
Derrière le volant est au cœur des défis de la mobilité : le regard de Camille Sablayrolles, FNA

Arrivée à la FNA en octobre 2024, Camille Sablayrolles pilote aujourd’hui les branches métiers de la Fédération. Avec une solide expérience en affaires publiques, elle s’attache à défendre des professions souvent méconnues mais essentielles, tout en structurant une stratégie de lobbying plus efficace et lisible. Dans cet entretien, elle revient sur son parcours, les grands défis des filières qu’elle représente dont la crise actuelle du permis de conduire. Elle nous partage sa vision de l’avenir du métier d’enseignant de la conduite.
Introduction et mission au sein de la FNA
Camille, vous êtes arrivée à la FNA en octobre 2024 pour piloter les branches métiers. Quelles sont vos principales missions et quels objectifs vous êtes-vous fixés à votre arrivée ?
J’ai la responsabilité du pilotage de trois départements « branches métiers » de la FNA. Mon rôle est transversal et s’articule autour de plusieurs dimensions. D’abord, être à l’écoute du terrain : comprendre les enjeux des professionnels, leurs difficultés, et leur apporter un soutien concret, notamment juridique. Ensuite, analyser les évolutions possibles de leurs métiers, sous des angles juridiques, économiques, stratégiques et institutionnels.. Enfin, transformer ces besoins en actions : identifier les leviers d’influence et déployer des stratégies de lobbying efficaces auprès des pouvoirs publics comme des partenaires privés.
Dès mon arrivée, je me suis fixée deux priorités : défendre des professions souvent en tension — parfois peu connues ou peu valorisées mais pourtant essentielles — et structurer l’action de lobbying de la Fédération, afin qu’elle gagne en efficacité, en lisibilité et en impact.
Un parcours préparatoire
Comment votre parcours universitaire et vos expériences en affaires publiques vous ont préparée à ce poste ?
Mon parcours à l’Université de Rouen, complété par plusieurs années à l’étranger, m’a apporté une solide formation juridique, notamment grâce à un Master en Droit international et européen. J’y ai appris la rigueur d’analyse et la construction d’argumentaires solides — des compétences que j’utilise chaque jour. Étudier à l’étranger m’a aussi permis d’élargir ma vision, d’explorer d’autres disciplines et de développer une approche plus pluridisciplinaire, utile aujourd’hui pour analyser des données, identifier des tendances ou encore bâtir des actions de communication.
J’ai ensuite débuté dans un cabinet de conseil en affaires publiques, où j’ai accompagné des clients très variés — start-up, grandes entreprises, acteurs étrangers — à l’échelle locale, nationale et européenne. Ce rythme intense m’a appris l’adaptabilité et la gestion simultanée de dossiers très différents. Une expérience extrêmement formatrice, qui m’a donné une vision à la fois concrète et complète des affaires publiques.
Défis et enjeux des branches métiers
Quels sont les défis majeurs pour les branches que vous supervisez, et comment travaillez-vous avec les différentes filières ?
Les branches métiers de la FNA sont diverses, mais partagent un point commun : leur manque de visibilité. Beaucoup de leurs problématiques sont mal connues du grand public, ce qui rend notre rôle de pédagogie essentiel — aussi bien auprès des décideurs que des consommateurs. Autre enjeu : la vigilance permanente. Même après des avancées, rien n’est jamais acquis. Un simple changement réglementaire ou local peut rapidement fragiliser une profession. Enfin, nos branches sont interdépendantes. Une décision concernant le contrôle technique peut impacter garages ou centres de maintenance. Cela exige un travail transversal, pour anticiper les effets d’entraînement.
Avec nos partenaires privés, nous menons par exemple des échanges réguliers avec les sociétés d’assistance sur le dépannage, afin de fluidifier les interventions. À l’inverse, nos relations avec les assurances sont plus complexes : délais de traitement, recours juridiques, indemnisations insuffisantes… Des véhicules restent parfois abandonnés chez les professionnels, sans solution claire. Un sujet lourd, qui nécessite l’ouverture d’un dialogue politique.
Une femme dans l’univers du dépannage
Comment vivez-vous votre place dans un secteur historiquement masculin ?
C’est vrai que le dépannage n’est pas un univers où l’on attend spontanément une femme. Ce n’était pas un milieu « naturel » pour moi, mais je l’ai abordé avec exigence et détermination, en assumant pleinement ma place. Ce qui compte, ce sont les relations de travail fondées sur le respect mutiel, la qualité des échanges et la reconnaissance des compétences. Même si quelques résistances existent encore, je constate que mon expertise est prise au sérieux car elle apporte des réponses concrètes aux besoins du secteur.
Actualité du moment : Crise des places au permis de conduire
Vous avez récemment relancé l’alerte nationale sur la crise des places d’examen. Quel a été votre rôle ?
L’État est responsable de l’organisation de l’examen du permis de conduire. Depuis la réforme abaissant l’âge du permis à 17 ans, on constate un décalage entre la décision politique et les réalités de terrain. La mesure, très populaire auprès des jeunes, a entraîné un afflux massif de demandes, sans adaptation du nombre de places d’examen.
Résultat : un système saturé, des délais qui explosent — notamment pour les candidats recalés — et une frustration croissante chez les élèves… qui se répercute directement sur les gérants des écoles. Faute de solutions, certains moniteurs subissent aujourd’hui des agressions verbales, voire physiques.
Face à cette situation, la FNA a relancé la mobilisation, multiplié les prises de parole et ouvert un dialogue avec le ministère de l’Intérieur. Mon rôle a été de construire un plaidoyer structuré, en activant les bons leviers de visibilité et d’influence.
Quelles actions sont en cours pour accompagner les auto-écoles et que demandez-vous aux pouvoirs publics ?
Notre rôle est d’abord de recueillir les retours du terrain et d’apporter un support métier, afin de renforcer notre action collective. Or, l’enseignement de la conduite est un secteur peu syndiqué, ce qui complique la mobilisation.
Nous avons obtenu l’annonce de 80 000 places supplémentaires, mais il en manque encore 600 000. Le gouvernement a également promis 10 inspecteurs supplémentaires d’ici 2026, à l’échelle nationale et engagé des mesures ponctuelles telles que la mobilisation d’inspecteurs retraités, l’accélération de la prise de fonction des inspecteurs stagiaires, et le lancement d’une mission flash au Parlement.
Ces avancées marquent un premier pas, mais restent insuffisantes face à l’ampleur de la crise. Aux côtés des autres syndicats (et même avec celui des inspecteurs du permis, une collaboration inédite), nous maintenons la pression pour des solutions à court, moyen et long terme : un véritable plan de recrutement, une refonte des règles du métier, et une réflexion de fond pour redonner de l’attractivité à la profession.
Transversalité à la FNA
Comment travaillez-vous avec les autres branches de la FNA ?
Mon rôle, très orienté affaires publiques, est par nature transversal. Les sujets que je traite pour une branche peuvent avoir un impact direct sur d’autres métiers représentés par la FNA. Cela implique un travail étroit avec les autres départements, mais aussi avec les élus locaux, qui apportent leur expertise métier et un ancrage précieux pour adapter nos plaidoyers à la réalité du terrain.
Quel effet a eu la médiatisation de votre alerte ?
La médiatisation a joué un rôle d’accélérateur. Lorsqu’un sujet touche directement les consommateurs, l’État est contraint de réagir plus rapidement. Expliquer que les auto-écoles ne sont pas responsables du manque de places a permis de rediriger la pression vers le véritable décideur : l’État.
Mais malgré cette visibilité accrue, les décisions concrètes tardent à venir. Le contexte politique instable et le turnover dans l’administration ralentissent considérablement les avancées.
Si vous deviez convaincre un jeune de 20 ans de devenir enseignant de la conduite ?
C’est un métier en constante évolution, stimulant et enrichissant, qui permet d’accompagner les jeunes vers l’autonomie, de concrétiser leur projet tout en jouant un rôle essentiel pour la sécurité routière de demain.
Quelle vision avez-vous du moniteur de demain ?
C’est un professionnel agile, à la fois compétent techniquement et humainement, capable de s’adapter aux évolutions pédagogiques et technologiques. Mais surtout, un acteur engagé collectivement : seul le travail syndical et la solidarité permettront de peser réellement dans le dialogue avec les pouvoirs publics et de défendre l’avenir du métier.
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