Après-vente connectée : le défi de la connexion des réparateurs multimarque

Jean-Marc Pierret
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A partir du Fun2Drive de Bosch, Renault prépare un test pour voir comment remonter en temps réel toutes les données issues du fonctionnement des pièces et fonctions afin d'en mieux comprendre et prédire les défaillances. Un premier pas vers l'émergent «véhicule étendu» qui prépare l'après-vente connectée, cet enjeu majeur qui exigera que tous les pros aient accès aux informations au même moment, selon les mêmes protocoles et avec la même capacité de réaction. Au risque sinon d'être disqualifiés. Revue des enjeux...
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Renault va s'appuyer sur Bosch pour tester une version améliorée du boitier Fun2drive de l'équipementier (voir notamment «Voiture communicante “Fun2Drive” : la révolution est en marche»). Pour les véhicules qui seront ainsi équipés, ce “dongle” connecté à la prise OBD a pour mission de mettre sous surveillance un maximum de composants. Renault souhaite ainsi suivre le comportement des pièces et fonctions dans le temps afin de mieux comprendre l'ensemble des paramètres qui peuvent conduire à une défaillance plus ou moins rapide et/ou sévère.Sur le principe, cette démarche n'a en soi rien d'exceptionnel. Elle s'inscrit dans une légitime volonté du constructeur d'augmenter la fiabilité de ses véhicules en utilisant les nouveaux outils connectés que la digitalisation automobile permet aujourd'hui.
l'émergente et complexe après-vente connectée
Mais il y a bien sûr un effet “Kiss Cool” à cette expérience. Car pour élargir le champ des surveillances demandées à fin d'expérimentation par Renault à l'équipementier allemand, ce dernier va logiquement devoir accoucher d'une version de son dongle capable non plus d'observer quelques principales fonctions comme aujourd'hui, mais de les mettre toutes ou presque sous surveillance électronique. C'est d'ailleurs sur les adaptations nécessaires à ce plein accès et à la pleine interprétation des données collectées pour toutes ces fonctions que Renault et Bosch travaillent d'ores et déjà.Et ça, c'est un premier pas vers le but auquel aspirent tous les constructeurs qui se préparent à connecter leurs voitures selon une pléthore de normes. Une pléthore que la Feda vient de rappeler en marge de son récent point presse annuel. On prend son élan et on respire à fond :
  • la norme ISO TC 22 qui posent les bases générales de ce qui définit un “extended Vehicle” ou “véhicule étendu”, c'est-à dire un véhicule connecté qui communique sa vie intestine vers l'extérieur ;
  • les normes ISO 20077-1 et 20077-2 permettant, elles, d'élaborer lesdits “extended vehicles” ;
  • les normes ISO 20078-1 à 20078-4 qui régissent le contenu et le format des données, les protocoles d'accès et de communication, la sécurisation des données privées et techniques ;
  • le tout pour finir sur la norme 20080 définissant le RDS (Remote Diagnostic Support), c'est-à-dire tout ce qui régit le diagnostic à distance et le nombre de fonctions surveillées.
Les organisations professionnelles sur le qui-vive
L'expérience Renault/Bosch est donc une illustration de plus d'une émergente après-vente connectée. Un futur proche qui mobilise les organisations professionnelles regroupant les acteurs de la rechange et de la réparation indépendantes qui craignent évidemment que les constructeurs s'approprient prioritairement la connexion à l'après-vente de ces véhicules “intelligents”. Car l'enjeu est évidemment de taille pour la rechange et la réparation indépendantes. Les organisations professionnelles  concernées l'ont fort bien compris : la généralisation de tels véhicules va faire basculer l'ensemble du marché de l'entretien-réparation vers une approche massivement prédictive des prestations atelier.En son temps, la FNAA avait déjà obtenu de l'Europe qu'elle se penche sur le coté obscur de la partie nécessairement communicante du ecall (emergency Call), cette alerte automatiquement transmise par le véhicule lors d'un accident. Ce système qui doit équiper tous les VN européens à partir de mars 2018 est aussi la porte vers le bCall (business Call) : si le véhicule se met en situation de communiquer, il permet aussi de dialoguer à distance pour tous les organes du véhicule. La FNAA a donc sensibilisé les instances européennes qui ont réorienté le texte initial pour qu'il ne puisse pas donner a priori un avantage concurrentiel aux constructeurs (voir «Système eCall : le Parlement européen d’accord, mais…»).De son côté, la Feda a elle aussi réussi à s'impliquer dans ce très complexe dossier. Elle est ainsi membre actif du groupe de travail France géré par le Bureau de Normalisation de l'Automobile (BNA) qui agit par délégation de l'Afnor. A ce titre, elle est présente à toutes les réunions et décisions prises par le BNA. «Notre objectif est de défendre les intérêts de tous les indépendants dès l'élaboration de ces normes», explique Yves Riou, délégué général de la Feda ; «contenus, méthodologies, protocoles de communication, accès et niveaux d'information ne doivent pouvoir induire aucune différenciation dans l'accès et l'exploitation de toute remontée d'information venant d'un véhicule communicant».
Éviter les possibles dérives
On l'aura compris : face à ces “véhicules étendus” capables dans un proche avenir d'effectuer automatiquement leur auto-diagnostic et de le transmettre à des ordinateurs distants, tous les réparateurs qui ne seront pas connectés à ces ordinateurs et leurs plateformes dédiées risqueront d'être de facto disqualifiés. Des plateformes capables d'être à l'écoute, 24h/24, de millions de véhicules éditant constamment leurs bilans de santé numériques. Des plateformes capables de recevoir, de décoder et d'exploiter les informations transmises en amont par le véhicule.S'assurer que les réparateurs multimarque auront accès à ces “demandes d'entretien” des véhicules connectés est essentiel, mais ne suffira pas. Dans cette concentration digitale annoncée des demandes d'entrées-atelier, la loi sur le libre choix du réparateur par le consommateur ne sera sûrement pas de trop. A l'occasion de cette opportune digitalisation connectée de l'après-vente, il faudra aussi éviter que les excès des plateformes de gestion des sinistres dans la réparation-collision ne viennent inspirer des comportements similaires dans l'entretien-réparation mécanique. A savoir, ne distribuer les opportunités d'entretien préventif reçues digitalement qu'à ceux qui accepteront de réduire leur main d’œuvre sur le mode de l'agrément ou même, de monter des pièces aux tarifs et aux marges préalablement négociés par une centrale d'achat liée à la dite plateforme...
Révolutions culturelles et comportementales
Ce gigantesque chantier ne fait que commencer. Tous les possibles demeurent ouverts puisque les solutions opérationnelles sont encore à inventer. Ce qui est certain en revanche, c'est qu'une telle forêt de normes, de protocoles et de process numériques n'a pas été plantée pour rien. Elle va déboucher sur une automatisation croissante de l'après-vente porteuse de révolutions culturelles et comportementales. Révolutions culturelles pour les réparateurs, tout particulièrement ceux qui se veulent foncièrement indépendants. Ils devront s'adapter s'ils ne veulent pas être centrifugés par cette digitalisation aussi extrême qu'inévitables.Révolutions comportementales aussi et peut-être même, surtout. Car une voiture qui demandera d'elle-même, de façon croissante, les prestations qui lui sont nécessaires va profondément impacter les attentes des consommateurs comme les stratégies commerciales à imaginer pour les atteindre. Et ça aussi, ça reste à inventer...
Jean-Marc Pierret
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