[Atlas Europe] « L’IAM est le seul secteur avec des prévisions de business sur 15 ans »
Eric Schuler, le président de Valeo Service, livre pour Zepros sa vision de l'IAM et l'ancrage du groupe français sur un marché international intense en rechange.
Zepros : Quelle est votre analyse sur la mutation accélérée du marché de l’IAM ?
Éric Schuler : Un marché historiquement fragmenté, local et peu marketé, avec des tailles variables en chiffre d’affaires selon les pays. Logique qu’il bascule à un moment donné pour devenir plus concentré, plus global et digital. Cette concentration accélérée depuis six ans a été portée par les distributeurs eux-mêmes : LKQ, AAG, Autodis… Tous ont acheté hors de leur territoire pour atteindre cette marche internationale. Aujourd’hui, il y a autant de concentrations du côté des équipementiers que des distributeurs. Cette consolidation a fait naître de très gros acteurs de la distribution plus exigeants en termes de conditions, c’est certain. Soyons pragmatiques : ces clients croissent plus vite que le marché et sont devenus incontournables. Vous souhaitez être en pole position sur l’aftermarket ? Vous devez vous appuyer sur eux. À présent, je pense que nous sommes plus proches de la fin de la consolidation en Europe qu’au début. Elle se déportera vers d’autres continents d’ici trois à cinq ans.
Valeo peut-il quitter l’IAM au profit d’un OE plus margeur ?
E. S.: Qui peut prétendre cela ? Ce serait illogique tant cette activité est stratégique pour le groupe. Il y a dix ans, Valeo sortait d’une période de dix années sans croissance en première monte. Depuis 2010, nous engrangeons 1 Md€ de commandes OE par an. Le calcul est simple: il faut entre cinq et sept ans pour que les pièces arrivent en IAM. Et depuis deux ans, notre CA aftermarket est en croissance de 4 à 5 % (1,9 Md€ en 2017, 13% du CA global établi à 18,6 Md€). Et nos carnets de commandes prévoient encore 1 Md€ de ventes annuelles auxconstructeurs pour les dix prochaines années. Notre activité IAM est donc logiquement portée par cette vague pour les quinze années à venir. Nous investissons massivement sur ce segment. Nous avons racheté FTE en 2017, spécialisé dans les embrayages. Une belle prise stratégique pour notre taux de couverture sur le marché (80 %). Depuis 2016, nous lançons de nouveaux pro- duits pour accroître notre taux de couverture du parc. Nous inves- tissons en ressources humaines, en structures logistiques, en stocks et sur tous les territoires. Nous avons déployé des entrepôts partout. Il faut être proche du client final et avoir de la disponibilité. Rien n’est dû au hasard. L’Europe reste un marché transversal et homogène, ce qui est différent pour les autres continents.
Pourriez-vous contourner la distribution traditionnelle pour toucher le réparateur en direct ?
E. S. : Absolument pas. Nous n’aurons jamais ce genre de velléités parce que nous ne sommes pas structurés pour cela. Ce n’est pas notre job. Le distributeur apporte la pièce, l’équipementier fournit ses informations tech niques. C’est tout ce que nous leur délivrons. Les ateliers ont besoin de soutiens techniques. Nous avons lancé dix-sept sites en ligne dans le monde depuis un an, sur lesquels ils peuvent trouver de l’information technique. Nous avons sondé 600 réparateurs dans cinq pays (trois en Europe, le reste aux États-Unis et en Inde) pour aller plus loin dans l’étude de leurs besoins. Un seul élément est ressorti : un accès facile à l’information technique de la pièce, d’un clic ou presque. C’est pour cela que nous avons lancé notre plateforme Tech’Assist avec un Parts Finder (relié à TecDoc), des vidéos, des instructions de montage… Nous avons développé des formations à la demande via des webinars testés en France et au Brésil (4000 sessions au premier semestre 2018). Nous avons lancé le programme de fidélité Valeo Specialist Club. Le réparateur de n’importe quel pays n’a qu’une seule crainte: ne pas savoir réparer un véhicule trop complexe technologiquement. Il est le seul vrai prescripteur de nos produits. Et notre rôle est bien de lui apporter des solutions de réparation.
Le BtoB online peut-il avoir l’effet d’un tsunami ?
E. S. : Je ne le vois pas ainsi. Les experts prévoient jusqu’à 15% de parts de marché du Web. Ce canal est un business supplémentaire devenu inévitable. Ce n’est faire offense à personne que d’être multicanal lorsque l’on est distributeur de pièces. C’est ce qu’est devenu PHE (ex-Autodis) en rachetant Oscaro par exemple. Nous avons été partenaire d’Oscaro pour ces mêmes raisons. Certains n’ont pas compris la démarche. Mais nous sommes partis du principe quele Web allait prendre sa part de marché, comme n’importe quel acteur. La seule condition pour Valeo est de faire respecter ses conditions en termes de prix sachant que le client du Web a un profil différent, qu’il n’a pas de stock, à la différence du grossiste… Donc, dans n’importe quel pays d’Europe, Valeo n’a jamais été pris en défaut sur des prix ultra-remisés chez des pure-players. C’est une ligne de conduite que nous respectons depuis toujours. En revanche, je pense que le rachat d’Oscaro par PHE va susciter d’autres acquisitions en Europe, comme un effet de mode ou d’aubaine.
Quels sont les prochains défis de l’IAM ?
E. S. : Notre business sera axé demain sur la pièce et le service lié à la connectivité. On parle beaucoup de « mode agile », nécessaire tant tout va très vite. Les plateformes type Caruso ou Carmunication se mettent en place pour l’accès à la data. La connectivité, les nouvelles mobilités et la conduite autonome sont les trois prochaines révolutions attendues sur le marché. Présent sur ces trois révolutions, Valeo a une carte à jouer. En combinant ces éléments et en regardant la consolidation de la distribution, un boulevard d’opportunités s’ouvre devant nous. Les analystes boursiers font des calculs à très court terme, sur trois mois. Nous, nous sommes sur des prévisions de business à quinze ans ! Et n’oublions pas que la croissance mondiale attendue de l’aftermarket d’ici 2025 tourne autour des 3,5 % chaque année. Quel autre secteur peut se targuer de cela? C’est ce qui suscite d’ailleurs cette concentration bouillonnante, preuve d’un marché porteur. En clair, je ne suis pas inquiet.
Muriel Blancheton