Succès et échecs des réseaux équipementiers

Jérémie Morvan
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En matière de réseaux multimarque, les concepts nés des équipementiers font figure à part. Concurrents sur le terrain des réseaux mis en place par les groupements de distribution, ils sont cependant pour une très grande part nourris et développés par ces derniers. Un paradoxe qui n’est qu’apparent…
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 Evoquer aujourd’hui les «réseaux d’équipementiers» revient à citer deux noms : Bosch Car Service (BCS) et Delphi Service Center (DSC). Pourtant, il y en a eu d’autres. Si l’expérience CheckStar s’est soldée par un échec en France, le réseau compte plusieurs centaines de réparateurs en Europe (Italie, Espagne Portugal, Allemagne, Pologne…). Valeo a semblé de son côté avoir laissé en sommeil son réseau Clim Service, tandis que l’Allemand Hella a troqué son concept de réseau de réparation Hella Service Partner pour un lien technique digitalisé avec les professionnels au travers de son portail Hella Techworld.Les deux «survivants» comptent dans le paysage des enseignes multimarque. Bosch Car Service, lancé il y a une quinzaine d’année en France, réunit en effet 550 réparateurs (17 700 dans le monde) et estime parvenir à 560 d’ici la fin de l’année. Delphi Service Center, qui fêtera bientôt ses dix ans, regroupe quant à lui plus de 300 professionnels de l’entretien-réparation.Pourquoi, comment et par quels ressorts, les équipementiers ont-ils mis en place des structures qu’ils n’avaient a priori pas naturellement vocation à animer ?
Avantages multiples
La première raison d’être d’un réseau issu d’un équipementier porte bien sûr sur l’aspect technique. Ces équipementiers de rang 1 sont les plus à même en effet de fournir aux professionnels de l’entretien-réparation les armes pour intervenir sur des véhicules toujours plus complexes. Entendre : des pièces de rechange, mais aussi et surtout l’indispensable information technique qui doit accompagner ladite pièce de rechange.D’ailleurs, le réseau Bosch Car Service (BCS) s’est avant tout développé sur cette image de compétences techniques de ses membres. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’enseigne reconnaît parmi ses prospects de plus en plus de RA2 souhaitant tomber leur panneau constructeur pour embrasser le multimarquisme. Une image forte donc, mais qui ne doit pas effrayer les postulants, tempère Herta Gavotto, responsable marketing BCS pour la France : «au-delà de l’exigence technique, le réseau est fondé sur l’humain».De la même manière, Delphi a lancé il y a plus de vingt ans son réseau Diesel Service auto (NdlR : non pas un réseau de garagistes mais de réparateurs spécialisés dans la réparation des systèmes d’injection), puis, à destination des professionnels de l’entretien-réparation multimarque, son concept Delphi Service Center il y a une dizaine d’années. Initialement baptisé Diesel Point, ce réseau a très vite élargi sa cible de prestation en s’appuyant sur les domaines d’expertise multiples de l’équipementier américain : injection bien sûr mais aussi gestion moteur, châssis, climatisation…Pour Herta Gavotto, une des raisons principales de la création d’un réseau pour Bosch repose sur la notion de service : «L’industriel a souhaité associer dès le début dans sa stratégie la prestation de service aux côtés de la pièces.» Un service "clé en main" pour le consommateur automobiliste, regroupant l’expertise, le conseil et la pose de la pièce de rechange.Au-delà, disposer de son propre réseau pour un équipementier, c’est aussi disposer d’un contact direct avec le client, ce qui n’est pas le moindre des avantages à l’heure où les comportements des clients automobilistes sont bouleversés notamment avec l’entrée dans l’ère du digital. Par ailleurs, posséder un réseau constitue à n’en pas douter un formidable laboratoire à ciel ouvert pour l'équipementier, lui permettant d’être en prise directe avec le cycle de vie complet de ses pièces. Jusqu'à leur remplacement. Il s'agit donc d'une opportunité évidente pour juger de leurs qualités ; de précieux retours du terrain pour un équipementier qui reste avant tout un industriel...
CheckStar : la triste épopée française
Le cas est un peu particulier pour le réseau de Magneti Marelli, CheckStar. Si le concept né en 2006 a logiquement trouvé sa place en Italie, il n’a pas su s’imposer dans l’Hexagone. Pourtant, il a essaimé bien au-delà du marché domestique de Magneti Marelli : CheckStar se retrouve en effet tout autant en Espagne qu’au Portugal, en Allemagne… jusqu’en Pologne !Pourquoi ce réseau, débarquant en 2010 en France avec, sur le papier, des atours séduisants pour les réparateurs (formation technique, outillage de garage, hot line, etc.) n’a pas fait florès? «Le concept né en Italie s’est dès le début appuyé sur les "ricambisti", les nombreux petits distributeurs animant en local la distribution de pièces de rechange, rappelle Laurent Carrasco, market manager After Market Parts & Services chez Magneti Marelli en France. Le concept a naturellement trouvé sa place eu égard à la très forte notoriété de Magneti Marelli sur son marché domestique, mais aussi parce que le concept permettait de proposer aux réparateurs un ensemble de familles de produits de grandes ventes – qu’il s’agisse de gammes fabriquées par l’équipementier ou d’autres sourcées auprès de divers équipementiers mais vendues dans des boîtages aux couleurs de Magneti Marelli.» Une offre pièce tout simplement intransposable en France. Et donc plus limitée.Mais c’est peut-être bien au niveau des ressources, tant humaines que financières, allouées au déploiement du réseau, que le rendez-vous français a été manqué pour CheckStar. La licence ayant été confiée en 2011 à un partenaire, la plateforme de stockage Autoreserve - Lumlux, il incombait à cette dernière la tâche de recruter de nouveaux membres pour le réseau mais aussi et surtout de l’animer. Et c’est peut-être à ce niveau qu’il a manqué de moyens selon Laurent Carrasco : «les services associés n’ont pas suivi les promesses d’un concept de réseau plutôt orienté "premium" ; pour lancer et développer une nouvelle enseigne, il faut des ressources tant humaines que techniques et financières.»On connaît le destin des promoteurs du réseau italien en France. Autoreserve a été liquidée et Lumlux, reprise depuis deux fois. Après une vingtaine de contrats signés, CheckStar baissait pavillon en France en 2014...
Distributeur : un intermédiaire nécessaire
Même si l’équipementier est à même de mettre en place les ressources importantes nécessaires au déploiement ou à l’animation d’un réseau, ils ne peuvent dans les faits se dispenser de leurs clients distributeurs. Plusieurs raisons à cela : ceux-ci sont en effet les mieux à même d’identifier localement les ateliers ayant le profil idoine pour adopter ou non un panneau. Et ils s’avèrent également des indispensables relais au quotidien entre l’équipementier et l’utilisateur final de la pièce qu’est le garagiste, sur les plans techniques bien sûr, mais aussi commerciaux et marketing.Mais le développement de ces réseaux ne ferait-il pas de l’ombre aux concepts d’entretien-réparation multimarque élaboré par les groupements de distribution, eux qui sont les premiers clients de ces équipementiers sur le terrain de la rechange indépendante ?Non, répond-on chez Bosch comme chez Delphi. «Notre vision du marché est de ne travailler en direct qu’avec nos clients distributeurs, affirme Daniel Berreby, directeur France et Benelux chez Delphi Solution Pièces et Services. Ce sont eux qui identifient dans leur portefeuille clients les pros susceptibles de rejoindre le réseau DSC. La décision est ensuite prise d’un commun accord entre l’équipementier et le distributeur.» Et de préciser : «DSC se réclame davantage d’un "corner concept" : souple, avec la possibilité pour le réparateur d’opter pour d’autres panneaux supplémentaires s’il le souhaite, et une redevance annuelle très réduite. En ce sens, DCS se positionne plus comme un label que comme un réseau.»Un son de cloche identique chez Bosch : «Les équipes de BCS travaillent en étroite collaboration avec les distributeurs, que ce soit pour le recrutement de nouveaux adhérents comme dans la mise en place d’une stratégie marketing et commerciale», ajoute la responsable marketing.
En PL aussi
D’ailleurs, pour les distributeurs, ces panneaux apparaissent comme des alternatives à ceux dont ils disposent par le biais de leur groupement de distribution : non seulement les réseaux d’équipementier servent à fidéliser davantage de clients réparateurs lorsque leur zone de chalandise est déjà fortement maillée par leur propre panonceau, mais ils peuvent dans certains cas précis permettre de toucher des profils difficilement atteignables jusque-là.C’est notamment le cas en PL, un secteur qui a vu le récent lancement d'AllTrucks en France, ouvert à tout entrepreneur souhaitant s'adosser à l'enseigne, sans exclusive aucune. Un lancement qu'a su déjà saisir au vol Alliance Automotive Group et dont Jean-François Bernard, directeur de l’activité poids lourd, nous confiait que cette "carte" supplémentaire pouvait ouvrir certaines portes, notamment auprès des agents de marques…Pour finir de s’en convaincre il n’est qu’à voir le nombre de BCS déployés par des entités comme IDLP ou Autodistribution Talbot pour ne citer qu’eux.
Des réseaux bien intégrés dans le paysage
Quel avenir pour les réseaux d’équipementiers ? On l’a vu pour CheckStar : l’équipementier transalpin entend avant tout reprendre pied sur le marché français, «se redonner davantage de cohérence et de stabilité dans sa stratégie commerciale avant d’envisager une quelconque autre étape», déclare Laurent Carrasco. Un retour du réseau de réparateurs aux couleurs de Magneti Marelli n’est donc pas pour demain en France.Pour Bosch Car Service, l’enseigne peaufine tranquillement son maillage territorial. Si la qualité prime sur la quantité (déjà conséquente) des membres du réseau, l’équipementier entend non seulement continuer à soutenir cette population de réparateurs à même de capter un parc toujours plus jeune (par le biais de la révision constructeur avec garantie préservée), mais renforcer encore cet appui du groupe mondial. Dans ce cadre, Bosch, qui a annoncé sa présence à la Porte de Versailles lors de la prochaine édition d’Equip Auto, «proposera aux visiteurs un stand Bosch Car Service dédié, avec des nouveautés», annonce Herta Gavotto.Mais un changement d’importance doit être attendu du côté de l’équipementier américain Delphi, qui repense actuellement son concept Delphi Service Center. «Nous sommes entrés dans une phase de réflexion, confirme Daniel Berreby. Le réseau aura bientôt 10 ans et c’est une occasion pour Delphi de se projeter en s’interrogeant sur les nouveaux besoins des réparateurs, sur ce qui peut être amélioré et sur ce qui doit être changé.» C’est bien la preuve en tout cas que Delphi entend bien continuer l’aventure !
Jérémie Morvan
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