa n'a pas voulu trancher, en restant sur sa formulation floue.

A suivre donc...

Jean-Marc Pierret
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