Michael Saitow, Tyre24, « Nous voulons devenir un guichet unique en pièces et en pneus »
Tyre24 fête ses 18 ans, bien qu’en France la plateforme ne soit arrivée qu’en 2010. Aujourd’hui, elle compte neuf pays à son actif*, 2000 fournisseurs et 40 000 clients (revendeurs, MRA, concessionnaires, stations-service, gestionnaires de flotte). Si 90 % du CA est réalisé sur le pneu et la jante, la pièce de rechange s’affiche clairement au cœur de ses intentions.
*Allemagne, Autriche, France, Italie, Espagne, Pologne, Benelux
A qui s’adresse votre offre en pièces et pourquoi cette diversification ?
M. S : Nous visons le réparateur habituellement approvisionné le jour même par son grossiste traditionnel, mais souhaitant tout de même connaître le coût d’un disque de frein ou d’un alternateur. En particulier celui dont les petits volumes ne permettent pas de négocier d’importantes remises. Nous intéressons également les spécialistes du pneu et de la réparation rapide car ils se diversifient eux-mêmes dans la pièce. Nous avons une clientèle homogène de plusieurs milliers d'acheteurs. L'hypothèse selon laquelle nous pouvons leur offrir autre chose que des pneus n'est pas si audacieuse. D’ailleurs, après la mise en place de nos premières gammes PR, il est apparu que nous avions raison. Cette diversification nous permet d’atteindre de nouveaux clients, et réactive même ceux qui venaient de manière plus sporadique. Nous nous heurtons simplement à la loi des grands nombres : plus les clients s'intéressent à nos pièces, créant ainsi une dynamique, plus nous attirons de nouveaux fournisseurs et plus notre gamme s’élargit, créant à son tour une demande de plus en plus importante sur le terrain…
Quelles pièces peut-on trouver et quelle est votre valeur ajoutée par rapport à un grossiste traditionnel ?
M. S : Parmi les plus vendues, on trouve les disques et plaquettes de frein, les filtres à air et à huile, les amortisseurs, les kits d'embrayage et les pièces de direction. L'identification est claire et intuitive avec différents critères de recherche par filtre, aussi facile qu'avec la recherche de pneus. L'affichage des dates de livraison permet de planifier la charge atelier. Notre force réside principalement dans la mise en concurrence des différents fournisseurs en prix et service, en gammes plus larges et profondes que ne pourrait le faire un seul grossiste. Nous sommes un intermédiaire entre l'offre et la demande. Mais à mon avis, il ne s'agira pas seulement à l'avenir de savoir ce que les boutiques en ligne peuvent faire de mieux qu’un grossiste traditionnel, mais plutôt de tracer les limites de ces commerçants « hors ligne ». Et la consolidation croissante des fournisseurs en IAM pourrait signifier moins de concurrence, rendant l'offre des plateformes web plus attrayante encore.
Un réparateur cherche la disponibilité du produit puis le prix. Comment assurez-vous cette promesse ?
M. S : Nous assurons avant tout la transparence sur les pièces avec des prix d'achat compétitifs et des marques premium tels que Bosch, ATE et febi bilstein. Les ateliers ont accès à un stock en ligne de plus de 16 millions de pièces. Nous ne proposons pas de tarification différenciée, de RFA… mais les clients bénéficient des meilleures conditions dès la valeur de commande à 1€, avec un panier d'achat dit « intelligent », et l’ajout des frais de transport. En revanche, nous n’assurons pas de livraisons multiples dans la journée. Pour cela, l’atelier doit s'adresser à un grossiste régional. Tyre24 se positionne comme un complément pour du dépannage avec livraison en 24 heures.
La pièce serait-elle le futur Graal des plateformes BtoB pneumatiques ?
M. S : Tyre24 continuera à se concentrer sur la pièce de rechange, c’est certain. Le marché du pneu en Europe est en déclin tandis que celui de la pièce est beaucoup plus important. Enfin, l’intérêt de nos clients pour la pièce est croissant car bon nombre couvrent à la fois les deux marchés. Nous observons une croissance à deux chiffres des transactions annuelles et le thème saisonnier des pneus est complété par le segment des pièces, créant des incitations toute l'année finalement.
Quels services proposez-vous pour celui qui vient vendre ses produits sur la plateforme ?
M. S : Les fournisseurs garantissent des conditions et une qualité de produit. Nous garantissons une visibilité auprès de 40 000 acheteurs potentiels, avec des services : des interfaces pour l'organisation et l'automatisation, de la data pour les acheteurs qui peuvent passer des commandes directement auprès de nos 2 000 fournisseurs, des niveaux des stocks affichés en direct… En un clic, vous pouvez masquer le prix d'achat et le client final ne voit que le prix de vente calculé. La vue de l'écran peut être utilisée pour conseiller les clients finaux au comptoir, avec toutes les informations et les détails. Lorsque ce dernier choisit un pneu ou une jante après consultation – au comptoir ou par téléphone – le revendeur peut lui faire une offre. Il existe différentes options de livraison et de paiement, un suivi colis et un mode consultation. Les acheteurs peuvent également vendre leurs propres pneus sur la plateforme à d’autres acheteurs. Ils peuvent basculer des commandes erronées ou leurs stocks restants en ligne via notre « Place du marché Tyre24 » et les proposer à des acheteurs actifs en France. Il s'agit d'un moyen simple et économique de réduire les stocks excédentaires et de nettoyer les entrepôts.
Quel est le panier moyen d’achat en pneumatiques et en pièces ?
M. S : En 2020, le panier moyen en France pour le pneu était composé de 2,7 articles et d'une valeur nette de 183 €. Pour la pièce, la base de la transaction est constituée par des commandes de pièces pour de l’entretien, avec un panier d'achat moyen dépassant les 100 €. Mais nous constatons des achats en pièces techniques de plus en plus coûteuses, comme des alternateurs ou des turbocompresseurs. Dans ce cas, le garage est prêt à renoncer à se faire livrer le jour même à des conditions intéressantes.
La digitalisation du réparateur est-elle la même dans tous les pays européens ?
M. S : Malheureusement non. Selon notre expérience, tout est lié au niveau général du pays en matière d’implication sur le numérique. Plus il est élevé, plus il est facile de convaincre les ateliers. C'est pourquoi nous orientons nos activités de marketing et de vente selon chaque territoire et travaillons avec des interlocuteurs natifs, afin de tenir compte de la culture de chaque zone dans laquelle nous sommes déployés.
Est-ce facile de convaincre le professionnel qu’il doit se digitaliser, ce qui sous-tend investir dans des outils comme un ERP ?
M. S : Nombreux sont ceux qui, d'après mon expérience, sous-estiment encore les questions numériques dans notre secteur. Cela est dû à la difficulté d'appréhender le sujet ou la peur de l'inconnu. Certaines entreprises craignent également des investissements trop lourds dans les systèmes et, enfin et surtout, la réceptivité des salariés est cruciale. En mode privé, la majeure partie vivent très bien avec la domotique (connectivité de leur maison), avec la livraison hyper-réactive d'Amazon, et ils veulent une bonne connexion internet partout, même en vacances ! En mode pro, beaucoup ont encore une attitude de rejet et de crainte, “on a toujours travaillé ainsi” dans leur vie professionnelle. En fin de compte, je suis convaincu que la digitalisation, déjà bien présente sur le marché de l'après-vente, va transformer encore voire même plus fortement ce secteur en pleine mutation.
Développez-vous des portails en marque blanche pour les distributeurs ou via leur groupement pour les aider à vendre du pneumatique ?
M. S : Oui, nous avons développé des systèmes de boutique interfacés avec Tyre24. Les informations les plus importantes sont transférées vers ces portails, comme les stocks, les prix d’achat ou l’étiquetage des pneumatiques. Des visuels ainsi qu’un configurateur sur la jante aluminium sont également envoyés.
Quels sont vos axes de développement pour 2021 et au-delà ?
M. S : Nous voulons faire de Tyre24 un guichet unique en pièces et pneus, créer une alternative pertinente sur la pièce, analogue à celle obtenue en pneus. La pièce d'origine, toujours très demandée par les réparateurs, est également un sujet important, autant que l'élargissement de la gamme multimarque. Nous référençons déjà des fournisseurs premium et nous continuerons à faire pression pour élargir la partie accessoires (huile, produits chimiques, outillage, vêtements de travail, consommables). Cette montée en puissance est pilotée par les retours de nos clients sur le terrain, selon leurs besoins. Enfin, la recherche de nouveaux équipementiers pour élargir notre base est cruciale, autant que le développement technique continu de notre plateforme.
Comment avez-vous traversé la crise du Covid ?
M. S : A notre niveau, nous n’avons eu aucune rupture de stock en raison du grand nombre de fournisseurs. Mais personne n’est à l'abri de problèmes tels que la perturbation des chaînes d'approvisionnement, les restrictions ou les interdictions de sortie ou encore les fermetures d'ateliers. En France, Italie, Espagne et Autriche, le Covid a eu un impact particulièrement important. Nous l’avons constaté par la baisse de 20 % des ventes d’enveloppes, bien amortie par le déconfinement qui a suivi avec une croissance en rechange dès mai. Nous avons ainsi réalisé des ventes record en pièces. Mon hypothèse est que les réparateurs ont eu plus de temps pour leur sourcing et la planification de la charge atelier. Acheter au meilleur prix est également un facteur décisif. Et c’est bien là que le choix entre la livraison classique en H+4 à un prix plus élevé ou la livraison à J+1 par l’achat en ligne prend tout son sens.
Muriel Blancheton