J.-B. Pellefigues (Hitachi Astemo) : « L'aftermarket progresse de 15 % par an depuis cinq ans »
Arrivé sur le marché mondial de la rechange en 2021, le fabricant japonais, connu jusque-là comme fournisseur en première monte des constructeurs japonais, accélère sur son déploiement en après-vente. Décryptage de Jean-Baptiste Pellefigues, pilote de la stratégie aftermarket Monde.
Pourquoi cette arrivée tardive d’Hitachi Astemo (Advanced Sustainable Technologies for Mobility) sur le marché ?
Jean-Baptiste Pellefigues, CEO Aftermarket Monde : Hitachi Astemo est né de la fusion entre Hitachi Automotive Systems et trois filiales de Honda : Nissin, Keihin et Showa. En 2021, Hitachi Automotive Systems, qui était la partie Automotive du groupe Hitachi, était peu connu en tant qu’industriel automobile. L’activité représentait pourtant déjà entre 15 et 20 % des ventes du groupe. Cette fusion a permis à la société de doubler de taille. En fait, la transformation avait démarré en 2018. Déjà à l’époque le groupe voulait faire d’Hitachi Automotive Systems un fournisseur global et internationalisé. Pour passer ce cap, le groupe prend alors la décision – inédite pour une société japonaise – de nommer un président étranger en la personne du Suisse Brice Koch. S’en sont suivies cinq années d’intensives transformations avec l’arrivée au comité exécutif de personnes de différents horizons. Cela a été un facteur déclencheur pour vraiment devenir plus global. Dans ce cadre, Hitachi a revu sa structure en se séparant de certaines activités (dont Clarion cédé à Forvia) et en réalisant des acquisitions. C’est là que Chassis Brakes International a intégré le groupe. Cela a non seulement permis à Hitachi de renforcer la partie système de freinage, mais aussi de compléter une empreinte géographique encore très axée sur l’Asie et l’Amérique en s’ouvrant à l’Europe, l’Amérique du Sud et l’Inde. L’opération a également permis de renforcer notre portefeuille clients. Plus visible hors de ses frontières, Hitachi Astemo a commencé à grossir.
On parle pour là de l’activité première monte, mais quid de la montée en puissance en aftermarket ?
J.-B. P. : J'ai rejoint Hitachi en 2018, au moment où la partie « automotive » devenait plus internationale. À cette époque, si l’activité « aftermarket » existait déjà, 60 % des ventes se faisaient au Japon… Aujourd’hui, c’est à peine 30 % ! Outre l’internationalisation, la croissance de cette activité rechange a également été au rendez-vous avec des progressions de 15 % par an depuis 2019.En 2018, nous avons commencé à construire nos gammes « seconde monte » à partir des produits pour l’OEM puis élargi notre spectre en complétant ce panier par du sourcing pour offrir une couverture plus large. Aujourd’hui, sur nos 139 usines, certaines sont spécialisées « aftermarket ». Parallèlement, certains sites de productions OE ont ouvert des lignes dédiées à la pièce de seconde monte. Notre croissance se fait non seulement sur ces références que nous avions déjà au catalogue, sans véritablement les travailler, mais également sur les lancements de nouveaux produits. Ainsi, 14 % de nos ventes se sont faites en 2023 sur les produits lancés au cours des dix-huit derniers mois de l’année.
« Aujourd’hui, une voiture sur cinq dans le monde est équipée avec des suspensions Hitachi Astemo. Cette présence OE ouvre de belles perspectives de croissance en aftermarket. » Jean-Baptiste Pellefigues, CEO Aftermarket Monde Hitachi Astemo.
Quelles gammes de produits avez-vous au catalogue ?
J.-B. P. : Hitachi, Hüco et Tokico ont été réunis sous l'activité Hitachi Astemo pour former un partenaire solide sur le marché de la rechange indépendante. L’offre produits VP, sous les marques Hitachi, Hüco et Tokico, comprend aujourd’hui plus de 5000 références dans les domaines de l’allumage, de la suspension, de la gestion moteur, de l’alimentation carburant ou encore des capteurs, des relais et des unités de commande. À noter qu’Hitachi est non seulement présent sur les VP, mais également sur les motos et le segment Marine, activités liées à notre actionnariat constitué à 40 % par notre actionnaire principal Honda et 40 % Hitachi.
Hitachi Astemo « Aftermarket » est aujourd’hui implanté dans 27 pays. Manquent-ils des pays à votre “map“ ?
J.-B. P. : Nous avons augmenté notre maillage, installé des équipes sur les principaux marchés – dont la France – et développé ces mêmes marchés. Aujourd'hui, nous distribuons partout dans le monde. Sachant qu’il reste encore des zones à fort potentiel de croissance, comme l’Asie du Sud-Est où les constructeurs japonais sont très présents. Le marché européen présente également un fort potentiel de croissance pour nous qui y sommes encore peu présents, alors même que nous disposons de gammes OE avec des pièces techniques complexes. Mais nous avons également des atouts forts pour prendre des parts de marché avec le développement de nos gammes.
Le marché mature européen, donc à conquérir pour Hitachi Astemo… et ailleurs ?
J.-B. P. : La Chine, le premier marché automobile mondial avec ses 30 millions de VN par an, est un marché incontournable mais compliqué en aftermarket. D’abord parce que 30 % des ventes se font sur des VE, pas vraiment porteurs en après-vente ! S’y ajoute la montée en puissance des constructeurs locaux qui sont très agressifs sur le prix des pièces en OE. Car avec les volumes réalisés, les constructeurs chinois n’ont pas besoin de faire beaucoup de marges avec l’aftermarket ! Cependant, Hitachi Astemo est présent pour servir des clients qui veulent de la pièce de qualité et aider par la spécificité d’une distribution structurée par spécialistes en marques japonaises, allemandes… De quoi soutenir notre pénétration. Et on n’a pas besoin d’avoir la profondeur de gamme nécessaire pour conquérir le marché européen, il suffit d’être fort sur une marque pour entrer chez le distributeur.
Tout de même, l’électrification du parc est un frein…
J.-B. P. : Non, car le marché chinois est une singularité avec sa forte pénétration de véhicules électriques. À part la Thaïlande (7,8 % de pdm VE en 2023) et la Chine, l’Asie est peu électrifiée : 1,8 % des ventes 2023 au Japon, 2,1 % en Corée, 1,4 % en Indonésie. La Chine et l’Europe seront aux avant-postes en termes d’impact de l’électrification. Hitachi Astemo est donc moins exposé.
Hitachi Astemo en chiffres
- Monde :
90 000 collaborateurs
13,9 Md€ de CA 2023
27 pays disposant d’une équipe aftermarket.
- Europe :
3300 collaborateurs
9 sites de production en Europe (UK, Allemagne, Pologne, France, République tchèque, Espagne, Portugal, Turquie)
2 sites en France, dont l’usine d’Angers (système de freinage OEM/OES).
Comment expliquez-vous que le Japon, grand amateur et faiseur de technologies, ne se soit pas rué sur le VE ?
J.-B. P. : Cela tient au parc constitué à 96 % de marques locales, avec une belle avance sur l’hybridation (50 % du parc), mais surtout à la place des kei-cars poussées après la Seconde Guerre mondiale par les gouvernements pour faciliter la mobilité à pas cher. Ces mini-véhicules, aux mini-motorisation (moins de 660 cm3) et mini-consommation (4l/100km en moteur essence) et maxi-avantages (assurance, taxe réduite...), pèsent plus de 30 % du parc, dont une bonne partie est d’ores et déjà passée en version hybride. Donc l’automobiliste ne voit pas l’intérêt du VE. Si ajoute que les Japonais et les constructeurs aux avant-postes ne sont pas convaincus que la solution à la décarbonation passera totalement par l’électrique, mais plutôt par des solutions multiples.
Cela fait-il donc du marché japonais un potentiel pour les équipementiers encore très axés sur le véhicule thermique ?
J.-B. P. : Oui… à condition d’avoir une forte offre en véhicules japonais et surtout d’avoir au catalogue des pièces spécifiques pour les très spécifiques kei-cars ! À cela s’ajoute la capacité de proposer des produits et des services de très haute qualité. Au Japon, le DIY n’existe pas et le e-commerce PR est très peu développé. Car sur ce marché surtout adepte du premium, le client n’est pas roi, il est dieu ! Autant dire que beaucoup d’équipementiers étrangers ne mesurent pas à quel point les standards de niveau de qualité sont importants. Au Japon, s’il n’y a pas de droit de douane, l’exigence des clients fait le barrage naturel. De même, la distribution est spécifique avec des distributeurs extrêmement loyaux avec leurs partenaires équipementiers. Une relation de confiance quasi inébranlable ! Cette somme d’exigences rend difficile la pénétration du marché par de nouveaux acteurs.
Enfin, comment voyez-vous évoluer le marché de l’aftermarket au niveau mondial ?
J.-B. P. : À moyen terme, il va continuer de croître, poussé par la croissance du parc roulant et son vieillissement général. Cependant, les dynamiques par zones et par produits seront différentes. Déjà à l’œuvre en Chine, l’électrification du parc impactera l’écosystème en Europe d’ici la fin de la décennie, quand cela sera plus tardif aux États-Unis et dans le reste de l’Asie. La connectivité, réduisant la sinistralité, va également s’activer progressivement. Au total, la vente de certaines pièces va chuter quand d’autres bénéficieront d’un impact positif (châssis, suspension, pneumatique). Nous ne sommes pas au bout de nos surprises et des mutations.