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Analyse – Internet: les pièces en ligne ont mangé leur pain blanc…

Jean-Marc Pierret
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Les sites de vente de pièces en ligne ont conquis 20% du marché du “do it yourself”, leur domaine de prédilection. C’est spectaculaire, mais cela rend d’autant plus difficile leur possibilité de progression supplémentaire, alors même que leur “business model” exige une croissance continue sans leur permettre pourtant de dégager la rentabilité nécessaire pour aller “taper dans la butte”.  C'est peut-être bien la fin des belles années...
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C’est inscrit dans les gènes des sites grand public de ventes de pièces en ligne : leur succès est indiscutablement lié à leur fantastique décollage. Ils sont à la pièce automobile ce que les “start up” ont été à la bulle financière des années 2000. Ils ont crû parce que les internautes les ont suivis, d’accord ; mais aussi parce que du coup, les investisseurs y ont cru et les ont eux aussi suivis, attirés par la puissante lumière de leur fantastique et attractive croissance. Oscaro a magnifiquement incarné cette envolée vertigineuse : 48,5 millions d’euros de CA en 2009, presque 88 en 2010, presque 130 en 2011 et environ 300 millions en 2013…
Les théoriques potentiels de croissance
A première vue, ils semblent même en avoir encore sous le pied, ces sites qui ont conquis en peu d’années environ 500 à 600 millions d’euros de CA cumulés. C'est en tout cas l'estimation convergente de divers observateurs, même si c'est dans un flou qui ici intègre les ventes de pneus en ligne, là les exclut. Mais bon, c’est de toute façon spectaculaire...Mieux − et à première vue toujours : ces 600 millions ne représentent encore “que” 4% d’un marché pièces estimé en 2012 par l’ADLC (Autorité de la Concurrence) à quelque 15 milliards d’euros HT (pièces concurrencées, pièces de carrosserie et accessoires). Et même ramené aux seuls 11,8 milliards HT des pièces concurrencées et accessoires (les sites demeurent encore très marginaux sur le terrain miné de la pièce de carrosserie), leur part de marché semble toujours faible, donc pleine de promesses : 5% seulement !
le meilleur des pièces en ligne est derrière
Mais si les gisements de croissance étaient réellement à peine entamés, pourquoi diable voit-on alors les sites de pièces en ligne s'en aller frénétiquement chercher d’autres marchés (l’internationalisation outre-Atlantique chez Oscaro alors même qu'il “bricole” encore péniblement en Europe) et d’autres gammes de produits (l’huile, ou la pièce de carrosserie annoncée chez Oscaro, le pneu récemment ajouté chez mister-auto…) ? Ces sites ne constateraient-ils pas –ou à tout le moins, ne craindraient-il pas– un ralentissement fort de leur marché réputé si porteur ?S’ils semblent tous vouloir se diversifier, c'est évidemment parce que les arbres ne grimpent jamais jusqu’au ciel. Les sites internet doivent logiquement finir par toucher leurs limites. Au vu cette fois du vrai périmètre des sites de pièces en ligne, c'est probablement déjà le cas : quand on compare cette fois leurs 600 millions de CA à leur seul marché naturel du “do it yourself” et des accessoires (environ 3 milliards d’euros HT par an, toujours selon l'ADLC), le ratio est tout autre : les sites internet peuvent cette fois en revendiquer… 20% !C'est certes un fantastique résultat. Mais du coup, la vente de pièces en ligne passe du rang de challenger conquérant à celui, enviable mais plus délicat à gérer, de leader. Et comme pour tout leader, la priorité consiste à défendre d'abord une part de marché, puisque la marge de progression a été à peu près totalement consommée...D'autant que, si l’on en croit la Fevad (Fédération E-commerce et Vente à Distance), le poids général des ventes par internet en France ne représentait que 7% du commerce de détail hors alimentaire en 2012. Au périmètre toujours de leur vrai marché du do it, les sites de ventes de pièces ont donc déjà fait un sacré plein : 20%, c'est... presque trois fois plus de parts de marché que la moyenne affichée par le grand monde de la vente en ligne ! Dans le détail, à en croire ce graphique ci-dessous, seuls les produits culturels (pour beaucoup déjà dématérialisés et donc téléchargeables, ce qui n’est pas vraiment l’atout intrinsèque des pièces automobiles) ont fait à peine mieux avec 21% :graphique_fevad Cliquez sur le graphique pour l'agrandir
Les limites du do it
Vu comme ça, les sites de pièces en ligne ont donc déjà bel et bien conquis l’essentiel de leur potentiel. Du coup, leurs perspectives sont d'autant moins souriantes. Et du coup toujours, ils pourraient avoir plus de mal à affronter bien des vents contraires qui soufflent sur les positions acquises par la vente de pièces en ligne.Le premier concerne justement ce marché du do it qui promet des lendemains qui déchantent. Il a déjà structurellement trouvé ses limites dans la technicité croissante des véhicules ; être un bricoleur éclairé, ou même avoir un copain mécano pour accompagner un remplacement de pièces devient de plus en plus ardu et le deviendra encore plus. Les sites ne peuvent donc pas compter sur les perspectives du do it pour élargir leur marché naturel.
La concurrence des sites BtoB...
Certes, les sites de ventes en ligne grand public ont aussi profité d'achats “masqués” provenant de réparateurs, d'auto-entrepreneurs et de blackeurs, dans des proportions inconnues mais certaines. On parle sous le manteau de... 30% des ventes actuellement enregistrées par les sites grand public de pièces en ligne !Mais là aussi, cette discrète “diversification” va être endiguée, ou au moins contrariée en partie, par la montée en puissance des vrais sites de pièces BtoB : les déjà installés et florissants 07ZR.com ou gettygo.com pour le pneu, ou maintenant  Originauto, cette grenade déjà dégoupillée dans la pièce concurrencée qui risque de susciter d'autres vocations. Ces acteurs présents ou à venir ont un mérite et donc un atout auprès des pros : ils apparaissent justement comme une saine réaction aux sites grand public qui, eux, resteront durablement identifiés par les réparateurs comme des vampires suceurs de marge...
L'incertain facteur du prix des pièces
Autre vent contraire, même s’il ne s’est pas encore levé : le positionnement-prix des pièces. Pour l’instant, le différentiel tarifaire entre pièces en ligne et pièces “physiques” reste suffisamment fort pour que les sites surfent encore sur une offre de prix inédite par rapport à celle du marché traditionnel de la rechange automobile, qu'elle soit constructeur comme indépendante.Mais pour combien de temps ? Les signes annonciateurs d’une baisse générale des prix des pièces, au moins pour celles qui sont les plus banalement concurrencées donc les plus “internetisables”, s’accumulent à l’horizon. Ce n’est sûrement pas par hasard si les réseaux encouragent, de plus en plus souvent, leurs réparateurs à revoir leurs taux de main d’œuvre à la hausse : les acteurs historiques de la rechange ont compris que le prix de la pièce est en liberté conditionnelle et que les risques de dévissage du référentiel prix constructeur sont de plus en plus réels (voir «Marché de la pièce : touche pas à mon Prix Constructeur !»).Paradoxale ironie : si baisse il doit y avoir, ce sera en –grande ?– partie à cause de la sur-communication de remises de -40, -50, -60% générée à l'envi par les sites eux-mêmes. Jusqu'à faire hélas oublier les composantes cachées du prix d'une pièce en logistique, livraison, formation, informations techniques, etc., etc.Cette menace d’une baisse ou même d’une stagnation des prix des pièces pèse très lourd sur la tête des sites eux-mêmes. Car ils sont les premières victimes de leur positionnement tarifaire, condamnés qu'ils restent à pousser du prix toujours bas pour ferrer des internautes chasseurs de pri(x)mes. Ils sont donc prisonniers du risque concomitant à cette stratégie : leur faible rentabilité actuelle ne s'améliorerait même pas si les prix devaient baisser. Il leur faudrait de toute façon garder un différentiel attractif, synonyme de prix encore plus bas, donc de marges encore plus faibles...
L'impossible rentabilité des pièces en ligne
Et c'est bien là leur talon d'Achille. Début 2013, nous avions fait un tour des résultats des sites qui montrait à quel point leur rentabilité était anémique, voire désespérément impossible pour nombre d’entre eux (voir «Sites de pièces en ligne : ventes agiles, mais rentabilités d’argile…»). A l’époque, Thierry Talbot, le patron des distributeurs indépendants d’Autodistribution, avait d’ailleurs eu son heure de gloire sur ce site (17 000 pages vues !!!) en proclamant urbi et orbi qu’Oscaro ne pouvait être structurellement bénéficiaire sans un opportun coup de pouce fiscal (voir «Thierry Talbot accuse Oscaro d’être rentable grâce à un crédit d’impôt»).Le constat n’a apparemment pas évolué depuis. Des observateurs attentifs constatent même que l'attractif «prix-promo» des sites de pièces en ligne, systématique hier, se différencie maintenant subtilement d’une gamme à l’autre, voire d’une référence à l’autre. Si les sites modulent ainsi leurs prix pour “gratter” un peu plus de marge sans trop attirer l’attention des internautes, c’est que les temps restent au moins à la gestion fine…
Moteur de recherche : le frère ennemi
Le vent mauvais de cette faible rentabilité a en outre trouvé un puissant et maléfique complice qui est propre au e-commerce : le parasitage financier des moteurs de recherche, à commencer par le gourmand Google et ses 97% des requêtes d’internautes. Son modèle économique triomphant contrarie toujours plus les espoirs de rentabilité des sites de ventes en ligne. Car plus un mot-clé est recherché, plus il coûte cher.Des centaines de milliers d’euros s’évaporent ainsi irrémédiablement chaque mois du porte-monnaie des sites de pièces. Des fortunes sacrifiées à la seule stratégie de maintien du référencement, donc d’une vitale visibilité sans laquelle les sites seraient relégués loin de la première page, donc loin du client internaute. A ces pesants coûts parasites viennent s’ajouter ces autres incontournables investissements en communication traditionnelle vers le grand public : télé, radio, affichage, presse…
La concurrence des places de marché
Ajoutons enfin cet autre vent mauvais qui interdit aussi toute éclaircie : la pression concurrentielle croissante des places de marché internet comme Amazon ou bientôt Alibaba.com. Bien que présentes sur une infinité de produits et de secteurs, elles n’ont pourtant pas oublié la pièce automobile. Elles peuvent donc sans trop de risque s’aligner sur la stratégie tarifaire des sites «spécialistes», puisqu’une marge sur la pièce auto, aussi faible soit-elle, est relativisée par leur assise marchande multiproduit et multisecteur où les chiffres sont souvent plus rieurs.Que les sites de ventes de pièces améliorent leurs marges et ils prennent le risque de sortir du marché ; et s’ils les massacrent un peu plus ou s’ils les maintiennent bas, ils trouveront toujours ces places de marché pour s’aligner, aussi longtemps qu’il le faudra, puisque leur vie n’en dépend pas…
Combien de temps...
Résumons-nous donc : les sites de ventes de pièces en ligne ne peuvent pas augmenter leurs prix alors qu’une élémentaire rentabilité l’exige pourtant de plus en plus urgemment ; ils ont besoin de toujours plus de volumes sur un marché dont ils ont peut-être déjà conquis l’essentiel et qui, pour ne rien arranger, s’inscrit structurellement à la baisse. En bien des points, ils sont donc «pat», en référence à cette inconfortable position qui, dans une partie d'échec, interdit d'avancer ou reculer au risque de tuer son roi...Dans un tel contexte, combien de temps faudra-t-il encore avant que ces faiblesses intrinsèques n’apparaissent au grand jour ? Combien de temps faudra-t-il encore avant que les investisseurs et banquiers de ces sites ne s’interrogent et fraîchissent ?Ou à l'opposé, quel(s) remède(s) les sites de ventes de pièces en ligne sont-ils déjà en train d'inventer pour maintenir leur trajectoire de fusée ou au moins, en allumer d'autres étages pour rester en orbite haute ? L'ouverture de départements de ventes BtoB reste une option théorique, malgré les réserves évoquées précédemment.Pas si théorique que cela, d'ailleurs : on se souvient qu'Oscaro a testé le débouché début 2012, en s'attachant à minorer sa démarche quand nous la sortions alors de l'ombre (voir «Quand Oscaro.com drague des réparateurs…»). Mais s'il niait alors avoir une «stratégie BtoB vers les réparateurs», Pierre-Noël Luiggi, le patron du site leaderissime, laissait tout de même une porte entr'ouverte : «je n’exclus rien pour l’avenir». On a aussi pu constater que Yakarouler a déployé son concept “Garage Premium”, sorte de réseau dont les réparateurs acceptent officiellement de monter les pièces achetées en ligne sur le site. Ça phosphore dur, chez les pure players...Comme d’habitude et quoi qu'il se passe, on vous tiendra au courant…
Jean-Marc Pierret
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