« Je n’ai pas fui la justice japonaise, j’ai fui l’injustice ! Je vais démontrer, preuves à l’appui, qu’une campagne diffamatoire a été engagée contre moi par une poignée de cadres de Nissan sans scrupules, dont Hari Nada et Masakazu Toyoda ainsi que le procureur ! Je ne suis pas au-dessus des lois, mais je dois laver mon honneur dans une affaire où l’hérésie a régné dans le système judiciaire japonais ». Très vite, le ton est donné par l’ancien président de l’Alliance Renault-Nissan et Mitsubishi lors de sa première prise de parole devant la presse internationale ce 8 janvier 2020. Si Carlos Ghosn ne s’est pas exprimé sur la logistique de sa fuite du Japon, il s’est en revanche largement étendu sur sa détention de 400 jours entre la prison et son assignation à résidence, puis les refus répétés de la justice de le libérer "malgré la production d’éléments prouvant son innocence". Et enfin, sa décision de s’enfuir : « Mes avocats m’ont prévenu. Dans le meilleur des cas, je devais patienter cinq ans avant d’avoir un procès, broyé dans un système où le taux d’inculpation est de 99, 4%. Je n’avais plus le choix. Si je ne voulais pas mourir là-bas, je devais partir. A présent, je vais parler, comme beaucoup de personnes qui n’ont pas pu le faire jusqu’à présent d’ailleurs », a-t-il lâché. Sur ses quatre chefs d’inculpations, Carlos Ghosn les a réfutés l’un après l’autre en transmettant à la presse les documents liés. Extraits : Dissimulation de sa rémunération ? « Comment déclarer une somme qui n’a pas été décidée, fixée et payée ! Je n’ai pas non plus de réserve d’argent que j’aurai utilisé à ma guise, mais une ligne budgétaire validée par le Board. Sur la réception à Versailles pour le 15e anniversaire de l’Alliance, Renault était mécène du château (1 M€ ). A ce titre, nous avions droit d’utiliser un espace dédié. Ce n’est pas un abus de bien social. Les résidences de Rio et de Beyrouth sont mises contractuellement à la disposition du dirigeant en place. Elles ne m’appartiennent pas ! »
Pour Carlos Ghosn, son arrêt de mort a été signé dès 2017, après sa décision de quitter Nissan pour se consacrer à la relance de Mitsubishi. « Je rappelle que j’ai repris Nissan en 1999, elle était moribonde. J’en suis parti 17 ans plus tard, elle était florissante. Le job d’un patron, c’est de faire de la croissance, avoir une vision et une stratégie. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai laissé une entreprise saine. Sauf que dès 2017, Nissan a commencé à décliner, provoquant l’inquiétude de ses hauts dirigeants. Mais ce n’était déjà plus moi à la barre. » Autre écueil, celui de la répartition des droits de vote plus favorable à Renault que Nissan, dans le cadre de l’Alliance. Les japonais se sont toujours estimés lésés dans leur propre groupe. Le pire est à venir selon l’ancien patron : Nissan et Renault subissent déjà les conséquences de cette situation dans leurs résultats – chute de la valorisation de Nissan de 10 Md de dollars en un an (-38%) et de 5 Md pour Renault (-34%). « Et le rapprochement avec FCA est tombé à l’eau, à présent au profit de PSA ! Comment peut-on perdre une occasion unique d’être acteur leader de l’industrie ? Quel gâchis ! », a déploré Carlos Ghosn. Ce dernier a déclaré qu'il se soumettra aux convocations de la justice libanaise. Convoqué dès le lendemain, le jeudi 9 janvier, devant le parquet général - le Liban a reçu une notice rouge d'Interpol - la justice libanaise lui a interdit de quitter le pays. Les autorités ont cependant annoncé que l'ancien patron de Renault-Nissan était entré légalement dans le pays, rappelant qu'il n'y avait pas d'accord d'extradition avec le Japon. La ministre de la justice Masako Mori a quant à elle, après le Show Ghosn, déclaré qu'elle souhaitait qu’il vienne "affronter réellement la justice japonaise, mais il a fui, alors même qu’il n’était pas enfermé, qu’il pouvait voir librement ses avocats. Une telle attitude est inqualifiable. Dans tous les cas, son évasion n’est pas justifiable. »Muriel Blancheton