Le business model des distributeurs peinture menacé

Romain Thirion
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Peintre automobile au travail.

Le distributeur peinture est devenu un prestataire de services autant qu’un fournisseur de produits. Mais la vague inflationniste actuelle met à mal les marges et fait la part belle aux sites de vente en ligne, qui n’ont pas la même masse salariale à gérer. 

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Il monte, il monte, le prix de la peinture automobile... « De janvier 2021 à juin 2022, le pot d’un litre de peinture hydrodiluable a augmenté entre 27 et 30 %, conséquence de hausses répétées en cours d’année, contrairement aux augmentations calendaires habituelles », souligne Eric Le Gall, directeur des ventes peinture & carrosserie d’Alliance Automotive Group (AAG). Or, le benchmarking avec les "pure players" du secteur montre que l’écart tarifaire entre produits vendus en ligne et produits vendus par les distributeurs traditionnels s’est encore élargi. « La remise proposée sur le web est à quatre ou cinq points près la marge du distributeur traditionnel, qui sert à rémunérer le personnel et à investir », explique Philippe Porro, P-DG de Dauphiné Peinture Diffusion, adhérent Précisium Color et administrateur de la Feda.

Distributeur "phygital", à cheval entre web et vente physique, Techn’Ecar assume de n’avoir que peu augmenté ses tarifs. « Comment est-il possible de voir des prix au litre atteignant les 140 € ? Il est trop facile de dire que le coût des matières premières a augmenté. C’est encore une fois le carrossier qui trinque, car il lui est impossible de répercuter ces hausses », défend-on chez l’éditeur de Peinturevoiture-pro.fr. D’autant que les compensations accordées de gré à gré par les assureurs cette année – de 3 % à 6 % en moyenne et une fois l’an – restent loin des 30 % de hausse actuels.

Fabricants inflexibles

Dans ce contexte, le distributeur traditionnel, lui, est pris entre le marteau et l’enclume. Car les cinq grands fabricants de peinture que sont Axalta, BASF, PPG, AkzoNobel et Sherwin-Williams ont, peu ou prou, augmenté leur prix dans les mêmes proportions. En cause ? Les difficultés logistiques issues de la pandémie de Covid-19, la raréfaction de certains pigments, suite à la guerre en Ukraine, l’obligation de reformuler certaines teintes…

Pour Julien Lefort, directeur général adjoint d’Alternative Autoparts et directeur des opérations d’Ouest Injection, adhérent du réseau Centaure, ces événements ont bon dos. « Au-delà de 25 % d’augmentation, répercuter les hausses devient compliqué. La peinture n’est pas un produit fini, il n’y a pas de prix facial et de telles augmentations sont impossibles à justifier au client. Aujourd’hui, au lieu de développer notre activité, nous sommes dans une position de défense de nos parts de marché », déplore-t-il, en plaidant la négociation au niveau du groupement avec les fabricants de peinture. Mais les stratégies commerciales étant européennes voire mondiales, les directions françaises de ces grands groupes chimistes n’ont pas forcément les mains libres.

Service compris… mais incompris

A la tête avec ses frères de la Maison Bonnafous, distributeur de peinture depuis quatre générations à Montauban (82) et adhérent Centaure, Florent Bonnafous se questionne. « En tant que distributeur, comment fait-on pour supporter de telles augmentations quand nous devons installer des machines pour 15 000 euros, faire l'entretien, installer les spectrophotomètres, payer les commerciaux et les animateurs réseaux, assurer les préparations spéciales… ? » Car la véritable valeur ajoutée du distributeur de peinture réside depuis longtemps dans cette somme de services (voir encadré ci-dessous), plus mise à mal que jamais.

Or, les carrossiers ne saisissent pas toujours à quel point leur distributeur leur fournit plus de services que de produits. « Le job du distributeur est de savoir s'adapter à des demandes parfois peu orthodoxes car l'on s'adresse à des artisans, ce que les fabricants de peinture ne comprennent pas. Or, un distributeur propose une somme de services gratuits : installation de la machine, mise en place du stock de départ, dépannage d'urgence… Certains carrossiers se tournent vers la vente en ligne et font mine ne pas avoir besoin de nous mais en cas d'urgence, c'est quand même nous qu'ils appellent », témoigne Philippe Leroux, président de Centaure et de Carrosserie Peinture System (CPS), distributeur en Gironde et dans les Pyrénées-Atlantiques. 

Péché originel

A l’aune de l’inflation effrénée à l’œuvre depuis un an et demi, cette gratuité des services apparaît désormais comme le péché originel du métier. Un avantage pour le carrossier mais qui se révèle être un boulet au pied de son grossiste. Selon Ph. Porro, « le niveau actuel des tarifs va s’inscrire dans le marbre, il faut se faire une raison. Et compte tenu du manque à gagner pour le distributeur, il y aura sûrement une facturation des services, à terme ». Logique, tant le distributeur investit pour son client carrossier.

« Nous mettons au minimum 25 000 € dans son laboratoire peinture mais lorsque le client ne pèse que 20 000 € de commandes annuelles, ce n’est pas rentable », déplore Nicolas Demoulin, P-DG d’Antonin Midi-Pyrénées (Précisium Color), qui gère plus de 220 machines. Aussi l’entrepreneur a-t-il fait le choix de détailler les différentes lignes de facturation auprès de ses clients, même s’il leur fait un avoir de fidélité de 100 % de la somme. Façon de sensibiliser le carrossier sur la vraie somme qu’il devrait payer.

Color+ certifie l’échelle de valeur

Le label lancé par la Feda en 2019 propose un référentiel clair pour guider l’audit réalisé auprès des distributeurs peinture. Huit "fondamentaux" sont identifiés :

  • la relation commerciale
  • la qualité de stockage
  • la fiabilité logistique
  • la traçabilité des approvisionnements
  • le respect des normes et procédures environnementales
  • la qualité de l’infrastructure et des équipements
  • e niveau de service (délivrance & suivi de matériel, formation initiale et continue, assistance technique)
  • la qualification des équipes techniques et commerciales.

Ces huit piliers guident ainsi les 22 critères évalués par l'organisme en charge de l'audit et de la certification (Bureau Veritas jusqu'ici).

Romain Thirion
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