Plan de relance de l’automobile: services compris ou pas?

Jean-Marc Pierret
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On attendait un plan de relance automobile coordonnant harmonieusement l’amont et l’aval de la filière, donc de l’industrie ET des services automobiles. Emmanuel Macron a effectivement beaucoup parlé industrie, mais n'a évoqué que les seuls services directement destinés à écouler les coproductions constructeurs et équipementières. Les autres devront encore attendre d’éventuelles mesures d’accompagnement qui se discuteraient toujours, mais pourraient déferler en septembre… L’attente fera-t-elle finalement partie du plaisir ? Les services auront-ils été bien compris, aux deux sens du terme ?
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On connaît hélas les chiffres cataclysmiques de la filière automobile soumise au Covid-19. En amont, des usines à l'arrêt pour 400 000 VN et VO en stock, soit 7 à 10 milliards d'euros d'invendus (et ce pour la seule France) qu'il faut écouler avant de pouvoir remplir les concessions de nouveaux véhicules coproduits par les constructeurs et les équipementiers.

En aval, les variables naufrages de tous les “métiers de la mobilité”, c'est-à-dire les quelque 134 000 entreprises et leurs presque 500 000 emplois dont les services permettent de vendre, de revendre, d'entretenir, de réparer, de remorquer, de contrôler, de ravitailler, de louer ou de garer les 47,2 millions de véhicules de tous types qui empruntent quotidiennement les routes de France.

Une prime à la conversion renforcée

C'est à la relance coordonnée de ce vaste ensemble qu'Emmanuel Macron devait donc s’atteler en révélant les points-clés du plan de relance de l'automobile. En tout cas, c'est ce que nous attendions tous : un plan minutieux et malin, capable d'imbriquer l'amont industriel et l'aval des services pour que la longue chenille de la filière se réamorce, s'ébranle harmonieusement et tire l'ensemble vers les sommets de la reprise. Avec, en creux, une possible conciliation inédite de la noblesse industrielle et du petit peuple des services de l'auto.

Priorité au délocalisable...

A écouter Emmanuel Macron hier soir, le plan de relance ne semble pas vraiment devoir inclure d'autres services de l'auto que la vente de véhicules, neufs ou d'occasion, seul métier à se voir apporter le soutien de l’État en tant que canal d'écoulement direct des productions automobiles.

Mais peut-on lui en vouloir abruptement ? Tout jupitérien qu'il se veuille, le président reste l'humble prisonnier de cette triste logique privilégiant les emplois délocalisables sur les non-délocalisables. Les premiers ont toujours la priorité : il leur suffit de menacer de partir. Les seconds doivent avoir commencé à disparaître en nombre pour qu'on se préoccupe enfin de leur survie, voire hélas de leur résurrection. Une station-service de Lozère ne peut menacer de devoir s'installer au Maroc ou en Chine. Ce n'est qu'une fois disparue qu'il faut bien se préoccuper sérieusement de la remplacer...

8 milliards, dont 3...

Mais il s'agit peut-être plus d'une erreur de forme que de fond. Du moins peut-on encore se plaire à le croire. Si comme toujours, priorité de communication a donc été faite à l'industrie et à sa préservation nationale, les alcôves ministérielles bruisseraient toujours d'avancées déjà quasi-actées et d'autres encore en négociation qui aident ou aideront les entreprises de services (voir encadré).

Facialement en tout cas, les 8 milliards d'aides annoncés par le président vont assister l'industrie constructeur, équipementière et leurs filiations directes que sont les réseaux de distribution constructeurs. Soyons même plus précis. Une fois retranchés les 5 milliards dévolus à la survie du seul constructeur Renault (sous conditions), il reste :

  • 1,335 milliard pour financer bonus et autres primes à la conversion,
  • 950 millions pour moderniser les outils industriels et renforcer les fonds propres,
  • 200 millions pour soutenir la modernisation des entreprises sous-traitantes,
  • 120 millions pour accélérer la conversion électrique de l'industrie auto,
  • 100 millions supplémentaires pour aider la France à se couvrir de 100 000 bornes de recharge électrique.
  • Sans oublier «plusieurs centaines de millions d'euros» déjà consacrés au chômage partiel du secteur.
Prime à la conversion... convertie au thermique

Emmanuel Macron a donc acté le retour en force de la prime à la conversion. Avec une touche de pragmatisme qui doit autant agacer les écolo-bobos que ravir les acteurs du VN/VO : les motorisations thermiques au sens large (même si le maudit mot de diesel n'a pas vraiment été prononcé) vont pouvoir en profiter. Et à en croire les confidences d'happy fews ayant suivi les ultimes arbitrages, il a fallu tout de même attendre mardi midi pour que le tout électrique réputé environnemental concède plus qu'un strapontin à ce satané thermique frappé d'anathème...

Ainsi, dès le 1er juin prochain, les 200 000 premiers VN ou VO vendus, essence ou diesel de dernière génération, pourront être assortis d'une prime allant jusqu'à 3 000 euros. Les véhicule électriques (et enfin, hybrides rechargeables) pourront bénéficier d'une prime allant jusqu'à 5 000 euros, pour les ménages dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 18 000 euros (les gilets jaunes vont-ils en profiter pour verdir ?). Les entreprises (50% des ventes VN) sont même intégrées au dispositif de relance. Pour les personnes morales, la prime actuellement en vigueur sera doublée pour les véhicules utilitaires légers électriques ou hybrides rechargeables.

Rétrofit inclus

Donnera également droit à la prime à la conversion la transformation d’un moteur thermique en un moteur électrique, autrement dit le rétrofit électrique, ainsi que l’achat d’un véhicule électrique d’occasion. Il sera aussi mis en place une surprime d’au maximum 2 000 euros, financée à 50% par l’État et les collectivités, lorsque le bénéficiaire habite ou travaille dans une zone à faible émission et que le véhicule est électrique ou hybride rechargeable.

La mise au rebut des véhicules remplacés pourra concerner davantage de modèles puisque même les véhicules Crit'Air 3 seront concernés, c'est-à-dire les voitures essence immatriculées avant 2006 et les diesel mis à la route avant 2011, ce qui représente 50% du parc roulant. Ainsi, au total, ce sont quelque 800 millions d'euros que l’État engage dans ces mesures.

L'achat de véhicules électriques encouragé grâce au bonus

Mais les écolos peuvent sécher une partie de leurs larmes. Le bonus écologique va aussi être mis en branle pour encourager l'achat de véhicules électriques par les Français. Du 1er juin à fin décembre prochains, le bonus des véhicules électriques pour les particuliers va être porté à 7 000 euros pour les véhicules d’un montant inférieur ou égal à 45 000 euros. Pour les flottes d’entreprises, il est porté, à la même date, à 5 000 euros pour les véhicules particuliers comme pour les véhicules utilitaires légers.

Enfin, un bonus de 2 000 euros est mis en place pour l’achat de véhicules hybrides rechargeables (VHR) pour les véhicules dont l’autonomie est supérieure à 50 km et d’un montant inférieur ou égal à 50 000 euros, pour les particuliers comme pour les personnes morales. Et afin de maximiser leur usage en mode électrique, les ventes de véhicules hybrides rechargeables seront systématiquement accompagnées d’une information sur l’avantage de la recharge et de propositions d’installation de bornes par des partenaires ou par des prestataires, ou avec l’appui des collectivités. Le tout pour un coût évalué à 535 millions d'euros portés par l’État.

Bien entendu, Emmanuel Macron se dit conscient de la nécessité d'augmenter considérablement le parc de bornes de recharge publiques afin que les véhicules électriques et hybrides rechargeables aient l'assurance de pouvoir être chargés partout en France. Différentes mesures ont été prises pour permettre de porter le nombre de points de recharge de véhicules électriques ouverts au public à 100 000 dès la fin de l’année 2021.

600 millions pour toute «la filière» ou une partie seulement ?

Voilà pour ce qui est des services orientés ventes VN/VO. Le reste des mesures annoncées concernent uniquement la filière amont de l'automobile. Emmanuel Macron a annoncé la mise en place d'un fonds d'investissement automobile de 600 millions d'euros, que l'on comprend du coup comme réservés aux sous-traitants et dont les actionnaires seront, d'un côté, l’État et BPI France à hauteur de 400 millions, et, de l'autre côté, Renault et PSA à hauteur de 100 millions d'euros chacun.

Il semble toutefois qu'il y ait débat autour de ces 600 millions destinés à la transformation-modernisation des «entreprises de la filière». Le terme de filière suppose autant les acteurs de l'amont que de l'aval. Mais l'argumentaire du gouvernement semble aussi destiner ce fonds aux industriels : «L’objectif est ainsi d’aider les sous-traitants français à faire face à la crise, et de soutenir l’émergence de futurs leaders à l’échelle européenne ou internationale sur les technologies clés de l’automobile du futur, connectée et décarbonnée», précise le dossier de presse de l'Elysée.

On a dès lors un peu de mal à comprendre comment un MRA, une officine de loueur ou une station-service pourra s'en rendre éligible. Un combat d'antichambre va donc commencer qui aboutira ou pas à un partage équitable entre sociétés industrielles et sociétés de services. Les organisations professionnelles , selon leurs obédiences, vont donc s'affronter pour garder ou forcer la salle de ce coffre.

890 millions pour l'industrie électrique

Un fonds de soutien à l'investissement d'un montant de 200 millions d'euros sera également établi afin d'aider à la modernisation des outils de production des constructeurs, équipementiers et sous-traitants. Et 150 millions d'euros supplémentaires seront voués à la recherche et développement (R&D) et à l'innovation.

L’État a par ailleurs annoncé son soutien à hauteur de 690 millions d'euros envers une usine pilote de fabrication de batteries électriques, projet soutenu par la France et l’Allemagne et porté par SAFT (filiale du groupe Total et producteur de batteries pour différents secteurs industriels) et le constructeur automobile PSA. Renault va également les rejoindre dès les prochaines semaines.

Emmanuel Macron a également répété son souhait de faire de la France le premier producteur de véhicules électriques européens («1 million de véhicules propres produits par an en France d'ici 2025»), ce qui implique forcément de faire monter en compétences le personnel travaillant sur la conception et l'assemblage de ce type de véhicules.

Formation, mais pour qui ?

Aussi a-t-il été décidé un plan massif de développement des compétences. Si l’enveloppe de 500 millions d’euros mobilisé par l’État pour la formation en activité partielle ne suffit pas, les fonds mutualisés des OPCO (OPCO2i et OPCO Mobilités) pourront être sollicités, dans des conditions à définir avec l’État. Là encore donc, qui entend «OPCO Mobilités» voit poindre une réponse aux besoins en formations des services. Mais cette approche mutualisée fait un peu peur : qui de l'amont ou de l'aval sera in fine le plus mutualisé des deux ? Là encore, un bon tient aurait peut-être mieux valu que deux tu l'auras peut-être...

Enfin, compte tenu des perspectives d’une rentrée difficile pour l’alternance, un plan d’urgence sera mis en œuvre, en lien étroit avec les branches et l’État, pour réduire significativement le coût d’un jeune en alternance et permettre à la filière de viser une stabilisation du niveau d’alternants. Grâce à ce plan de soutien, les grandes entreprises (encore elles...) maintiendront leur niveau d’apprentis, et le secteur dans son ensemble montera à 5% d’alternants d’ici 2021.

Mais les apprentis des entreprises de services attendent aussi d'être nommés par ce plan de relance...

Et les services, dans tout ça ?

Les organisations professionnelles de la branche des services de l'auto l'ont répété à l'envi depuis maintenant deux mois : leurs propositions avaient vocation à s'inscrire dans le vaste plan de relance de l'automobile que l'on vient donc de découvrir. Certaines ont bien été retenues, notamment celles qui demandaient un élargissement des bonus et une prime à la conversion plus éclectique qu'électrique. Et celles concernant la vente VN et VO.

Mais il manque toutes celles visant à soutenir l'activité spécifiques des services. Comme par exemple celles soutenant le contrôle technique, la sécurité, l'éco entretien, les pièces de réemploi, etc., etc. (voir «Les principales propositions des organisations professionnelles»).

La FNA s'est empressée de le dénoncer : «Grands oubliés des annonces, les services de l’automobile (hors vente) n’ont jamais été cités. Or, ces véhicules une fois sur le marché, seront entre les mains de l’après-vente. Quid de la digitalisation et de la modernisation des entreprises de services de la filière automobile, Monsieur Le Président ?».

Plus consensuel, le CNPA a toutefois tenu à laisser ouvert le champ des possibles. Il considérait, le soir des annonces présidentielles, que les 600 millions du fonds de modernisation sont accessibles aux entreprises de services. Mais le lendemain, il soulignait aussi que «Le CNPA attend des clarifications sur les modalités et le fléchage de ce fonds, qui doit bénéficier aussi bien aux sous-traitants des entreprises industrielles qu’aux PME, TPE et ETI de la filière des services, très fragilisées par la crise.» Il regrette également «que les mesures d’urgence présentées ne visent uniquement que le renouvèlement du parc automobile, et ne constituent pas un véritable Plan de filièr

Les mesures destinées aux services ont-elles été oubliées ou juste différées ? S'agissait-il pour l'heure de réamorcer urgemment l'industrie et ses emplois directs, pour éviter une catastrophe industrialo-sociale jugée imminente ? De préserver et transformer l'amont, comme l'explique Emmanuel Macron, afin d'éviter l'hémorragie des entreprises et des emplois, tout en favorisant la réindustrialisation ? Avant de se tourner vers l'aval, matérialisant ainsi la complétude de ce plan de filière espéré ?

Nous verrons si, d'ici septembre, le gouvernement baissera effectivement des yeux compatissants vers les “petits” de la filière auto.

Si par exemple, les plus sinistrés (loueurs, écoles de conduite) bénéficieront aussi d'une exonération pure et simple des charges sociales.

Si par exemple, les baisses de TVA en pièces de réemploi, pièces de sécurité et autres composants liés à la dépollution du parc roulant seront décidées pour drainer les consommateurs vers les ateliers et les centres de contrôle.

Si par exemple, le gouvernement comprendra aussi que favoriser ce énième renouvellement du parc en véhicules récents, c'est donner une prime supplémentaire aux réseaux constructeurs, au détriment des indépendants spécialisés en véhicules de 5 ans et plus.

Si par exemple aussi, la nécessaire digitalisation des métiers de services sera bien intégrée au fonds de ces 600 millions destinés à «toute la filière», ou s'ils seront prioritairement orientés sous-traitants comme le laisse entendre le discours d'hier de l'exécutif. Le fait d'ailleurs que Renault et PSA soient actionnaires de ce fonds ne plaide pas pour une grande sensibilité aux problématiques économiques et aux investissements des acteurs dits indépendants, comprendre donc concurrents des réseaux constructeurs...

N'oublions toutefois pas que le chômage partiel a été largement utilisé par les entreprises des services. Effort il y a donc envers eux aussi. Et n'excluons pas non plus que le gouvernement se laisse un peu de temps pour voir dans quelles proportions la relance qui s'amorce en entretien-réparation viendra auto-financer le redressement des entreprises concernées, à tout le moins de celles qui sont directement concernées par l'entretien du parc.

Qui vivra verra, édicte la sagesse populaire. Reste à savoir qui vivra assez longtemps pour voir. Car la période de septembre-octobre peut devenir terrible pour les trésoreries de beaucoup de petites entreprises de services si les perfusions des prêts garantis par l’État se sont asséchées faute d'un regain suffisant d'activités et si les charges différées reviennent frapper aux portes des comptabilités.

Attendons donc septembre au plus tard pour voir si une deuxième vague de soutiens s'orientera services. Si Jupiter ne quitte pas des yeux les plaines servicielles qui entourent cet Olympe industriel qu'il vient de si bien servir...

Jean-Marc Pierret
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