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ANALYSE – LKQ Europe va-t-il révolutionner la distribution européenne?

Jean-Marc Pierret
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Il débarque en Europe à la vitesse de son fabuleux carnet de chèque. Il a d'abord accosté en Angleterre en achetant ECP, le leader britannique, puis le leader Stator (Van Heck) et son concurrent Kühne Automotive au Benelux. Il a ensuite failli s'offrir le puissant PV Autoteile en Allemagne. Qui est ce LKQ Europe qui aime les grosses prises ? Ses appétits continentaux inquiètent les acteurs européens de la distribution…

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L’histoire commence par celle d'un distributeur assez méconnu en France. Il s’appelle Euro Car Parts (ECP, prononcez «icipi» à l’anglaise). Il a été fondé et géré par des Britanniques d’origine indienne. En un peu plus de 30 ans, il est devenu n°1 de la distribution de pièces outre-Manche où il dispose d’une force de frappe nationale : 138 points de ventes tous détenus en propre, 2 000 véhicules de livraison et plus de 6 000 employés. Une très belle histoire démarrée en 1978 par Sukhpal Singh Ahluwalia, alors âgé de seulement 18 ans, après avoir fui avec sa famille l’Ouganda d’Amin Dada et connu les camps de réfugiés.ECP a vécu une croissance exponentielle fondée sur une politique commerciale hyper-agressive comme seule peut en connaître cette Angleterre où le niveau de prix est historiquement le plus bas parmi les grands pays européens.

On y constate jusqu’à 25% d’écart avec la France sur des pièces n’ayant à subir aucune corrélation avec le prix public du constructeur. ECP a parfaitement su jouer d’un marché «déconstructeurisé» par l’ère Thatcher où les notions de marque, de qualité et de pièce d’origine n’ont jamais eu grande importance et en perdent un peu plus tous les jours ; d’un marché où le prix est de loin l’élément le plus déterminant ; d’un marché enfin où le peu de règles et le peu de contraintes en matière de droit du travail permet de construire rapidement des empires fructueux.

Car ECP est aussi connu pour son management rugueux et sa politique sociale parfois brutale : les sites britanniques regorgent de témoignages d’anciens employés écœurés.On le voit : si ECP a su devenir le plus fort du marché britannique de la pièce, il y est également détesté pour son agressivité conquérante, pour ses managers très souvent indiens, pour sa dimension nationale inédite acquise dans une Angleterre de la pièce composée principalement d’entreprises indépendantes et régionales. L’ensemble de la très conservatrice distribution «traditionnelle» britannique considère le distributeur comme un «prédateur» sans foi ni loi.

Première étape anglaise

Mais l’argument des distributeurs anglais masque aussi leur incapacité à concurrencer un acteur hyper-performant dont la qualité de service logistique est reconnue pour avoir établi de nouveaux standards difficiles à atteindre par une concurrence dispersée. En outre, lorsqu’un distributeur anglais, en mal de succession, est à vendre, il est bien content de trouver ECP sur les rangs, ce qui affaiblit d’autant les groupements qui perdent des adhérents.

ECP n’est pas non plus en odeur de sainteté chez les équipementiers de 1er plan, qui hésitent à lui confier leur distribution de peur d’être «blacklisté» chez leurs clients traditionnels.Mais tout ça, c’est déjà du passé. Les temps ont commencé à changer en octobre 2011, quand le groupe américain LKQ est venu s’offrir ECP pour… 261 millions d’Euros (225 M GBP). Soit, selon le Financial Times, 14 fois son résultat annuel 2010 (le double du ratio habituel de 7…) ! Sans oublier les 64 millions d’euros de «bonus» complémentaire, conditionnés à l’atteinte d’objectifs en 2013 et 2014.

Et l’objectif de LKQ est clair, ambitieux et assumé : faire d’ECP la tête de pont de sa croissance européenne. LKQ est d’autant plus crédible qu’il n’est guère manchot en matière de croissance rapide : il a grandi dans les années 2000 en convainquant les assureurs nord-américains des bienfaits des pièces de réemploi tout en se lançant dans le «remanufacturing» et la distribution de pièces neuves. En 2012, LKQ affichait le confortable CA de 3,1 milliards d’Euros (4,1 milliards de dollars).

Seconde étape hollandaise

Effectivement, le couple LKQ/ECP n’a pas tardé à faire un premier et bel enfant. En avril de cette année, il menait l’acquisition spectaculaire de Sator Holding, le géant de la distribution au Benelux avec notamment une pépite : Van Heck et son excellence logistique. Sator Holding, réalisant un CA 2012 de 288 millions d’euros, a été acheté pour… un peu plus de 200 millions d’Euros !

Le montant du chèque a été jugé «excessif» par de nombreux observateurs, car il représente 10 fois le résultat annuel alors que les possibilités de croissance rapide de Sator sont bien moindres que celles d’ECP. Mais cet apparent vilain coût cachait aussi deux jolis coups. Le nouvel ensemble ECP/Sator, devenu à cette occasion «LKQ Europe», s’invitait brutalement à la table des tous premiers distributeurs européens en affichant plus d’1 milliard d’euros de CA consolidés sur la Grande-Bretagne, le Benelux et le nord de la France. Parallèlement, la force et le poids des achats de Van Heck permettaient également à ECP/LKQ Europe de s’anoblir en accédant enfin aux marques premium qui le boudaient jusque là, non sans d’ailleurs quelques bonnes raisons. Mais les critiques s’effacent vite devant une telle taille critique.

L’échec germanique

La suite ? Il est clair que l’appétit de LKQ Europe ne veut, ni ne va, s’arrêter là. A peine 2 mois plus tard, il gobait Kühne Automotive, son challenger n°1 en Hollande. Certes, il ratait la reprise en Allemagne de PV Autoteile, qui restait finalement «germano-compatible» en se jetant dans les bras de son confrère Stahlgruber. Mais LKQ Europe montrait ainsi qu’il a les moyens de continuer à s’intéresser aux gros acteurs de la distribution : on parle d’une capacité d’investissement en Europe d’un montant «d’1 milliard de dollars», montant jusque là inédit dans la rechange...

Et visiblement, on ne prête des intentions fortes qu’aux riches : son nom revient régulièrement dès qu’un distributeur important est à vendre. Et même s'il ne l'est pas. La France ne fait sûrement pas exception : c’est le 3ème marché d’Europe de l’Ouest, après l’Allemagne et l’Italie (où LKQ a dragué le leader Riag). Et il y a du gras à mordre chez nous où les niveaux de prix publics sont plutôt élevés et la structure de la distribution traditionnelle, particulièrement longue, est génératrice de marges pour l’ensemble de ses acteurs équipementiers, groupements, plateformes, distributeurs et réparateurs.

Un cauchemar potentiel

Mais l'éventualité d'un atterrissage de LKQ Europe en France est aussi un cauchemar pour beaucoup.

  • Pour les équipementiers bien sûr. Que le niveau de prix britannique, particulièrement bas, devienne le référentiel unique de LKQ Europe pour l’ensemble de ses achats européens et la conséquence serait potentiellement immédiate : une forte baisse des marges des équipementiers, les forçant à alléger une fois de plus leurs structures logistiques et humaines déjà remaniées à de nombreuses reprises ces dernières années.
  • Pour les distributeurs aussi. LKQ Europe pourrait importer une agressivité commerciale jusque là inconnue chez nous, une puissance d’achats lui garantissant de facto d’excellentes conditions et une capacité inédite à manager des structures «low cost». Petit frisson complémentaire : il a clôt depuis longtemps le débat internet où il vend en direct et sous son nom aux particuliers…
  • C’est aussi un cauchemar pour les 4 grands groupements européens (AD International, Groupauto International, ATR et Temot International) : même si ECP est aujourd’hui membre d’ATR, LKQ Europe a les moyens et l’ambition de devenir une «5ème force» redoutablement efficace car intégrée en termes de capital.

Attention aux règles locales...

Comme toujours, rien n’est encore écrit. Si des observateurs chevronnés considèrent assez logiquement qu’une telle capacité d’investissement va hélas souvent de pair avec des exigences de retour sur investissement peu compatibles avec le maintien des grands équilibres, ils soulignent aussi qu’à aller trop vite, LKQ Europe pourrait oublier quelques incontournables fondamentaux européens synonymes de succès.

Comme par exemple cette coûteuse mais nécessaire gestion des réseaux, de distributeurs comme de réparateurs, qui constitue une spécificité des pays européens synonyme de rentabilité et de stabilité. Mais la crainte reste forte qu’elle ne soit oubliée par le nouvel acteur visiblement pressé : elle est totalement étrangère à la culture des marchés anglo-saxons d’où vient le couple LKQ/ECP.

Bien sûr, l’Angleterre n’est pas la Hollande et encore moins la France. Chaque marché est spécifique et aucune recette, surtout si elle est relevée, n’est exportable sans devoir s’adapter peu ou prou au goût des clients locaux. Mais si LKQ Europe s’avérait capable d’adapter et de transposer son modèle un tant soit peu, cette combinaison épicée d’un financement américain et du savoir-faire logistique britannique et hollandais pourrait très rapidement modifier en profondeur le paysage de la distribution en Europe mais aussi en France. Avec des effets bien plus «systémiques» que l’émergence des plateformes ou des ventes sur internet.

Reste la question centrale : qui est à vendre ? A priori, personne en France parmi les mastodontes qu'affectionne LKQ. Mais tout n'est parfois qu'une question de prix...

Jean-Marc Pierret
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