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Faux VO/vrais VGE (suite) : la piqûre de rappel de M6

Romain Thirion
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Dans le cadre de l’émission “Enquête Exclusive”, M6 a diffusé le 10 décembre dernier un document intitulé “Épaves et pièces détachées : enquête sur les trafics de voitures”. L’occasion pour la chaîne de faire un point sur certaines affaires de VGE revendus comme VO en cours de jugement, et de tester aussi sur le terrain si le décret “pièces d’économie circulaire” est suivi par les réparateurs, bien que son arrêté d’application ne soit toujours pas paru…
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Lorsqu’il faut parler dérives dans le secteur de la réparation auto et du commerce de véhicules neufs ou d’occasion, on peut toujours compter sur M6… et sur l’émission “Enquête Exclusive”. Parce que l’enjeu dépasse le simple cadre de la vile arnaque et que la sécurité routière est souvent en jeu dans les affaires d’escroquerie touchant l’automobile, la thématique est à peu près sûre de générer de l’audimat. Mais parce que plusieurs affaires importantes de faux VO/vrais VGE sont en cours devant les tribunaux ou encore au stade de l’enquête de gendarmerie depuis plus de deux ans, les reportages sur le sujet ne sont pas de trop pour sensibiliser les consommateurs à la problématique.Ainsi, le 10 décembre dernier, M6 a diffusé, dans le cadre du programme présenté par Bernard de la Villardière, un sujet des journalistes Benoît Sarrade et Nicolas Bourgouin intitulé “Epaves et pièces détachées : enquête sur les trafics de voitures”. Car c’est d’abord sur ce type de commerce frauduleux que le document se concentre, qui cite d’abord un chiffre : 1,5 million de voitures sont retirées de la circulation chaque année, en France, en moyenne. « Pourtant, certaines d’entre elles connaissent une seconde jeunesse souvent illicite […] alors qu’elles devraient être détruites, car trop dangereuses pour circuler, [elles] reprennent du service et deviennent des arnaques ou des tombeaux roulants qui pourraient bien croiser votre route. »
M6 à la rencontre de victimes
Les véhicules décrits dans cette phrase, ce sont par exemple les fameuses épaves roulantes concernées par “l’affaire des 5 014” ou celles, plus récentes, révélées dans le courant du premier semestre 2017. Des véhicules gravement endommagés remis en état illégalement par des réparateurs peu scrupuleux et autorisés de nouveau à circuler par des experts en automobile véreux. Nous en avons déjà parlé longuement dans nos colonnes mais, dès l’entame de leur enquête, Benoît Sarrade et Nicolas Bourgouin nous emmènent à leur tour à la rencontre d’une victime de ce type de fraude, Sabine, propriétaire d’une Fiat Punto d’occasion tombée en panne de direction assistée seulement trois semaines après l’achat.La voiture, en réalité, avait été précédemment déclarée véhicule économiquement irréparable (VEI). Mais un réparateur l’avait rachetée, remise en état, obtenu d’un expert complice un rapport de sécurité permettant sa remise à la route, et l’avait vendue d’occasion. Une escroquerie dans laquelle la jeune femme et 86 autres automobilistes ont été plongés… Plusieurs réparateurs et un expert ont ainsi été jugés au Tribunal correctionnel de Laon, dans l’Aisne (02). L’instance a prononcé des peines allant jusqu’à cinq ans de prison, dont un avec sursis et 45 000 euros d’amende. Naturellement, les accusés ont fait appel et l’audience devant la Cour n’a pas encore eu lieu…
La question des rachats transfrontaliers d’épaves
Parmi les sources de ces fraudes aux faux VO/vrais VGE, les journalistes auteurs de l’enquête identifient également les rachats d’épaves transfrontaliers. Ils se focalisent alors sur le cas de Robert, ancien propriétaire d’une Toyota IQ immergée suite aux épisodes de pluie diluvienne de 2015 sur la Côte d’Azur.Un véhicule alors déclaré techniquement non réparable (TNR) – conformément à la législation sur les véhicules victimes de ce type de catastrophe naturelle – racheté par l’assureur puis « cédé gratuitement » à un professionnel de la destruction… mais que Robert a retrouvé, grâce au numéro d’immatriculation, parmi les voitures d’occasion d’un garagiste belge, installé à 30 mn de la frontière française ! Sur son parc, bon nombre de véhicules immergés similaires, venus également des Alpes-Maritimes (06) et promis à la destruction.Sauf qu’au lieu de les détruire, le patron de la “casse”, située « près de Marseille » où les épaves ont été rachetées, « aurait écoulé plus d’une centaine de véhicules inondés » à l’export. Le destin de bon nombre des véhicules classés VEI… mais moins souvent celui de véhicules classés TNR.En les revendant sans avoir procédé à leur démontage et leur destruction, le professionnel se serait donc mis en infraction avec l’article R322-9 du Code de la route… Mais « aucune enquête concernant ces véhicules noyés ne serait en cours, confirme la voix-off du document. Le manque de suivi des épaves faciliterait ce genre de fraude : la plupart du temps, les enquêtes ne s’ouvrent que lorsqu’il y a des victimes », ajoute-t-elle, soulignant tout de même que « les “casseurs” n’ont pas le monopole du trafic d’épaves [qui sont] aussi un filon pour les voleurs », avant d’embrayer sur un sujet consacré au trafic de camping-cars volés…
Focus sur les “casses” non agréées
Dans la dernière partie de leur enquête, Benoît Sarrade et Nicolas Bourgouin quittent les véhicules hors d’usage (VHU) pour se concentrer leurs pièces elles-mêmes. En commençant par celles écoulées par les “casses auto” à l’ancienne, non agréées par l’État et ne faisant donc pas partie des 1 700 centres VHU agréés en France, comme le souligne la voix-off.Des “casses” qui seraient « plus de 600 dans le pays ». Dans l’une d’entre elles, le duo de journaliste rencontre Monique, ancienne personnalité du show-business reconvertie avec son époux dans ce métier un peu cra-cra et borderline, loin des bacs de rétention d’huiles usagées, des sols bétonnés et des nombreuses obligations légales auxquelles doivent satisfaire les centres VHU agréés. « Les casses à l’ancienne jonglent avec les normes environnementales, elles sont donc menacées de fermeture », affirme la voix-off.
Le grand écart
L’affaire de l’entrepreneuse n’est d’ailleurs pas reconnue comme centre VHU, mais comme commerce VO ! Ce sont pourtant surtout des pièces qu’elle écoule : son “stock” poussiéreux est entreposé dans de vieux containers mal entretenus et ce sont surtout les clients qui se chargent de démonter les pièces sur les carcasses des véhicules…Monique, elle, avoue face caméra qu’elle « sait reconnaître un moteur d’une boîte de vitesses » mais qu’elle « n’y connaît rien » en mécanique. Un contraste absolument saisissant avec le centre VHU moderne et aux normes que les enquêteurs visitent ensuite, situé aux abords de Saint-Étienne et géré par Maxime Richaud, fils du cofondateur de Caréco, Didier Richaud. Ici, les pièces de réemploi (PRE) démontées sont identifiées, testées, tracées, classées, référencées, les produits dangereux retraités, et l’activité contrôlée. Loin, très loin des “casses” d’autrefois et, surtout, en plein cœur du marché de la pièce d’occasion. Le centre VHU filmé réalise en effet quelque 15 millions d’euros de chiffre d’affaires et compte 30 000 références de pièces.
Les devis sur base de PRE mis à l’épreuve
C’est du réseau Caréco, des sites d’Indra, du réseau Back2Car d’Alliance Automotive Group ou des centres VHU agréés totalement indépendants que vient l’offre de pièces de réemploi censées alimenter les devis alternatifs aux devis avec pièces neuves, proposés par les garagistes et carrossiers dans le cadre d’une réparation en vertu de l’article L224-67 du Code de la consommation créé par la Loi sur la Transition énergétique (LTE).Depuis le 1er janvier 2017, les professionnels de la réparation automobile sont légalement tenus de proposer à leur client d’opter pour des pièces de réemploi pour la remise en état de leur véhicule. Sauf que l’arrêté d’application de la loi, censé préciser ces modalités d’information du client, n’est toujours pas paru… Chose que l’enquête diffusée sur M6 le 10 octobre dernier ne précise pas. Néanmoins, Benoît Sarrade et Nicolas Bourgouin ont voulu vérifier si les professionnels de la réparation, sur le terrain, leur proposeraient effectivement de réparer leur Mercedes Classe A de 15 ans d’âge aussi bien avec des PRE qu’avec des neuves.Premier essai dans une concession Mercedes-Benz, où leur interlocuteur leur propose uniquement un devis de 3 887 euros sur base de pièces neuves et refuse de leur en fournir un sur base de PRE. Motif ? « On l’a fait au début mais […] les véhicules nous revenaient, les pièces n’étaient pas adaptées, la peinture ne tenait pas bien », des arguments jugés étranges par les journalistes, mais forcément un peu moins lorsque l’on connaît la politique tarifaire de la marque à l’Étoile, mais aussi les coûts induits (et parfois niés) par la remise en état et la préparation des pièces de carrosserie d'occasion....Deuxième essai chez un réparateur multimarque, où le devis sur base de pièces neuves atteint même 5 091 euros ! Impossible toutefois de savoir si la liste des pièces incluses dans le devis est strictement la même que dans la concession Mercedes-Benz, ce qui rend plus difficile la comparaison des deux devis…
4 réparateurs sur 16 jouent le jeu
Au moment de demander le devis sur base de PRE, le garagiste accepte mais propose aux clients-journalistes de les trouver eux-mêmes, car la disponibilité ferait défaut, ce qui n’est pas forcément faux selon les modèles de véhicules. Au bout de 16 essais, 4 garages seulement auront accepté de leur fournir des devis sur base de PRE, dont un réparateur sans enseigne de banlieue parisienne, tenu par un couple qui a procédé lui-même aux recherches sur des sites de vente de PRE tracées, pour un devis total de 1 112 euros, pose comprise…« Encore faut-il savoir insister un peu auprès du garagiste », souligne la voix-off. Et reconnaître tout de même qu’en l’absence d’arrêté d’application de la loi, bien que celle-ci soit entrée en vigueur le 1er janvier 2017, les professionnels de la réparation sont encore désarmés quant à la bonne façon d’informer le client sur son droit à une réparation à base de PRE…
Romain Thirion
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