Face à Otop, la distribution passe… à l’Atac (Pièces Auto) !

Jean-Marc Pierret
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Face à l’arrivée tonitruante d’Otop, nous nous demandions récemment si ce défi commercial lancé à la distribution traditionnelle pourrait la forcer à adapter son modèle presque séculaire. Une première réponse pourrait bien émerger chez le distributeur orléanais Atac Pièces Auto. Visite guidée de ses réflexions et de ses projets qui pourraient bien changer le visage de toute la distribution…
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S’il en était encore besoin, notre récente «interview des lecteurs» l’a prouvé : les questions que vous avez pu ainsi poser directement à Franck Millet, patron fondateur d’Otop, traduisent certes des doutes, mais aussi bien des craintes et des agacements. Et ce, que vous soyez équipementiers, distributeurs ou même réparateurs. Une question est souvent revenue dans cette interview que nous publierons très prochainement : comment Otop réagira-t-il quand la distribution aura imaginé une inévitable contre-attaque ?Car pour beaucoup d'observateurs, l'arrivée d'Otop pourrait bien faire l'effet d’un très utile catalyseur. Frédéric Derouck et Anne Bourgeois, respectivement directeur des achats et du développement et directrice marketing du distributeur Atac Pièces Auto, le pensent sincèrement. Et s’ils l’affirment, c’est après y avoir mûrement réfléchi.Soyons honnêtes. La stratégie d’implantation d’Otop les y a de toute façon forcés. Leur entreprise de distribution aux 17,5 M€ de CA, aux 16 implantations (dans le Centre, l'Ile de France et la Bretagne) et aux 130 collaborateurs, s’est retrouvée malgré elle en première ligne de l’expérience Otop. La disruptive initiative a posé ses premières implantations au cœur même du territoire historique d'Atac. 12 sites du distributeur sont positionnés en région Centre, dont la moitié autour de Chartres et d’Orléans. Pile là où Otop a décidé de roder opérationnellement les premiers centres intégrés de son concept…A gauche, les implantations des premiers centres Otop ; à droite, les divers points de distribution du groupe Atac. La moitié des sites du distributeur (dont son siège et son stock national de Saint-Jean-la-Ruelle près d’Orléans), est en première ligne… A gauche, les implantations des premiers centres Otop ; à droite, les divers points de distribution du groupe Atac. La moitié des sites du distributeur (dont son siège et son stock national de Saint-Jean-la-Ruelle près d’Orléans), est en première ligne…Un défi. Presque une provocation. Voir ainsi débarquer dans son fief un nouveau type de distributeur promettant d’allier livraison physique et prix internet n’était déjà guère rassurant. A fortiori quand il s’agit des tout premiers centres Otop, ceux qui vont immanquablement faire feu de tout bois auprès des réparateurs pour prouver la viabilité du concept à ses investisseurs et ses futurs franchisés.
Combattre sur son terrain
Mais la peur n’évite pas le danger. Et passées les premières heures de surprise et d’agacement, le distributeur a rapidement décidé de transmuter le risque en opportunité. Le résultat de ses méditations se résume dans cette formule-clé : «En fait, Otop ne change pas notre métier. Mais Otop change en revanche notre façon de voir notre métier». Selon lui, la réponse de la distribution traditionnelle face à une telle concurrence ne dépend dès lors que d’une simplissime interrogation : «sommes-nous capables, oui ou non, de nous remettre en question ?» (voir «le défi croissant des pièces premium à prix internet»).Frédéric Derouck et Anne Bourgeois déroulent leur réflexion. «En fait, Otop n'invente rien. Sa nouvelle offre disruptive ? Il faut bien se différencier quand on veut débarquer avec succès sur un marché mature et organisé. Sa nouvelle approche “tout digital” ? C’est un minimum quand on naît ex-nihilo de nos jours. Sa logistique optimisée doublée d’une livraison payante ? Une nécessité si on veut être rentable dès la phase de lancement. Mais sur le fond, en quoi l’approche d'Otop est-elle révolutionnaire ? Rien de ce que le nouvel acteur propose ne nous est impossible ou inaccessible, pourvu que nous nous posions les bonnes questions et élaborions les bonnes solutions. L’atout d'Otop, c’est cela : s’être juste posé des questions que nous ne nous posons pas».
Passer à l’action
Pour Frédéric Derouck et Anne Bourgeois, Otop n’est donc pas un “OVNI” aux compétences extra-terrestres. Juste un symptôme de plus d’un déjà vieux mouvement initié par les sites grand public de vente de pièces en ligne il y a déjà plus de 10 ans.«Nous avons tous râlé quand Oscaro et les autres ont mis sur la place publique des prix qui sont peu ou prou nos prix d’achat. Puis nous avons tous voulu ignorer la part croissante de professionnels et de semi-professionnels (auto-entrepreneurs, blackeurs…) qui s’approvisionnent sur les mêmes sites grand public, jusqu’à représenter plus ou moins 30% de leurs chiffres d’affaires à en croire les confidences faites par leurs patrons. Nous n’étions pas nécessairement inquiets, puisque nos clients nous restaient fidèles et se développaient avec nous. Les autres réparateurs qui achètent moins cher que moins cher ou les blackeurs nous échappaient de toute façon pour l’essentiel.»
Ne pas sous-estimer les risques…
Mais cette fois, Atac n’a pas l’intention d’attendre. Car à observer Otop, Frédéric Derouck s’est forgé plusieurs convictions pleines de bon sens.Parce qu’Otop arrive sur un marché pro de plus en plus sensible à la pièce moins chère, le distributeur orléanais refuse d’exclure que le nouveau venu se fasse une place, même s'il émet quelques doute sur la réceptivité du terrain concernant la livraison payante et le paiement cash. Et si sa réussite s’avère, il ne voit pas pourquoi Otop se satisferait des seulement 3,5% du marché qu’il dit ambitionner à terme.Il y a aussi ce mix inattendu des ventes Otop, un mix qui s'oriente vers les pièces à forte valeur unitaire : «Nous aurions même pu l’anticiper, confesse F. Derouck ; il était évidemment logique qu’un réparateur, habitué à être livré gratuitement, n’accepterait de payer cette prestation qu’à partir du moment où son coût lui apparaîtrait relatif au vu d'un prix unitaire élevé de la pièce». Avec une offre comme Otop, « le réparateur peut être tenté d'optimiser à bon compte la valeur absolue de sa marge sans avoir à remettre en question son business model avec un distributeur traditionnel, confirme Anne Bourgeois. Et ce d’autant plus facilement que ces pièces techniques peuvent attendre une livraison à J+1 puisqu’elles sont impliquées dans des réparations plus lourdes nécessitant un délai.Rien d’étonnant donc à voir Otop envisager de réorienter son offre vers la pièce chère et technique comme l’a récemment évoqué Franck Millet qui misait pourtant initialement sur les pièces de grandes ventes. Dès lors, le risque n’est plus marginal, encore moins anodin pour un distributeur comme Atac : «Ces pièces techniques sont précisément celles sur lesquelles les distributeurs traditionnels assoient une bonne partie de leur croissance, de leur rentabilité et de leur crédibilité», rappelle Frédéric Derouck.D'autant qu'il se méfie. Convaincu qu'il est que le concept Otop, tel qu'il est présenté actuellement, ne peut être durablement rentable, il s'attend à le voir évoluer dans l'avenir en s'appropriant d'autres atouts et d'autres marchés de la distribution traditionnelle. Tel que l'équipement de garage, par exemple. Bref : mieux vaut toujours prévenir que guérir...
… et passer à l'Atac !
Pour toute ces raisons, Atac a décidé d’entreprendre une véritable révolution culturelle. «Otop nous livre sur un plateau une opportunité historique : celle de réfléchir enfin à la valeur ajoutée de tous ces services que, depuis les lustres, nous fournissons "gratuitement" avec la pièce».Il a donc décidé de se livrer à un exercice inédit dans le petit monde de la distribution traditionnelle : connaître le coût de chacun des services qu’il apporte avec la pièce livrée. Tout y passe : la valeur de chacune des 4 livraisons gratuites ; de la qualité de la hotline téléphonique fournie par des magasiniers hyper qualifiés ; de la mise à disposition immédiate de quelque 35 000 références ; du paiement différé et des RFA consenties aux réparateurs ; de la mise à disposition de modules de formation ; etc., etc.L’étude n’est pas terminée. Mais elle a au moins déjà évalué le coût d’une livraison : 7 euros. Soit 28 euros pour 4 livraisons/jour, le standard en matière de distribution traditionnelle…
Réhabiliter le service
L’exercice, aussi complexe soit-il, est essentiel en ce qu’il poursuit un double objectif.Celui d’abord d’une très utile et très urgente piqûre de rappel à ses clients. «Sites grand public, Originauto, Otop… A force de voir se multiplier ses opportunités d’accès à la pièce premium au prix d’internet ou presque, le réparateur finit -ou finira- par en déduire que nous nous engraissons sur son dos», souligne Frédéric Derouck. Si ce doute venait à se généraliser -et beaucoup de réparateurs verbalisent déjà le reproche-, il estime que ce sera d’abord de la faute de la distribution traditionnelle qui pèche par habitude.Car depuis toujours, elle fournit pléthore de services gratuits en oubliant de les valoriser : «Si nous ne réagissons pas, si nous ne réhabilitons pas la valeur des services associés à la pièce, nous permettons à nos concurrents low-cost de se multiplier en se faisant séduisants à bon compte. Nous continuerons aussi à priver nos clients de contre-arguments objectifs face au procès croissant que font les média grand public -et du coup, les clients automobilistes- à la pièce trop chère. Il est grand temps que nous remettions les pendules à l’heure», affirme-t-il…
Le couple pièce + service au(x) juste(s) prix !
Ensuite et surtout, ce préalable de l’analyse-coûts de ses services prépare l’évolution de son business model pour le mettre en situation de répondre à toutes les attentes. Dont évidemment celle du prix bas. Car Atac en est convaincu : «Si Otop peut proposer une telle offre tarifaire dès la phase de démarrage, sans passé, sans stock massif, sans portefeuille de clients réparateurs, pourquoi ne le pourrions-nous pas, nous qui avons déjà des volumes, de meilleures conditions d’achats, bien plus de références, des partenaires historiques et de fidèles clients ?».Frédéric Derouck et Anne bourgeois préparent donc leur entreprise à une profonde et presque insolite révolution pour ce petit monde de la distribution traditionnelle : la segmentation de son offre. «Dès lors que nous connaîtrons le coût exact de chacune de nos prestations de services, nous connaîtrons aussi nos marges de manœuvre en matière d’offre tarifaire, expliquent-ils. Nous serons donc en position de proposer peu ou prou les mêmes prix qu’Otop, mais sur des bases saines. Le réparateur qui choisira le prix le plus bas le fera en renonçant explicitement à certains de nos services et ce, en toute connaissance de cause».Même logique envers ceux qui choisiront de continuer à bénéficier de l’intégralité des services : au moins sauront-ils précisément pourquoi leurs pièces leur coûtent le prix annoncé par Atac…
Segmenter pour conquérir et conserver
Reste bien sûr à faire coexister les deux modèles sans abîmer les fondamentaux de leur métier et de leur entreprise. Mais les deux dirigeants sont confiants. «Si nous ne savons pas expliquer tous nos services, ils n’en sont pas moins nécessaires. Face à la multiplication des références et des applications, face à la complexification exponentielle des technologies automobiles, la plupart des réparateurs auront toujours besoin du service complet que nous leur prodiguons».Mais alors, pourquoi faire tant d’efforts pour différencier ses prix ? «Parce que les réparateurs qui veulent du prix et seulement du prix restent pour la plupart à conquérir. Et jusqu’à maintenant, nous n’avons pas l’offre tarifaire adaptée pour partir les prospecter avec un minimum de chance de succès», avoue Frédéric Derouck.L’approche a un autre avantage. Et non des moindres : elle va permettre de mieux accompagner les clients historiques en difficulté. «Quand un réparateur a des difficultés de paiement, notre modèle ne peut pas l’aider efficacement. Au mieux, il le maintient. Au pire, il ne fait qu’accroître le risque d’impayé. En segmentant notre offre, nous pourrons aussi mieux l’aider à se rétablir : il renoncera certes à des services, mais il pourra du coup accroître la marge de son activité pièces et espérer ainsi redresser ses comptes. Ce sera gagnant-gagnant pour nous comme pour lui.»
Qui peut le plus peut le moins…
Reste la question des fournisseurs. Sont-ils prêts à accompagner le mouvement ? «Ils l’ont déjà prouvé en accompagnant les sites grand public et maintenant Otop, s’amuse Frederic Derouck. A nous de sélectionner les bons partenaires et de ne pas mélanger les genres. Les marques qui nous accompagnent et nous soutiennent resteront positionnées premium dans le cadre de notre offre complète. Les autres seront consacrées à notre toute prochaine offre low-cost». Une certitude en tout cas : quelle que soit l'offre, elle sera en marques premium.Évidemment, les fournisseurs qui ont clairement choisi d'accompagner Atac dans la mutation du distributeur et par extension dans celle de la distribution traditionnelle auront la part du lion, «à commencer par Schaeffler et Dayco», tient à préciser Frédéric Derouck en signe de reconnaissance. A bon entendeur…Et c’est pour quand ? «Bientôt», se contentent de répondre en cœur les deux dirigeants, sans toutefois vouloir préciser d’échéance. Ils sont déterminés, mais absolument pas pressés. «Le site internet consacré à cette offre est en cours de finalisation et il nous reste un ou deux arbitrages à trancher». Il ne lui manque plus qu’un nom…
Vers une mutualisation au sein d'Alternative Autoparts
Et si la stratégie fonctionne, ils la mettront en bonne logique au service des déjà 33 adhérents du groupement Alternative Autoparts dont Atac est le co-fondateur avec IDLP. Un groupement qui favorise d'ailleurs les investissements d'Atac en la matière, les marges arrière de la structure nationale l'aidant à financer son projet. A offensive nationale, réponse nationale…La logique de la stratégie d’Atac Pièces Auto est aussi limpide que séduisante : qui peut le plus doit pouvoir proposer moins ; alors qu’en face, les spécialistes du low-cost ne peuvent pas promettre plus s’ils veulent rester rentables. Si Atac réussit son coup en déployant ce “one stop shopping” à la mode traditionnelle, nul doute qu’il devrait vite faire école. D’autant que si nos grandes oreilles ne se trompent pas, il n’est pas le seul à explorer cette solution.Comme d'habitude, nous vous tiendrons au courant...Le siège d'Atac à Saint-Jean-la-Ruelle, près d'Orléans Le siège d'Atac à Saint-Jean-la-Ruelle, près d'Orléans.
Jean-Marc Pierret
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