Intrusive IA : facilitatrice mais inquiétante
Chiffrage, parcours, optimisation de la relation client… L’intelligence artificielle monte inexorablement en puissance dans le quotidien des réparateurs, et plus particulièrement des carrossiers défricheurs de tendances. Pour éclairer les enjeux et risques de cette technologie aussi intrigante que stimulante, Mobilians a ouvert un débat dans le cadre de la deuxième édition du Club de l’Artisanat, qui a eu lieu lors du dernier Salon de l’Après-vente et de la Carrosserie.
Un million de fois plus puissante que le cerveau humain, l’intelligence artificielle est vue comme une pièce à deux faces : solution au service de l’humain, mais aussi dangereuse remplaçante de l’intelligence humaine. Alors assistant ou remplacement ? « L’IA frappe déjà aux portes de toutes les entreprises des services de l’auto. Elle est déjà très présente dans l’expertise auto. Pour le meilleur des mondes ? Nous devons nous ériger en superviseurs, garder la main pour protéger la profession. » Jean-Marc Donatien, président national du Métier Carrossier de Mobilians, a ouvert ce débat encore très urticant sur une note de prudence ! Pour Emmanuel Moyrand, CEO d’Azteq, société de conseil en intelligence artificielle, pas de doute : la réparation auto devra adopter ce qui n’est rien d’autre qu’un outil « qui va contribuer à alléger les journées des pros des tâches répétitives sans valeur ajoutée ». Quatre exemples concrets d’applicatif ont été décortiqués pour illustrer cette tendance
L’expertise en précurseur
Les sociétés d’expertise de sinistres ont été les premières à s’intéresser à l’IA, dont le numéro un, BCA Expertise, qui dispose depuis 2017 d’une équipe R&D dédiée. À partir des vingt ans d’historiques d’expertises et ses 20 millions de rapports, BCA a d’ores et déjà en service plusieurs modules « augmentés » par l’IA : BCA Predict qui permet de détecter les VEI, l’EAD avec l’autocomplétion de formulaires via la machine et allant jusqu’à un chiffrage assisté complet. « Dans tous les cas, la validation finale revient à l’opérateur », insiste Laurène Laynat, chef de Projets IA BCA Expertise.
Parcours atelier tracé
Autre application avec SimplyCheck développée par 3DSoft (spécialiste de la digitalisation de l’atelier) en partenariat avec Neuralytics. Sa mission : améliorer la relation client du garage utilisateur de son logiciel MecaPlanning, via des solutions de pré-enregistrement en ligne anticipé par le client. À la clé : de la fluidité dans la charge de l’atelier et des offres de ventes additionnelles proposées par l’IA, « qui devient une vente prévisionnelle mieux identifiée », note Alexandre Rodrigues, directeur général chez 3DSoft.
Pour affiner la relation client
C’est pour affiner sa relation client qu’Oscaro a adopté l’IA depuis deux ans. « Notre IA nous permet de mieux « clusteriser », classifier, les clients qui potentiellement n’ont pas tous les mêmes besoins », décrit Jonathan Bloch, directeur marketing. Résultat : les push d’offres sont calés sur les habitudes d’achat du client passées à la moulinette IA. « Cette approche pilote déjà toute notre animation commerciale. L’IA a aussi pour mission de compléter, unifier et donc améliorer nos contenus informatifs (fiches produits). »
L’écoute et la parole
Les « voice bot » gagnent aussi du terrain. Chez BCA Expertise, le département R&D travaille sur la retranscription en temps réel du constat vocal d’un expert pour alimenter directement et de façon opérationnelle le rapport. Oscaro utilise depuis 2023 le « Voice to Text » pour corriger rapidement les points faibles récurrents enregistrés par les appels de clients à la hotline. L’IA peut aussi répondre oralement aux appels téléphoniques simples (prise de rendez-vous…) de façon proactive (Neuralytics/3DSoft). « L’objectif est de pallier le problème récurrent des 79 % d’appels perdus », explique Alexandre Rodrigues (3DSoft). Un robot même capable de prendre la voix du patron de l’atelier ! Effet aussi perturbant que bluffant !
Quid de la qualité des données infusées aux robots ?
Reste les doutes des réfractaires sur la qualité des données servant à alimenter ces IA, refroidis par les vagues de « fake » et autres « infox » qui déferlent sur notre monde digital ! Et de fait, ce n’est pas la volumétrie qui assure seule la pertinence de l’IA, mais la qualité des informations : « Quelques mauvaises données peuvent fausser le résultat global de l’IA », confirme Lisa Corbat, chef de projet chez BCA Expertise, qui multiplie les barrières de validation auprès des utilisateurs de ses briques « intelligentes ». « Nous développons un outil en phase avec les obligations déontologiques de l’expert. Les IA accomplissent les missions qu’on leur a données, avec les données qu’on leur a fournies. Mais elles agissent sans sens critique, sans intuition experte. Le robot peut progresser dans sa tâche définie, mais ne peut pas en sortir », recadre Laurène Laynat (BCA Expertise).
Garde-fous impératifs
« Ce n’est qu’un exosquelette dont le cœur et le cerveau resteront humains », complète également, rassurant, Emmanuel Moyrand (Azteq). On touche là à la réalité des bienfaits d’une IA, reste les craintes objectives ! « Je ne suis pas réfractaire à ces technologies qui peuvent aider les réparateurs. Mais je vois déjà quelques dérives de l’IA, notamment dans le monde de l’expertise », recadre Jean-Marc Donatien (Mobilians). Et de rappeler les chiffrages faits en automatique par l’IA sur la base d’une moyennisation des conditions économiques locales, soit un coût moyen « souvent le plus bas ». « Dans ce schéma, l’expert a disparu et maintenant c’est l’œil du professionnel qui a également disparu (photos prises par l’automobiliste parfois) », s’inquiète le président du Métier Carrossier, en porte-voix d’une profession exaspérée et inquiète. « Il faut mettre maintenant des garde-fous. » Et il n’y a pas un intervenant pour remettre en cause cette sage nécessité. Impératif pour que l’IA entre dans les mœurs des réparateurs sans douleur !