Les réparateurs indépendants devraient mieux encaisser l’impact du VE
Si le véhicule électrique ressemble encore à une promesse non tenue en nombre de véhicules circulant dans le parc français en 2020, cela pourrait fortement évoluer d’ici 2030, date à laquelle la réglementation européenne imposera une moyenne de 59g de CO2 émis par kilomètre aux constructeurs européens, contre 95g en 2020. Les véhicules neufs 100% thermiques pourraient voir leurs ventes réduites de moitié d’ici là. Jusqu’à ne plus représenter aucune immatriculation en 2040 puisque c’est la date butoir que fixe la loi d'orientation des mobilités (LOM) du 24 décembre 2019 pour l’interdiction à la vente des véhicules thermiques neufs.
Aussi, c’est presque une lapalissade de dire que le véhicule électrique à batterie, dont le développement et les infrastructures de recharge ont une considérable longueur d’avance sur ceux du véhicule à hydrogène, devrait impacter sérieusement l’activité et l’emploi dans la filière des services de l’automobile au cours des dix à vingt prochaines années. C’est ce que l’Observatoire des métiers des services de l’automobile, dépendant de l’ANFA, a tenté d’évaluer dans sa toute dernière étude prospective réalisée sur la base des travaux des cabinets Feria, dirigé par Bernard Jullien, et TCG Conseil, et sur l’étude Conducteurs du GiPA.
Un parc qui croît par vieillissement
Jocelyn Gombault, responsable de projets à l’Observatoire des métiers des services de l’auto, souligne que sur un parc roulant plus petit mais déjà fortement électrifié, comme celui de la Norvège, « l’afflux de véhicules électriques limite d’ores et déjà l’activité après-vente des concessions ». Et si un petit parc aisément renouvelable comme celui du pays scandinave ne peut nullement être comparé à l’important parc de VL et de VUL français, l’exemple reste parlant, s’agissant d’évaluer comment l’électrification va chambouler l’après-vente et les emplois qu’elle génère.
Encore faut-il évaluer le plus précisément possible le parc français, et notamment ce parc de plus de 15 ans, estimé à 9 millions de véhicules particuliers (VP) et 1 million de véhicules utilitaires légers (VUL) par l’Observatoire, qui a croisé les données de l’échantillon du GiPA, celles de l’OTC dans le cadre du contrôle technique ainsi que celles du parc assuré selon la Fédération française de l’assurance. Ainsi l’étude retient une volumétrie de parc en 2018 de 39,72 millions de VP et de 6,97 millions de VUL (Véhicules Utilitaires Légers), ordre de grandeur confirmé par le cabinet AAA-Data. Un parc plus important mais aussi plus âgé car le nombre de nouvelles immatriculations n’est pas compensé par la mise au rebut du même nombre de véhicules.
Trois scenarii différents
Pour évaluer de façon crédible l’impact de l’électrification sur l’emploi, l’Observatoire a planché sur trois scenarii différents d’ici 2036 :
- un scénario haut où le véhicule électrique à batterie (VEB) s’impose comme le standard de la mobilité automobile jusqu’à disqualifier l’hybride, jugé trop coûteux, et à éliminer le véhicule thermique dès avant 2040.
- un scénario médian conforme aux exigences réglementaires en matière de limitation d’émissions de CO2 et aux projections de la Plateforme de l’automobile (PFA) qui verrait le VEB croître régulièrement jusqu’à devenir majoritaire mais sans entraîner de franche rupture technologique.
- un scénario bas où le VEB ne rencontre pas son public et ne progre pas aussi fort que prévu, plafonnant à 10% des immatriculations et contraignant le législateur européen à revoir sa copie quant aux émissions de CO2, et où le Diesel continue de se maintenir grâce aux VUL.
« Il nous semble que les deux scénarios extrêmes –haut et bas– sont les plus vraisemblables car il paraît difficile de voir deux modèles industriels cohabiter », précise Jocelyn Gombault. Mais quoi qu’il arrive, selon le responsable de projets, « l’inertie du parc limite de toute façon le développement du VEB car même avec un scénario contraignant, nous ne voyons pas de révolution d’ici 2036 ». En effet, à l’horizon 2036, le parc roulant serait encore composé de 50% de véhicules thermiques selon le scénario haut. Quant au scénario bas, il préfigure un parc français encore composé à 75% de véhicules thermiques !
Opérations d’après-vente et heures de main d’œuvre en recul
Des scénarios qui ne chamboulent pas non plus fondamentalement le nombre d’opérations d’après-vente puisque, entre 2020 et 2036, l’Observatoire des métiers des services de l’automobile n’envisage qu’un recul de 2,8 à 4% maximum. Lesdites opérations passeraient ainsi de 64 millions cette année à entre 61 et 62 millions en 2036, prestations d’entretien mécanique, de réparation et de pose de pneumatiques incluses. C’est davantage sur les heures de main d’œuvre (MO) qu’une électrification du parc se ferait plus ressentir, le recul des heures de MO s’établissant à 6% suivant le scénario bas et jusqu’à 13% suivant le scénario haut…
En effet, l’étude de l’Observatoire a évalué les heures de main d’œuvre dédiées à l’entretien d’un VEB à 50% du nombre dédiées à la maintenance d’un véhicule thermique, compte tenu de l’absence d’un grand nombre de pièces, notamment côté groupe motopropulseur. Côté réparation, en revanche, le VEB nécessiterait 10% de temps de main d’œuvre en plus, les pannes étant plus complexes à résoudre mais, dans le même temps, plus rares. Enfin, côté pneumatiques, l’Observatoire jusque que les heures de MO se maintiendraient mais que le nombre d’opérations pourrait croître, compte tenu de l’usure plus prononcée de la gomme sur les véhicules électriques.
Quid des opérations de carrosserie ? Jocelyn Gombault reconnaît « des interrogations car l’exemple norvégien a montré une tendance à la hausse du nombre d’accidents de l’ordre de 20% sur les véhicules électriques, que l’on suppose être due à la puissance de ces véhicules, à l’absence de bruit durant la circulation, au caractère urbain des véhicules concernés ou à la présence accrue d’ADAS auxquels le conducteur ferait trop confiance ».
Un chiffre d’affaires en recul…
Reprenant l’évaluation de l’INSEE, qui chiffre à 47 milliards d’euros l’activité après-vente automobile en 2020 en France, l’Observatoire relève que la valorisation après-vente d’un VEB n’est aujourd’hui que de 400 euros, contre 1061 euros pour un véhicule Diesel, 811 euros pour un véhicule essence, 770 euros pour un hybride classique et 671 euros pour un hybride rechargeable (VHR). Ainsi, la moyenne par véhicule se situerait autour de 970 euros, tous types de motorisations confondues.
Mais cela devrait évoluer d’ici 2036, avec une valorisation de 670 euros pour un VEB et de 870 euros pour un VHR. Ainsi, compte tenu du recul du nombre de véhicules thermiques et de la croissance du parc de VEB et, dans une bien moindre mesure, du nombre de VH et de VHR, le scénario bas retenu par l’Observatoire évoque un recul d’un milliard d’euros de l’activité après-vente, autour de 46 milliards d’euros, quand le scénario haut retiendrait un recul de 5 milliards d’euros, autour de 42 milliards au total, les VEB représentant dans ce cas précis 21% du chiffre d’affaires contre 69% pour les véhicules essence et Diesel.
…mais plus que limité pour les MRA !
Si les trois scénarios n’envisagent pas un chamboulement des parts de marché des différents acteurs, MRA et SMAVA (centres auto, pneumaticiens et réparateurs rapides) conservant respectivement 35/36% et 37% du business en après-vente dans 16 ans, et les réseaux de marque se maintenant entre 27 et 28% d’ici 2036, quels que soient les scénarios, ils marquent toutefois un recul sensible du chiffre d’affaires des RA1 et RA2.
En effet, ceux-ci pourraient perdre 6 à 19% de leur CA après-vente entre 2020 et 2036. Les MRA, en revanche, pourraient bénéficier d’un scénario bas qui leur serait favorable : leur chiffre d’affaires pourrait même croître de 4% ! Quant au scénario haut, qui leur est a priori le moins favorable, il n’évalue la baisse de leur chiffre d’affaires qu’à 2% à peine ! Les SMAVA, en revanche, accuseraient entre 1% et 10% de baisse de CA entre le scénario bas et le scénario haut, les 10% représentant tout de même près de deux milliards d’euros…
Un impact évident sur l'emploi
Bien évidemment, si les différents acteurs de l'entretien-réparation devraient subir différemment l'arrivée massive du VEB dans les ateliers, malgré le vieillissement du parc, devrait quoi qu'il arrive provoquer une baisse du nombre d'emplois d'ici 2036. Le scénario bas retenu par l'Observatoire des métiers des services de l'automobile évoque la suppression de 1 600 emplois d'ici là, soient environ 100 par an, pour un recul de 0,75% du nombre de compagnons à l'atelier. Le scénario haut, en revanche, voit la disparition de 21 500 emplois, soient 1 300 par an jusqu'à 2036. Une baisse vertigineuse de 19% !
Ce recul, toutefois, serait majoritairement supporté par les réseaux de marque, les premiers à faire les frais du nombre réduits de prestations d'après-vente réclamées par le VEB. Mais l'Observatoire a évalué comment l'évolution du parc couplée à des facteurs structurels tels que la fiabilité croissante des véhicules, la baisse du kilométrage moyen et la réduction des paliers d'entretien, influeraient sur l'emploi. Et ses conclusions sont encore moins favorables. En effet, en prenant tous ces paramètres en compte, le scénario bas apparaît encore relativement clément, évoquant 11 500 emplois perdus d'ici 2036 (-5% au total), soient 700 par an... Mais le scénario haut, lui, est dévastateur, avec une perte d'emplois estimée à 31 000 (-14%), soient quelque 1 900 suppressions de postes par an.