Particules hors échappement : le label « zéro émission » des VE à reconsidérer
Et si l’abrasion mettait du plomb dans l’aile de la sacro-sainte vertu du zéro émission des véhicules électriques ? Particules de freinage et de pneumatiques sur l'ensemble des véhicules et plus particulièrement des versions électrifiées dépasseraient celles des gaz d’échappement, selon la dernière étude de l’Ademe relative aux particules « hors échappement ».
Alors que l’on recense un parc français de près de 890 000 VE et VHE rechargeables (chiffres AVERE – avril 2022) avec une progression de 16 % des ventes depuis le début de l’année, l’Ademe vient de sortir une étude qui pose question sur l’innocuité des motorisations électriques. Selon celle-ci, plus de la moitié des particules fines émises par les véhicules routiers récents ne proviennent plus de l’échappement. Elle démontre que la généralisation du FAP a permis de réduire significativement les émissions de particules fines de l’échappement.
En revanche, celles générées par l’abrasion au freinage (16 à 55 % des PM10 selon les conditions de circulation), le contact pneus/chaussée (5 à 30 %) devient prépondérant, pour représenter 60 % des PM10 et PM2,5 en 2019. Et les véhicules électriques sont particulièrement émetteurs.
Moderato de Bertrand-Olivier Ducreux, ingénieur à l’Ademe qui revendique une approche neutre technologiquement, « avec le souci du bien commun et de l’environnement (dont la santé public) que peu d’acteurs économiques prennet en compte ». « Le sujet de cette étude n’est pas la voiture électrique. Elle traite plus largement les impacts de l’automobile, qui sont multiples, et qu’il est bon de connaître pour pouvoir les traiter correctement. »
Les pneus « plombent » les véhicules électriques
Reste que si le freinage régénératif des VE leur permet d’émettre moins de particules de frein que les versions thermiques, en revanche la tendance s’inverse en regardant du côté des pneumatiques. En cause : la masse des véhicules alourdie par le bloc batterie. « Bien qu’effectivement la batterie pèse, on ne peut pas affirmer que le VE est lourd parce qu’il est électrique », affirme l’expert de l’Ademe qui y voit plus le résultat d’une course aux grosses voitures, SUV en tête.
Il n’empêche que, selon l’Ademe, « on ne note plus un écart significatif d’émissions totales de particules entres les véhicules électriques à forte autonomie et les véhicules thermiques neufs actuels, qui n’émettent quasiment plus de particules à l’échappement ». L’Ademe rappelle cependant que les versions thermiques continuent d’émettre des oxydes d’azote, dont sont exempts les VE qui conservent donc leur longueur d’avance dans la course à la transition écologique.
Le « zéro émission » pose question
Cependant, certains y voient bien un coup de projecteur pas vraiment éco-friendly sur les modèles électriques sans remettre en cause leur place dans la mobilité. « À partir du moment où l’étude de l’Ademe démontre que les véhicules électriques émettent aussi des particules, on est en droit de se poser la question si le terme "zéro émission" peut toujours être utilisé », s’interroge Fabrice Godefroy (IDLP), expert mobilité et environnement pour l’association 40 millions d’automobilistes.
De quoi exaspérer ce militant du mix énergétique qui fustige le dogmatisme tout-électrique de Bruxelles et des pouvoirs publics qui n’a de cesse de mettre au banc des accusés les modèles thermiques avec une menace de fin de leur production en 2035 ! « On tue des technologies avant de se rendre compte que finalement leurs évolutions sont efficaces. En cause, un décalage abyssal entre ces évolutions et la reconnaissance par les instances politiques », se désole-t-il.
Les technologies efficaces
De fait, l’étude met en exergue un autre point : que les technologies et innovations développées par les industriels finissent par impacter positivement les émissions.
La généralisation des FAP pour les véhicules diesel (Euro 5 en 2011) et les essences (Euro 6 en 2015) a donc permis de quasiment éradiquer les émissions de particules à l’échappement. Les pièges à NOx et les systèmes SCR permettent de réduire les émissions d’oxyde d’azote. Technologies qui ne se sont généralisées sur les nouveaux modèles que sous la pression des réglementations européennes, estime l’expert de l’Ademe. Mise en perspective sur les particules de frein et de pneumatiques de Bertrand-Olivier Ducreux : « Maintenant que l’on contrôle les particules d’échappement, on se rend compte que les autres sont beaucoup plus présentes et nombreuses. Des éléments sur lesquels nous n’avions quasiment aucune information scientifique. »
Concernant les particules de frein, outre les innovations sur les matériaux des fabricants et les technologies de freinage régénératif, la captation des particules par des aspirateurs est en cours d’industrialisation par Tallano Technologie avec l’équipementier-systémier Akwel. Encore en phase de test, son déploiement n’est pas encore avéré. Parallèlement, Mann+Hummel a développé un filtre positionné sur l’étrier de frein, captant les particules. La réglementation Euro 7 (programmée en 2025) devrait intégrer un volet sur les particules de frein et pousser encore ces technologies.
Quid des pneumatiques ?
En revanche, la future réglementation européenne ne devrait pas concerner celle liée à l’abrasion des pneumatiques. En effet, les manufacturiers travaillent actuellement sur une mesure universelle relative au taux d’abrasion des enveloppes. Un préalable nécessaire pour établir des règles et donc une réglementation dédiée. Une manière radicale de réduire les émissions de particules serait d’instituer des seuils maximums d’abrasion tolérée et ainsi d’éliminer du marché les pneus les moins performants, comme cela a été fait pour les seuils d’adhérence sur route mouillée et de résistance au roulement. Une approche défendue par Michelin.
Les manufacturiers ont donc pris le sujet à bras-le-corps depuis des années. Si l’abrasion des pneumatiques est inhérente à une bonne adhérence et donc synonyme de sécurité, les industriels ont cependant investi en R&D pour réduire l’usure et les émissions de particules. Ainsi, le Bibendum annonce une réduction moyenne de 5 % entre 2015 et 2020 et s’engage durablement dans cette voie. Il annonce même une amélioration de 20 % des performances d’abrasion sur son pneu e-Primacy sorti en 2021. « Pour maîtriser l’abrasion des pneus, il faut travailler sur les matériaux de la bande de roulement, le dessin de la sculpture et le profil », explique le manufacturier qui travaille aussi sur la maîtrise des matières et la nocivité des particules.
Pas question de stigmatiser l'électrique
« La vraie question n’est pas : pour ou contre l’électrique. Les mécanismes qui font la création de ces particules sont les mêmes dans les deux cas. Les enjeux environnementaux de l’automobile sont loin de se limiter aux émissions de particules », insiste Bertrand-Olivier Ducreux. L’Ademe s’est donnée pour mission d’identifier les gisements de réduction des émissions de particules.
« L’étude est l’objectivation et le partage public d’informations déjà connues de certains (les industriels) avec des éléments quantifiés et une première approche sur les impacts sanitaires. Car, pour optimiser la réponse à la mobilité, il est intéressant d’envisager d’autres solutions que la voiture individuelle alimentée au pétrole. Mais pour faire ces choix-là, il faut connaître les avantages et inconvénients de chacune des solutions du spectre. Dans le domaine de la mobilité, les choses ne sont ni blanches ni noires. Les réponses à apporter non plus. »
Reste t-il donc une chance pour que l’œcuménisme du mix énergétique intégrant l’ensemble des motorisations disponibles (et les prochaines à venir) aient voix au chapitre face au dogmatisme du 100 % électrique ?