Les réseaux constructeurs à la croisée de chemins chaotiques

Jean-Marc Pierret
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Electrification, écologisme dogmatique, digitalisation, baisse des marges, vieillissement du parc, montée en puissance des multimarques... : les réseaux constructeurs affrontent tous les mêmes tempêtes et surtout, au même moment. A la clé, d'inévitables restructurations qui menacent probablement plus les distributeurs VN/RA1 que les réseaux RA2. Et une opportunité historique pour les enseignes de réparation indépendantes qui, déjà, en tirent les premiers fruits...
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Courage.... fuyons ?

Face à toutes ces brèches qui s'ouvrent en même temps, des RA1 et RA2 mettent déjà plusieurs fers au feu. Ils adjoignent ici des affaires de distribution indépendantes de pièces, là des panneaux multimarques en mécanique et/ou carrosserie.

D'autres préfèrent anticiper la vague plutôt que de la subir. Ils quittent leurs constructeurs d'eux-mêmes, se sachant déjà trop petits distributeurs VN pour être conservés ou se constatant RA2 sacrifiés au besoins de volumes que leurs concessionnaires, en mal croissant de rentabilité, se réapproprient.

Cercle vicieux pour les constructeurs, vertueux pour les multimarques

La nature comme les entreprises ayant horreur du vide, ceux qui décrochent ou perdent ainsi leur panneau de marque alimentent mécaniquement un cercle aussi vicieux pour les constructeurs que vertueux pour les indépendants. Les RA1 et RA2 orphelins de leurs constructeurs partent combler la gourmandise de croissance qualitative des enseignes multimarques. Notre enquête à paraître dans la prochaine édition papier de Zepros Après-Vente Auto de juillet/août relève 40 % d'ex-RA2 et RA1 dans le réseau AD, pendant que Top Garage s'aventure même à en revendiquer environ 50 %.

Les têtes de réseaux multimarques sont bien sûr trop heureuses de capter ces professionnels déjà rompus à la discipline de réseau et promoteurs de services VN, VO, flottes, contrats d'entretien, etc., etc. Autant de réflexes porteurs de croissance que les enseignes indépendantes, tout particulièrement celles des groupements, peinent encore à faire systématiser par leurs historiques MRA-adhérents.

Regardez d'ailleurs les premiers constructeurs chinois qui veulent s'implanter en France. Leur après-vente prend d'ores et déjà le raccourci qui mène directement aux enseignes indépendantes (voir « Le Chinois Aiways s’appuie sur les indépendants Feu Vert, GoMecano, Albax et AD »).

L'obstacle du business model

Qu'on nous pardonne l'image : pour l'instant, les RA (1 et 2) quittent encore rarement le navire. La grande masse des autres atermoie encore. Afin de compenser ces volumes après-vente qui s'effritent depuis 2000 et continueront à s'éroder dans les 10 ans qui viennent, les réseaux constructeurs semblent encore vouloir s'accrocher à la paroi en accélérant la réappropriation de leurs parcs anciens entamée depuis plusieurs années.

En outre, quitter le constructeur n'est pas simple. Les réseaux de distribution VN sont prisonniers de leur coûteux business model fait de standards exigeants, d'immobiliers flamboyants, de formations nombreuses, d'équipes pléthoriques, de stocks imposés et autres matériels aussi captifs qu'onéreux. Sans omettre une forme de syndrome de Stockholm qui les rend encore étanches aux signes car dépendants de -et redevables à- leurs constructeurs.

Il faut aussi les comprendre : c'est une chose de planifier un changement de cap sur une mer calme et porteuse ; une tout autre de devoir abattre brutalement les voiles, de perdre son gouvernail et de gérer de multiples voies d'eau pendant que gonfle la tempête du siècle.

Mais les splendides paquebots de luxe que sont les concessions VN d'aujourd'hui ne peuvent devenir miraculeusement viables si ils doivent, en l'état et dans l'urgence, adopter sans délai des tarifs de ferry-boat pour vite hisser à leur bord les automobilistes du parc ancien qui les boudent toujours plus nombreux pour des raisons pécuniaires.

Sacrifier les RA1 en sanctuarisant les RA2...

Ils ne pourront donc pas rester aussi nombreux si, unitairement, ils vendent, financent, louent et réparent moins. Les constructeurs l'ont sûrement déjà tous compris : il va falloir prendre aux plus petits de leurs distributeurs ce qui permettra à de plus gros de garder une narine hors de l'eau.

Mais s'il faut donc inéluctablement reconcentrer les réseaux de distribution et de réparation constructeurs, les RA1 et les RA2 seront-ils vraiment logés à la même... enseigne ? Probablement pas. Car paradoxalement, les plus menacés ne sont pas nécessairement ceux que l'on croit. Et c'est encore une fois affaire de bon sens. Si l'on réduit le nombre de distributeurs VN pour leur donner plus de volumes et d'économies d'échelle, le problème de la proximité servicielle, a fortiori dans le pays aux 34 000 communes, va se poser de façon cruciale.

Mixer RA2 et indépendants labellisés ?

Pour préserver leur essentielle capillarité, les constructeurs n'ont d'ores et déjà que deux options possibles.

Il leur faudra sanctuariser leurs réseaux d'agents pour ceux qui en ont encore, à commencer bien sûr par les constructeurs français en France. Dans l'urgence, il sera toujours plus facile de préserver la famille et sa communauté de valeurs que de convertir des “pièces rapportées”.

Quant aux importateurs qui n'en ont plus, il leur faudra tôt ou tard en renommer. Ou peut-être, nécessité faisant loi, s'en aller labelliser des indépendants considérés dignes de recevoir l'onction de la formation et de l'information technique si longtemps -abusivement- réservée aux réseaux de marque (voir « Et si les constructeurs pensaient à “labelliser” les indépendants ? )». Digitalisation, passthru, e-learning et classes virtuelles préparent la voie.

L'un n'empêche d'ailleurs pas l'autre. Cette labellisation pourrait aussi venir embellir les “RA3” des constructeurs, ces réseaux Motrio (Renault), Eurorepar Car Service (Stellantis) ou Motorcraft (Ford) qui, visiblement, demeurent diablement stratégiques...

Et là encore, qu'ils soient d'obédience constructeur, distribution indépendante ou même retail, ce seront les réseaux multimarques les mieux organisés et disciplinés qui remporteront les premiers la mise.

C'est d'ailleurs toute l'ironie probable de cette histoire qui commence à s'écrire : face à la concentration imminente des distributeurs VN, l'après-vente constructeur, elle, pourrait paradoxalement se réinventer aussi small que beautiful...

Jean-Marc Pierret
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