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Que retenir de Renault et Mobivia dans Exadis?

Jean-Marc Pierret
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La surprise ne vient pas tant d'un Groupe Laurent vendant son réseau de 9 plateformes régionales fédérées dans Exadis. Le distributeur a sûrement besoin de se refaire, lui qui semble plus généralement en train de se défaire. Non, la vraie nouveauté, c'est de découvrir Renault et Mobivia en copropriétaires de l'entreprise logistique. Mais il est vrai aussi que les temps ont bien changé...
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En se partageant le capital d'Exadis cédé par le Groupe Laurent, Renault et Mobivia viennent d'illustrer une grande tendance stratégique du moment. Car s'il fallait encore une ultime preuve que les clivages d'hier entre rechange constructeur et rechange indépendante s'effacent devant les urgences commerciales d'aujourd'hui, la voilà bien.

Autres temps, autres mœurs

Ils doivent pourtant s'en étonner, ceux qui ont connu la déjà lointaine émergence de «la nouvelle distribution automobile», anglicisée depuis en “retail”. Mobivia, avec Norauto, en est d'ailleurs l’un des principaux fondateurs. Le groupe BtoC est devenu depuis l’incontesté champion du cumul d’enseignes (2 070 ateliers et magasins dans ses réseaux Norauto, A.T.U, Midas ou Carter-Cash…).

Les “anciens” du marché ne peuvent qu’être frappés en effet de voir un constructeur et un retailer avancer main dans la main. Les si policées et segmentées années 80 de la pièce et des services n’auraient pu découvrir une telle chimère, à tête de lion-constructeur et au corps de dragon-centre auto, sans frissonner d’horreur. Et surtout, d’incrédulité…

Un communiqué peu explicite

Reste qu'on cherche vainement le fond de l'affaire dans le communiqué commun aux deux nouveaux actionnaires, tombé quelques heures après notre premier article sur le sujet. On y parle bien sûr d’autonomie préservée pour Exadis et on y devine les opportunités positives au service des ambitions de Renault comme de Mobivia. Sans exclure bien sûr l’intérêt évident pour le réseau Exadis lui-même. Le communiqué des deux détenteurs lui promet un destin de «best in class» (“meilleur du domaine”), au bénéfice direct de «tous les clients actuels ou futurs».

On décodera bien sûr l'argument défensif. Pour éviter ou au moins limiter la possible fuite de clients agacés par un fournisseur logistique devenu ainsi concurrent, Renault comme Mobivia promettent qu'Exadis servira lesdits clients comme jamais. Sans confisquer l'entreprise, ni même s'y privilégier. Bref, qu'on se détende ; il n'y a que du mieux à attendre pour tout le monde...

Maturité œcuménique des constructeurs

La chimère d'antan, en tout cas, est devenue réalité. Il faut reconnaître que les temps ont bien changé. Les canons de la bienséance stratégique du 20ème siècle se sont clairement brouillés en ce début du suivant.

Avec Distrigo dévoilé en octobre 2016, PSA avait déjà brisé un dogme séculaire. Alors même que les pièces concurrencées indépendantes -fussent-elles équipementières de 1ère monte- étaient depuis toujours entachées de suspicion à ses yeux et à ceux de tous les réseaux constructeurs, la division aftermarket de PSA assumait une révolution copernicienne. Au prix il est vrai de quelques contorsions sémantiques pour éviter tout parjure, on venait enfin de reconnaître à la pièce équipementière une lumière et une légitimité similaires à celles de la pièce d'origine.

Renault officialisait la même révolution cultu(r)elle deux mois plus tard. Mais il empruntait un chemin différent, bien plus consensuel. PSA venait d'opter pour la création ex nihilo d'un réseau de plateformes imposé très verticalement à ses RA1 et RA2. Renault lui opposait une pente plus douce en montant à 35% de capital chez le déjà existant Exadis, dont 11,5% étaient harmonieusement confiés à Siscar, filiale du groupement des concessionnaires au Losange. Le tout, en réfléchissant à un même réseau de plaques PR plus dense, incluant aussi pièce d'origine, équipementière et MDD. Mais avec et pour les concessionnaires.

Un préambulaire calumet de paix tendu à son réseau. Un gage de partenariat pour ne pas risquer d'importer les mêmes tensions qu'entre PSA et ses concessionnaires et agents suite à la reprise de Mister-Auto, puis la résiliation à la hussarde des contrats de distribution PR. L'interminable et surtout incertain procès qui oppose actuellement le groupe breton Hory et sa plateforme “MA Pièces Auto Bretagne” à PSA prouve au moins qu'il vaut mieux préparer la paix avec son réseau que d'en subir la guerre.

Qui a raison, de PSA ou de Renault ?

Cela semble d'ailleurs payant quand le vent se lève. Aucun concessionnaire ni agent Renault n'a par exemple jugé bon de se plaindre ouvertement de l'interminable pénurie de pièces qui les touche pourtant depuis fin juin (voir «Livraisons PR de Renault : grosse panique depuis fin juin»). Les réseaux PSA, eux, nous avaient alertés dès que la pièce Eurorepar avait pointé son nez chez Mister-Auto...

Reste que dans ce match des stratégies PR entre PSA/Renault, le groupe de Carlos Tavarès garde peut-être un avantage, est venu nous suggérer avec pertinence un lecteur matinal et avisé de cet article. PSA Aftermarket a pensé “Monde” dès le début de sa révolution pièces, sans probablement vouloir s'encombrer des spécificités françaises. Alors que Renault semble pour l'instant se contenter d'agir “France”, sans prouver à l'inverse que l'approche entreprise dans l'Hexagone est aussi “copiable-collable” que celle de PSA sur le reste de la planète...

L'inattendu voisinage

La vraie surprise vient donc de cette inattendue mitoyenneté entre Renault et Mobivia. On supposait que le constructeur, par essence hégémonique, profiterait du pion capitalistique placé dans Exadis en 2016 pour le pousser vers une prise de contrôle totale. 9 plateformes peuvent en effet aider à assoir une offre nationale en pièces équipementières considérées comme essentielles à l'efficacité des ateliers de son réseau de concessionnaires et d'agents.

Car Exadis est le maillon qui manquait à un performant schéma logistique régional susceptible de nourrir les 150 futures plateformes PR décidées avec les concessionnaires Renault. Le tout, en permettant parallèlement au constructeur de s'approprier les subtilités d'une rechange indépendante jugée stratégique au niveau international. Le rachat concomitant par Renault d'un distributeur-stockiste italien, même à l'image et aux performances jugées parfois incertaines, l'avait déjà prouvé.

Exadis ou la première jonction de trois cultures de la pièce

Voilà donc Renault qui partage avec un géant du retail ce réseau de plateformes issu d'un distributeur-stockiste historique. L'hybridation est inédite. La jonction des trois cultures de la rechange automobile (constructeur, distribution traditionnelle, centres auto & spécialistes), vient ainsi de se faire pour la première fois en France.

Elle est bien sûr dictée par l'urgence du moment : savoir faire tous les métiers pour préserver, voire élargir, ses parts de marché sur une après-vente communément prédite en peau de chagrin. Mais il est vrai aussi qu'Exadis, comme tous ses homologues, dépanne depuis longtemps autant les ateliers constructeurs que ceux de la prestation dite rapide. A ce titre, la convergence était déjà bien préparée par le terrain du commerce quotidien...

L'avenir dira sûrement pourquoi Mobivia et Renault, si pragmatiquement et si humblement, se partagent Exadis. Peut-être pour mutualiser les risques, le temps d'une montée en charge exploratoire. Les théoriciens du complot y chercheront bien sûr d'aussi sourdes qu'improbables potentialités de rapprochement, de rachat ou de fusion. En ces temps de tous les possibles et de toutes les craintes, les imaginations se débrident facilement.

Deux concurrents aux mêmes besoins

D'autant qu'en l'état, la cohabitation n'est pas si aberrante. On peut en effet penser que Mobivia, rompu aux subtilités du circuit dit court de la pièce, a trouvé ainsi utile d'apprendre prudemment les complexités de la logistique et des règles du circuit dit long qui prévaut en distribution BtoB, traditionnelle comme constructeur. Car les gammes, les cotations, les marges et les habitudes y sont bien spécifiques.

Et si Renault est conscient d'avoir besoin d'apprendre la distribution traditionnelle pour renforcer l'offre de ses ateliers et de son business pièces, pourquoi Mobivia n'aurait-il pas droit au même objectif ? Pourquoi n’aurait-il d’ailleurs pas l’envie légitime d'aller jouer à terme un rôle plus actif sur le terrain de la pièce BtoB qui lui est encore étranger ? Là encore, l'avenir le dira, même si Mobivia a déjà posé un autre pied digital sur le secteur en reprenant récemment Autopass (Originauto).

Ce qui est déjà certain, c'est que les temps sont durs aussi pour les centres auto comme pour les fast fitters. La recherche de relais de croissance -une quête commune à tous les acteurs soucieux de préserver l'avenir- conduit immanquablement à quitter sa zone de confort pour convoiter d'autres territoires.

Qui est LE VRAI patron d'Exadis ?

Mais qui tient vraiment les commandes ? On peut raisonnablement supposer que Renault et son groupement de concessionnaires ont voulu s'adjuger, ensemble au moins, la majorité du capital d'Exadis. Mais le communiqué s'abstient de toute précision en la matière, alimentant d'autant la curiosité. D'autant plus que, quand il posait son premier pied dans l'entreprise, Renault avait été plus transparent.

Vincent Laurent, le président du groupe éponyme, n'a guère été plus clair dans son second et solitaire communiqué diffusé le lendemain. Il énumère certes «l'entrée au capital en position minoritaire du groupe Mobivia, une participation qui reste minoritaire de Renault et une participation inchangée au capital du GCR», l'acronyme du Groupement des Concessionnaires Renault.

Que des minorités donc, qui n'identifient pas formellement l'amiral de la flottille logistique. Rien non plus sur le rôle du distributeur dans l'entreprise cédée. Sinon cet indice en creux : qu'il n'ait pas été associé au communiqué initial plaide pour l'éviction complète du Groupe Laurent. Sinon cette évidence : seuls de grands naïfs pourraient croire que les deux principaux repreneurs, surtout minoritaires chacun, laisseraient un exorbitant pouvoir arbitral aux concessionnaires et/ou à Vincent Laurent.

Mais à quoi bon chercher la part de capital des uns et des autres ? Saurions-nous un jour les pourcentages exacts, que les secrètes finesses d'un subsidiaire pacte d'actionnaires nous resteraient de toute façon invisibles...

Quel jeu pour quelle chandelle ?

Dans l'immédiat en tout cas et quoiqu'ils ne disent pas, le constructeur comme le retailer vont logiquement pouvoir privilégier livraisons et/ou dépannages de leurs réseaux respectifs depuis les 9 sites Exadis. Les plateformes concurrentes doivent déjà être en train de faire chauffer les calculettes. Il leur faut vite évaluer leurs potentiels manque-à-gagner si deux gros clients comme les réseaux Renault ou Mobivia privilégiaient massivement leur nouvelle solution-maison.

Bref : comme ni Renault et encore moins Mobivia n'ont la réputation d'être irréfléchis, on ne les trouverait pas ainsi ensemble aux manettes d'Exadis si les prochaines phases du jeu n'en valaient pas la chandelle. On verra donc si cette dernière déclenchera ou non des incendies sur un marché rendu chaque jour plus inflammable par l’assèchement tendanciel des volumes, des marges et des profits.

Comme d'habitude, nous vous tiendrons au courant...

 

Les incertitudes du Groupe Laurent

Quid maintenant du Groupe Laurent ? A en croire le classement annuel de notre confrère Zepros, il pesait 119 millions de CA fin 2018, dont 73 pour le seul Exadis. Et le distributeur n'a pas la réputation d'être en grande forme, confient tous les observateurs avisés. Si la vente d'Exadis constitue probablement un bol d'air financier, la question se pose de l'avenir des autres activités de distribution, à savoir Laurent Automobile et Cap VI.

Sans sa pépite logistique, privé de cette base arrière qui lui garantissait une plus large assise, l'ensemble restant ne pèse déjà plus que 46 millions d'euros de CA, dont 20 millions d'euros provenaient, en 2017, du seul CAP VI. Mais cette structure perdait alors presque 1 million...

Sans compter que la stratégie de redéploiement initiée par le distributeur fin 2017 ne semble pas avoir vraiment pris son envol. Il en espère pourtant beaucoup en voulant ainsi céder l'essentiel de ses 59 agences régionales détenues en propre à des entrepreneurs indépendants qui deviendraient ainsi “distributeurs exclusifs” de pièces Laurent Automobile sous deux concepts (Laurent Automobile Magasin et Laurent Automobile Mobility).

Vu l'état général du groupe Laurent, l'expérience commune de Renault et Mobivia n'est probablement pas hors de prix. On peut en effet présager que le ticket d'entrée consenti par les deux partenaires dans Exadis n'a pas financièrement impacté leurs capacités respectives d'investissement et de réaction.

Du coup, le Groupe Laurent doit sûrement regretter d'avoir dédaigné en leur temps les offres de groupements. Les trains sont passés. Ils ont depuis attelé d'autres wagons, en VP comme en VI.

Jean-Marc Pierret
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