Fintyre Group : la chute toujours inexpliquée d’un géant du pneu
Le fonds EfTD, rebaptisé Fintyre Group en 2019, fait partie de la sphère Bain Capital. En Europe, cette entité intégralement orientée vers le pneumatique et basé à Londres, avait à sa barre Mauro Pessi, ancien directeur commercial Monde de Pirelli.
L’homme a démarré vite et fort avec l’absorption de Fintyre Italie, consortium d’indépendants (400 M€ de CA), dont la vente a été finalisée en 2018, faisant grimper EfTD à 1 300 personnes et 1,1 Md€ de CA. Cette première opération a été suivie très vite par d’autres pour constituer le premier hyper-grossiste européen indépendant.
En dix-huit mois, la fièvre acheteuse de Mauro Pessi le conduit à s’emparer de grosses pointures allemandes pour des centaines de millions d’euros : Tyre1, Kruppe, Reiff Tyre, Reifen Krieg, ou encore le grossiste RS Exclusiv et le réseau de pneumaticiens TyreXpert Reifen + Autoservice… Soit des affaires en croissance comme Reifen Krieg et qui ont fort bien négocié leur rachat, soit des entreprises déjà exsangues et donc gourmandes en restructuration.
Insolvabilité et surendettement
Cette concentration accélérée donne vite naissance à un poids lourds du pneu pesant entre 1,1 et 1,5 Md€ de CA. « Porteuse d’effets levier pour tout fonds d’investissement, dont le fonctionnement réside sur une revente à cinq ans avec une plus-value de 25 % », indique ce pro de la distribution. Cette ascension fulgurante, née en Italie puis débordant en Allemagne, devait s’étendre en France, en Espagne, au Royaume-Uni... « Des négociations avancées ont bien eu lieu avec de gros acteurs français et espagnols », confirme-t-il.
Mais les choses ont vite dégénéré. Les dépôts de bilan se sont enchaînés, relayés par toute la presse européenne. La distribution n’a rien vu venir. Premier à tomber : Reifen Krieg en février 2020, malgré ses 3,5 millions de pneus vendus et ses 330 M€ de CA. « Personne n’a compris ! Comment une entreprise aussi ancrée, avec des bilans solides et une croissance forte, a pu déposer aussi vite ? », s'interroge toujours un témoin du crash. Cinq jours plus tard, quinze autres entreprises du groupe étaient mises en liquidation pour insolvabilité et surendettement...
La distribution ébauche encore, un an plus tard, des scenarii pour tenter de comprendre. Celui qui revient en force : la mauvaise gestion de la part d’une équipe composée d’anciens membres du manufacturier Pirelli. « Des champions du monde de l’industrie mais sans aucune vision de la distribution. Ils ont appliqué des stratégies OE avec des résultats catastrophiques… », lâche un acteur un brin énervé. Des erreurs de gestion globale : aucune harmonisation commerciale européenne, donc de l’inertie dans les prises de décision et des économies d’échelle à court-terme avec la délocalisation en Europe de l’Est de la facturation clients. « Et des dizaines de millions d’euros de commandes n'auraient jamais été facturés. La LME française – paiement à 45 jours – n’existe pas en Allemagne, où les fournisseurs se font payer deux fois par an. Cela a généré un besoin en trésorerie stratosphérique, couplé avec le début de la pandémie mondiale début janvier. »
De l'oxygène pour la concurrence
Le crash a laissé pantoise la distribution et incrédules, les manufacturiers (des centaines de millions d’euros envolés). Sans compter la cohorte de prestataires comme les transporteurs victimes d’impayés. Les publications des stocks ont été effacées des écrans du jour au lendemain. Mauro Pessi est aux abonnés absents, laissant sur le carreau 1 300 salariés. Sauf que la nature ayant horreur du vide, la distribution a aussitôt récupéré de l’oxygène et regonflé des marges sérieusement attaquées par le monopolistique mais éphémère géant. « Normal : en quelques jours, ce sont jusqu’à 1,5 Md€ de pneumatiques captés par Fintyre Group que la distribution européenne a récupéré ! », explique une plateforme.
Fintyre est toujours logé chez Bain Capital ; des manufacturiers se seraient positionnés comme repreneurs et en novembre 2020, le groupe financier Springwater Capital a fait une offre ferme avec une augmentation de capital de 50 M€. Sur le terrain, une tentative de relance distincte est en cours avec l’apparition du grossiste Tyroo, initiée par Olger Krieg lui-même, premier à être passé dans la broyeuse EfTD en 2018 lorsqu’il a revendu son entreprise Reifen Krieg. Il retente l’aventure en solo et dans les mêmes locaux.
Reste à voir s’il convaincra l’industrie de (re)travailler avec lui. En attendant, les raisons de cette chute aussi rapide qu'étonnante restent un mystère pour la distribution. A voir si les langues vont un jour se délier... A suivre.