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Atouts et faiblesses des réparateurs indépendants

Jean-Marc Pierret
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Reparateur atelier

Structurellement comme conjoncturellement, tout semble sourire aux indépendants en matière d’après-vente. C’est vrai, mais après l'embellie peut venir le mauvais temps. Car en cette époque de grands changements technologiques, économiques, législatifs et contractuels pour le triptyque consommateurs, indépendants et constructeurs, les rentes de situation sont moins éternelles que jamais...

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Tout d’abord, les atouts. Nombreux. Car indiscutablement, tout sourit à la réparation dite indépendante. Elle surfe sur un parc vieillissant boosté en ce sens par la crise actuelle de l’offre VN et même VO. L’âge moyen du parc VP roulant était de 9,5 ans en 2014. Il lui a fallu presque 10 ans pour atteindre 10,6 ans en 2023. Il n'en faudra que deux pour grimper à 11,2 ans en 2025.

Mieux : les ateliers indépendants trustent déjà l’essentiel des volumes après-vente. Aux 29 % des entrées atelier détenues par les réseaux constructeurs en 2023 selon GiPA, les acteurs multimarques opposent les 71 % restants, dont les 20 % des centres autos, les 17 % des pneumaticiens et autres fast-fitters et les 34 % des MRA.

À ces 71 % détenus en volume de prestations, les Augures leur ajoutent le même avenir radieux en valeur. En 2030, les réparateurs multimarques devraient ainsi pouvoir s’adjuger 70 % de cette fois la valeur du marché, prédit Roland Berger.

Un parc porteur

Et c’est logique. Le parc roulant thermique pèse toujours 93 % des voitures en circulation en 2023, pour 5 % d’hybrides et 2 % de full-électriques. En 2030, les moteurs classiques seront toujours présents à 80 %, les hybrides atteindront 9 % et les électriques, 11 %.

À cette décrue lente qui permet de voir venir, s’ajoute cet autre effet porteur : de moins en moins renouvelé, le parc thermique va donc vieillir, sortant des ateliers constructeurs au fil de l'électrification montante pour entrer de façon croissante dans ceux des indépendants. Et le parc vieillissant, c’est le territoire d’excellence des multimarques.

Car il ne faut surtout pas oublier qu’en 2023, les concurrents des RA1 et RA2 détiennent 80 % des entrées atelier des VP de plus de 15 ans. À eux seuls, les MRA en traitent même la moitié ! Et plus un véhicule vieillit, plus il est porteur de grosses interventions. Cette manne va donc, mécaniquement sans mauvais jeu de mot, tomber dans l’escarcelle des indépendants.

Le temps au temps pour les indépendants...

Ces derniers ont donc cet atout théorique : le temps d’anticiper les changements. L’inertie du parc étant ce qu’elle est, les effets de la vague montante de l’électrification – et de son entretien courant entre - 20 % et - 40 % – s’annoncent aussi dévastateurs à court terme pour les ateliers constructeurs qu’encore lointains pour ceux des multimarques. Les premier mettent les véhicules électriques sur le marché et en remplissent d’abord leurs ateliers, pendant que les seconds ne commencent à intervenir vraiment sur le parc roulant qu’après trois à cinq ans d’existence, quand les véhicules sortent des périodes de garantie ou des contrats d’entretien constructeurs.

Au-delà de tous ces éléments structurellement positifs pour les indépendants, voilà que le conjoncturel se met aussi à leur service : les ventes de VO de plus de 15 ans s’enflamment, pendant que les préoccupations liées à l’inflation et à la baisse du pouvoir d’achat orientent les consommateurs vers les ateliers multimarques, plus compétitifs que ceux des réseaux constructeurs.

Alors, bénis des dieux, les indépendants ? Oui, s’ils prennent garde de ne pas se laisser endormir par ces avantages structurels et conjoncturels. Car les temps vont immanquablement changer. Et probablement plus vite que jamais. Surtout dans le camp d'en face.

… mais un temps court pour les réseaux constructeurs

Car les réseaux constructeurs, eux, sont entrés dans une urgence existentielle inédite dans leur histoire. RA1 et RA2 sont abandonnés par les constructeurs qui les sortent du cocon contractuel de la concession pour les précipiter dans le froid statut d'agent commercial. Cette douloureuse rupture cultu(r)elle les pousse à se chercher de nouvelles voies de croissance.

RA1 et RA2 sont en train de le comprendre : les rassurants fondamentaux de leur business model historique deviennent à risque. Le VN et le VO leur échappe au profit du constructeur qui a décidé de se les approprier, rendant leur indépendance à des RA1 et RA2 qui sortent brutalement d'un long syndrome de Stockholm entretenu par la relation concédant-concédé. Ils ont aussi compris que les constructeurs ont bien l'intention de garder le contrôle, voire de capter le lucratif commerce de la pièce de rechange. Pire : les ateliers des réseaux constructeurs vont effectivement se vider en proportion de la baisse d'entretien des VE.

Et voilà que même les grands loueurs, vieux amis des ateliers de marque, se tournent vers les réseaux multimarques. Des loueurs qui se demandent si finalement, les ateliers indépendants ne traiteraient pas mieux, à la fois en réactivité client et en rapport qualité-prix, ces véhicules flottes qui croissent toujours plus en entreprises pendant qu'ils conquièrent maintenant des particuliers de moins en moins propriétaires et de plus en plus usagers de l'automobilité.

RA1 et RA2 doivent se réinventer

Après la sidération, commence le temps de la réaction. D'autant que les contrats d'agent commercial commencent à arriver dans les réseaux, emportant les derniers espoirs des plus optimistes ou des plus incrédules.

RA1 et RA2 vont donc devoir se réinventer. Ils vont bien sûr s'appuyer sur leurs fondamentaux : discipline, formation, compétences techniques, notoriété. Ils vont aussi devoir traiter leurs faiblesses : coûts de fonctionnement élevés, process constructeurs parfois contraires aux exigences d'un parcours client voulant toujours plus de simplicité et de réactivité, taux de main-d’œuvre et prix des pièces non compétitifs.

Ils n'ont pas le choix s'ils veulent pouvoir sanctuariser et redévelopper leur après-vente. Il va falloir apprendre à  conserver coûte que coûte ces clients qui les quittent avec le temps pour tous ces indépendants. Et pour compenser la chute de l'entretien VE, ils vont même devoir partir à la conquête des clients naturels des si agiles et résilients MRA, centres autos et autres spécialistes et pneumaticiens...

Pour faire court, ils vont devoir s'inventer leur propre clientèle, eux qui la partageaientt avec des constructeurs qui sont maintenant bien décidés à leur prendre.

L'apprentissage de la reconquête client

C'est là que lesdits indépendants doivent devenir vigilants. Ils ont certes conquis un peu des véhicules récents et presque rien cédé de leurs clients naturels à l'ennemi. On a aussi vu que les vents du marché leurs sont favorables.

Mais déjà, des groupes de concessions testent des approches véhicules anciens avec des forfaits et des taux de main-d’œuvre calqués sur ceux des indépendants. Les agents ne seront évidemment pas en reste. Tous les deux ont compris que les baisses de pouvoir d'achat mettent leurs ateliers en première ligne de la désaffection du consommateur automobiliste.

Ils ont aussi la ferme intention de conserver le client le plus longtemps possible, qu'il soit propriétaire ou simple usager de véhicules qui, loués en multicycle (c'est à dire plusieurs fois de suite par le même propriétaire professionnel du véhicule, qu'il soit constructeur, loueur ou distributeur), restera dans le giron de celui qui le détient et donc, dans l'atelier d'entretien-réparation de son choix.

Sur ce sujet de l'opportunité du marché flottes, que les indépendants ne s'y trompent surtout pas : si les loueurs leur font les yeux doux en leur promettant des clients dont ils n'ont même pas encore besoin, c'est d'abord par dépit. Parce que les réseaux de marque les traitent trop subsidiairement, considèrent les grands apporteurs d'affaires.

Cette opportunité par défaut ne durera pas. Les ateliers constructeurs ne laisseront pas partir facilement cette rente de situation. Les client BtoC et donc surtout BtoB sont le carburant de leur survie. Les indépendants ne peuvent donc plus compter sur l'indolence des réseaux de marque en la matière...

Les forces des uns sont les faiblesses des autres

Les indépendants vont donc devoir passer en mode défense. Car si les ateliers constructeurs se donnent les moyens de conquérir ce parc ancien dont ils n'avaient somme toute pas besoin pour bien vivre à l'ombre des contrats de concession et d'agent, ils vont miser sur leurs forces qui sont justement les faiblesses des multimarques et tout particulièrement de ces MRA qui, sous enseigne ou pas, traitent parfois trop mollement leurs points d'amélioration.

Pêle-mêle parmi ces points à améliorer, on peut citer par exemple la formation, l'équipement, l'appropriation des nouvelles technologies, le diagnostic et ses Passthru, la culture des accords-cadres, la digitalisation et l'équipement DMS. Et aussi, la discipline d'enseigne qui, il faut bien le reconnaître, n'est pas toujours le point fort des MRA sous panonceau.... Les têtes de réseaux multimarques font certes des efforts d'évangélisation, d'accompagnement et de services en ces matières. Et si rien ne changeait, si la ligne de front ne bougeait pas, ils porteraient leurs fruits dans le temps comme cela a toujours été le cas dans le passé.

Mais le temps va peut-être manquer si les RA1 et RA2 considèrent que leur survie immédiate passe par la reconquête de l'après-vente. Et quand on en parle avec ces naufragés de la relation avec "leurs" constructeurs, ce ne sont plus seulement des mots...

Jean-Marc Pierret
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