Coronavirus : La Chine tousse, la pièce se grippe
« Jusque-là ça va, mais pour combien de temps ? », se demandent les équipementiers et les distributeurs PR de tous bords. Car la fébrilité gagne du terrain chaque jour depuis l’apparition du coronavirus (Covid-19) fin décembre. 25 % de la production mondiale des véhicules et 40 % des composants sont fabriqués en Chine ! Le fret maritime et aérien tourne au ralenti voire stoppé. Il se profile déjà une probable rupture de stock et une potentielle spéculation sur les prix, rendant nerveux les industriels. Mi-février, 34 des 36 usines chinoises de Valeo ont pu redémarrer après un mois de fermeture. Pas de panique du côté de l’équipementier qui précise que si la Chine pèse 12 % de son chiffre d’affaires, sa production y est majoritairement destinée. « La demande y est actuellement très faible. Nos usines chinoises ont donc surtout rouvert pour les 5 % d'exportations de composants en dehors de la Chine », indique Christophe Périllat, le directeur des opérations de Valeo. L’équipementier affirme avoir trouvé des solutions de contournement. En revanche, pas moyen de chiffrer l’impact de l’épidémie. « Certains ont essayé. Pour nous, c'est totalement impossible. Il y a trop d'inconnues. On ne sait pas à quel rythme les choses vont se normaliser ni si les acheteurs chinois vont revenir dans les concessions pour acheter des voitures », soutient Jacques Aschenbroich. Le P-DG de Valeo affirme que « même si la crise dure, il n’y aura pas de rupture ».
Pourtant, même si la production reprend entre la mi-mars et début avril, et après deux mois sans activité, les containers en bateau ne pourront arriver en Europe qu’en mai/juin si tout va bien. Et encore, la priorité ira aux pièces pour la première monte. La rechange devra patienter. Du simple composant au système complet, de la production directe au sous-traitant, toute la chaîne d’approvisionnement est ou sera impactée par ces « coûts » d’arrêt. C’est déjà le cas d’ailleurs en Italie. À quand l’impact en France ? « Si je regarde le cycle d'approvisionnement, mon inquiétude se porte en effet sur début avril. Compte tenu des délais d'approvisionnement qui sont entre quatre et six semaines, je pense que c'est là que nous aurons la situation la plus tendue », indique Claude Cham, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules. La Fiev a d’ailleurs interrogé tous ses adhérents pour prendre la température. Bosch a pris les devants avec un suivi quotidien de la situation, tant en Asie qu’en Europe, d’où la réorientation anticipée d’une partie de la production italienne vers l’Allemagne, depuis la mise en quarantaine de la Péninsule. L’équipementier prend le temps d’appeler ses clients pour les rassurer. « La situation s’améliore en Chine, nous devrions connaître la même évolution ici. Fort heureusement, nos usines sont également en Europe. Nos balais d’essuie-glace par exemple sont fabriqués en Belgique ! Tout ceci me laisse songeur quant à cette production hyper-localisée pour des produits qui font le tour de la planète pour revenir chez nous… », lâche ironiquement Thierry Leblanc, le DG Aftermarket France et Benelux de Bosch. Les fédérations comme la FFC et le CNPA ont participé aux réunions de crise organisées par la PFA avec Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, pour évaluer l’impact économique et proposer des mesures d’aide aux entreprises.
La rechange en gestion de crise
En plein cœur du cluster épidémique localisé dans l’Oise où il détient quatre de ses treize sites, Thierry Michel (ci-contre), distributeur Autodistribution (Fradis 95 – 60 – 02), réunit ses équipes tous les matins depuis deux semaines. Deux de ses collaborateurs sont contaminés mais non malades, « ils restent chez eux ». Gants, masques, solution hydroalcoolique ont été déployés sur tous les sites du groupe. De même, des documents d’information sur les mesures prises par Fradis sont distribués aux clients pour les rassurer. Mais surtout, le groupe a construit des scénarios de crise. « Si nous avons un malade dans les équipes, nous fermons le site et réorientons les appels vers le siège et les flux de commandes vers les autres stocks », explique Thierry Michel. Il a également mis en place un plan d’action en cas de contamination (et donc risque de fermeture) des plateformes du groupement. « Nous avons vérifié fournisseur par fournisseur que nous disposions bien toujours des liens EDI. De même, nous équipons les collaborateurs pour que, le cas échéant, ils puissent travailler à distance (administratifs, commerciaux…). Du côté du stock, ils sont « à flot ». « Nous pouvons tenir et portons particulièrement notre attention sur les produits les plus vendus. Parallèlement, Autodistribution est serein car outre l’entrepôt central, les plateformes régionales ont également des stocks. En fait, le plus indispensable aujourd’hui est d’être capable de réagir rapidement, car la situation bouge très vite. Il n’y a pas de règle. Il faut juste tenter de prévoir l’imprévisible. » De son côté, Stéphane Perronet (Barrault) commence à ressentir des ruptures sur certaines pièces techniques, sans pourvoir dire s’il s’agit d’un effet collatéral de l’épidémie. « Cela étant dit, si le discours des fabricants est rassurant, la réalité risque d’être moins facile au fil du temps. On va commencer à voir sporadiquement des ruptures, notamment sur tous les organes contenant des composants électroniques (tous fabriqués en Chine), avant que cela ne devienne plus global. Nous naviguons à vue, mais nous avons commencé à gonfler nos stocks sur les pièces à forte rotation. »
« Nous avons toujours joué le stock, donc on peut tenir, mais il ne faudrait pas que cela dure des mois »
Pour Olivier Chaussende (plateforme Apprau Marseille et Toulouse), l’inquiétude s’installe concernant la santé de ses salariés. « Si un collaborateur est touché, on doit mettre en quatorzaine l’ensemble du site, et donc le fermer. À moyen terme, il faut s’attendre à des ruptures d’approvisionnement. Nous avons toujours joué le stock, donc on peut tenir, mais il ne faudrait pas que cela dure des mois. » Enfin, si Fabrice Godefroy, ci contre (IDLP), souligne ne subir aucun impact car ses stocks sont larges et profonds, la situation finira par se tendre. « Nous pouvons tenir trois mois. L’inertie des stocks nous protège des soucis de disponibilité. Mais les équipementiers nous ont prévenus : même s’ils ont encore du stock, à un moment où un autre il y aura rupture car il faudra du temps pour le reconstituer. Et alors la première monte sera prioritaire sur la rechange. »
Repenser le schéma de production ?
Dans la région de Toulon (83), Aniel n’est pas inquiet. Le spécialiste de la pièce de carrosserie ne signale pas d’alerte principale dans son activité. Sur son site, les recommandations des pouvoirs publics sont suivies et des masques fournis aux salariés. Son président, Vincent Belhandouz (ci-contre, observe une légère baisse du marché. Mais faut-il la relier impérativement à l’épidémie de Covid-19 ? Dans tous les cas, « en carrosserie, nous entretenons des stocks très importants et sommes donc moins vulnérables que nos homologues de la pièce mécanique. Par ailleurs, nous nous approvisionnons majoritairement en Europe et les frontières restant ouvertes, nous ne rencontrons aucun problème », précise-t-il. En revanche, sur la plateforme « Marketplace By Aniel », il observe que depuis une semaine, certaines références constructeurs subissent des ruptures plus fréquentes que d’habitude… S’il n’est pas certain que ce phénomène soit lié à l’épidémie, il souligne les faiblesses de l’approvisionnement en flux tendu des constructeurs.
Cette mise sous tension de la filière amont et aval souligne au feutre rouge cette hyper-dépendance au « made in China », dans toutes les industries. La fragilité du système – avec son laminage social et environnemental – se révèle dans toute sa splendeur délirante. Serait-ce le bon moment pour repasser en mode « relocalisation de la production » ? La Fiev réclame depuis des années une réduction du poids de la fiscalité de production, « à l'origine d'une perte considérable de compétitivité et d'une dépendance vis-à-vis de la Chine. » Ce qui est certain, c’est que la remise en route va provoquer une surchauffe des usines qui vont tourner plein gaz pour rattraper le business perdu. « Cet épisode va peut-être amener les fabricants à repenser sur le long terme leur schéma de production et revoir la doctrine dominante de tout produire à bas coût », s'interroge Stéphane Perronet (Barrault). A moins qu’il ne soit déjà trop tard pour réformer les pratiques industrielles ?
Nicolas Girault, Caroline Ridet et Muriel Blancheton