Grand oral des candidats devant la filière: des succès… et un regret
C'était une spectaculaire première : la filière automobile vient d'auditionner 9 des 12 candidats à la présidentielle pour recueillir leurs visions et leurs propositions à partir des défis listés par les constructeurs français et importateurs, les équipementiers et l'ensemble des métiers des services aval. Une réussite indiscutable sur la scène, mais un raté dans la salle où seulement 250 représentants de ce vaste écosystème aux 160 000 entreprises et environ 1 million de salariés directs avaient fait le déplacement...
Lundi 14 mars, au nom de la filière automobile qu'elles représentent ensemble, les organisations professionnelles que sont Mobilians (services aval), la PFA (constructeurs) la Fiev (équipementiers) et la CSIAM (constructeurs importateurs) recevaient, salle Gaveau à Paris et pour la première fois, 9 candidats à l’élection présidentielle. Deux ont fait le déplacement en personne (Anne Hidalgo et Jean Lassalle). Les autres déléguaient leurs représentants ou porte-paroles : Bruno Le Maire pour Emmanuel Macron, Jean-Philippe Tanguy pour Marine Le Pen, Sébastien Pilard pour Eric Zemmour, Xavier Bertrand pour Valérie Pécresse, Eric Cocquerel pour Jean-Luc Mélanchon, Karima Delli pour Yannick Jadot et Jacques Baudrier pour Fabien Roussel.
Une journée entière se sont ainsi succédé les principaux courants, avec au cœur de leurs présentations, leur programme concernant l’automobile à partir des propositions que la filière leur avait fait parvenir. Chacun a donné sa feuille de route automobile. Compétitivité, transition énergétique, emplois, mobilités ou coûts de l’énergie étaient évoqués au travers de 4 thèmes-clés regroupant les constats et les souhaits de la filière.
Thème-clé 1. Compétitivité
Trois chiffres permettent d'illustrer à quel point la compétitivité du site France reste, dans ce contexte, le levier majeur d'une nouvelle ambition industrielle :
- 900 € par véhicule : surcoût de production en France vs. Pays de l'Est
- 60 % de surcoût de main d'œuvre en France vs. Espagne
- 3,5 % d'impôts de production en France vs. 0,5 % en Allemagne.
Propositions de la filière :
- Baisse des impôts de production de 35 Mds €, en veillant à ce que les entreprises de distribution et de services en profitent pleinement.
- Créer des zones franches technologies d'avenir, zones franches non-territoriales (exonération des impôts de production jusqu'en 2035, d'une part significative des charges sociales).
- Pérenniser le crédit impôt-recherche.
- Aligner les taux d'aide à l'investissement en Europe.
Thème-clé 2. Transition écologique
Les investissements sans précédent consentis par les acteurs du secteur ont permis, malgré la pandémie et l'absence de reprise, le décollage du marché du véhicule électrifié dont la part de marché a été multipliée par plus de 8,5, passant de 2,1 % en 2018 à 18,3 % en 2021. Alors que la Commission européenne envisage la fin des moteurs thermiques à horizon 2035, les véhicules 100 % électriques ne représentent cependant que 1,3 % du parc automobile fin 2021 et sont détenus pour l'essentiel par des profils d'acheteurs multi motorisés et vivant en habitat individuel.
Propositions de la filière :
- Faciliter l'accès à la mobilité électrique/investissement massif dans le déploiement des infrastructures de recharge.
- Privilégier des politiques publiques basées sur une logique « cycle de vie », en privilégiant une neutralité technologique, basée sur un bouquet de solutions.
- Prévoir des dispositifs ambitieux visant à soutenir les revenus les plus modestes dans l'acquisition de véhicules faibles émissions (bonus, prime à la conversion).
- Garantir la stabilité de la fiscalité automobile, afin de donner une visibilité tant aux ménages qu'aux entreprises de la filière (TVA, bonus et malus écologique, malus poids, TVS, taxes sur les carburants, TSCA, etc.).
- Prévoir des dispositifs dédiés d'accompagnement pour les populations et entreprises situées dans les Zones à Faibles Émissions (ZFE)
- Soutenir les politiques publiques dédiées à la gestion du parc automobile (entretien-réparation)…
Thème-clé 3. L'emploi de l'amont comme de l'aval de la filière
100 000 emplois industriels sont menacés d'ici à 2035 et 70 000 emplois dans les services de l’auto dans les 10 ans à venir.
Propositions de la filière :
- Prévoir un Plan de formation professionnelle et d'adaptation des compétences à l'attention des salariés impactés (vendeurs automobiles, entretien-réparation automobile, …).
- Encourager durablement l'alternance dans la filière
- Mettre en place un Plan de transformation des PME et TPE des services de l'auto (stations-service, centres de recyclage, réparation automobile, …).
- Accompagner les PME/PMI à l'exportation.
Thème-clé 4. Souveraineté
La reconquête de la souveraineté technologique apparaît comme une condition vitale pour gagner à la fois la bataille industrielle et la bataille pour le climat.
Propositions de la filière :
- Soutenir massivement les investissements liés aux enjeux technologiques d'avenir (batteries, électronique de puissance, hydrogène, connectivité).
- Prise de participations dans l'extraction/transformation des minerais en vue de créer de nouveaux écosystèmes électrochimiques (Mégafactories).
- (Re)localiser en France des infrastructures permettant de produire l'électronique embarquée des véhicules et notamment son électronique de puissance.
Les grands sujets étaient présents...
Chapeau bas à la filière d'avoir organisé -et su maintenir malgré les événements- ce grand oral des principaux candidats à l'élection présidentielle. Dans une parfaite organisation, ils défilaient le 14 mars sur la scène de la salle Gaveau, accueillis par le journaliste d'Europe 1 Pierre de Vilno qui répercutait au fil des interventions les questions posées en direct par la salle.
Bien sûr, on n'a pas pu éviter les encouragements faciles, les promesses incertaines, les formules racoleuses (voir "paroles de candidats" ci-dessous). La chasse aux voix veut bien sûr qu’on rase toujours un peu gratis. Mais indiscutablement, les grands thèmes ont pu faire scène : défis industriels de l’électrification face aux dénis des législations ; mobilités multimodales urbaines Vs mono-automobilisme rural ; fractures sociales garanties sur factures exponentielles du quotidien ; souverainismes Vs souveraineté industrielle ; supply chain désorganisée par une pandémie interminable et maintenant martyrisée par un sanglant conflit ukrainien parti pour durer…
... mais les absents ont encore eu tort
Un double regret toutefois. Le premier est classique : tétanisés par les 205 000 emplois délocalisables de l’industrie auto, nos politiques n’entendent encore qu’à la marge les doléances des entreprises des services aval aux pourtant 526 000 salariés. La priorité n'est pas encore donnée à la proximité servicielle puisqu'elle ne se fera jamais depuis la Chine, l’Inde ou les pays de l’Est...
Le second regret est cette fois un reproche. Agacé. Pas envers des organisateurs qui ont fait un sacré boulot ; ni envers ces politiques qui sont bel et bien venus, avec leurs cartes, se prêter au jeu. Mais qu’ont bien pu penser ces candidats face à une salle de 454 places d’orchestre à moitié vide ? Alors même que les 4 fédérations représentant la filière revendiquent ensemble quelque 160 000 entreprises pour environ 1 million de salariés directs ?
Les 4 composantes de la filière ne se sont visiblement pas toutes donné les mêmes moyens de mobiliser leurs troupes respectives. Et c'est bien dommage. Quand on veut convaincre les candidats du poids de son écosystème et incarner la défense des entreprises, de l'amont industriel à l'aval des mobilités, la moindre des choses, c’est de prouver que l’on sait au moins se déplacer et se mobiliser en meute.
Mais allez : il est parfois difficile d'installer une première. La prochaine fois, ne pas oublier donc d'enclencher la seconde côté mobilisations...
Paroles de candidats
Voici quelques "punchlines" des 9 candidats ou de leurs représentants. Ils sont classés par ordre d'importance en fonction des derniers sondages au moment de la rédaction de cet article...
Bruno Lemaire (représentant Emmanuel Macron) - La République en marche
“Le génie automobile français doit et va perdurer ; le véhicule personnel doit et va perdurer. Nous croyons à la performance industrielle et technologique française.
“Il est impératif de conserver la valeur - c’est-à-dire la conception et la fabrication des batteries - chez soi ; il faut aussi garder à l’esprit que le software va prendre une part grandissante de la valeur du véhicule.
“Aucune industrie ne vit de changements aussi radicaux ; aucune industrie ne mérite autant de soutien.
“Nous souhaitons la neutralité technologique. Chacun son job : les pouvoirs publics fixent un cadre, un objectif à atteindre ; aux industriels de définir le meilleur moyen pour y parvenir.
“L’industrie et les services (de l’automobile) sont de plus en plus imbriqués. On devra aussi accompagner la distribution et les services de la même façon que l’industrie automobile.
Jean-Philippe Tanguy (directeur de campagne adjoint de Marine Le Pen) - Rassemblement National
“Attention à ne pas substituer une dépendance aux énergies fossiles à une autre dépendance aux terres et aux métaux rares.
“Il ne faut pas condamner trop vite les moteurs thermiques. Il est aussi possible de produire rapidement un hydrogène décarboné à partir du nucléaire.
Sébastien Pilard (représentant Eric Zemmour) - Reconquête
“Pour rendre l’industrie automobile française plus compétitive, nous entendons assouplir le cadre fiscal actuellement trop contraignant en baissant de 30 milliards d’euros les prélèvements sur les industries du secteur et créer des zones franches où les industries qui s’y installeraient bénéficieraient d’une absence de prélèvements durant 5 ans.
“Nous souhaitons mettre en place une prime « 0 », c’est-à-dire que l’employeur pourra octroyer une prime complètement défiscalisée et correspondant à un montant équivalent à jusqu’à trois mois de salaires.
“Le candidat E. Zemmour souhaite supprimer le permis à points, augmenter la durée de validité du contrôle technique à 3 ans, en dispenser les deux roues, supprimer les ZFE et mettre en place un plafonnement du prix du carburant à 1,80 €/l.
Eric Cocquerel, représentant de Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise)
“Nous sommes contre la baisse des impôts de production qui profite surtout aux grandes entreprises et n’a pas provoqué de relocalisations.
“Ceux qui ont le plus faible pouvoir d’achat sont ceux qui ont le plus besoin de leur automobile. Pour éviter un séparatisme social, il faut réfléchir à des aides proportionnelles aux revenus qui peuvent aller jusqu’à 100 % d’aide à l’acquisition d’un véhicule moins polluant. Nous mettrons fin aux ZFE dans leur définition actuelle car elles accroissent les injustices sociales
“Nous voulons créer un Commissariat à la Planification Écologique. La mobilité est un bien commun qui doit être organisée à 100 % par les pouvoirs publics. L’électrification ne doit pas susciter de partition sociale.
“Il faut arrêter la “métropolisation” qui repousse toujours plus loin les classes populaires. Ce sera l’un des points-clés de notre planification écologique.
Xavier Bertrand, porte-parole de Valérie Pécresse (Les Républicains)
“On ne peut pas se dire pro-auto et, “en même temps”, être avec ceux qui sont contre elle. Nous, nous sommes clairs : nous défendons l’auto pour ses dimensions de plaisir et de liberté. Il faut mettre fin à l’idéologie anti-voitures : le poids, c’est aussi la sécurité ; le poids, c’est aussi les batteries électriques.
“Le Dieselgate est intervenu au moment où le Diesel allait faire d’énormes progrès. J’avais reproché aux constructeurs de ne pas l’avoir assez défendu. Nous sommes passés à côté d’une possibilité de réduction du CO2. Ne refaisons pas l’erreur en condamnant les véhicules hybrides.
Karima Delli (représentant Yannick Jadot) - Europe Écologie Les Verts
“Nous devons travailler tous ensemble pour parvenir à l’objectif de réduction de 55 % des gaz à effet de serre à l’horizon 2030. C’est pourquoi dès le mois prochain, nous souhaitons lancer des assises de l’industrie automobile dans les territoires, et y intégrer les acteurs de l’industrie mais aussi les régions, toutes les parties prenantes pour réécrire une nouvelle feuille de route cohérente.
“L’industrie automobile doit se repenser à travers le prisme de l’intermodalité. Si elle est une partie des réponses elle n’est pas toute la réponse pour la mobilité du futur : ferroviaire, transports en commun, vélo, etc.
Jacques Baudrier (représentant de Fabien Roussel) - Parti Communiste
“Nous ne sommes pas anti-automobile car nous sommes pragmatiques : en ville, nous proposons certes la gratuité des transports publics dans les zones urbaines et nous souhaitons créer 1 million de km de pistes cyclables en France. Mais au service des zones péri-urbaines et rurales, nous voulons aussi la gratuité de l’accès au permis de conduire pour les moins de 25 ans, nous ne voulons pas des ZFE sans un système d’aide satisfaisant telle une prime à la conversion de 10 000 €. On ne peut priver 10 millions de Français de mobilité automobile.
“La baisse de 15 centimes sur l’essence est très insuffisante. L’État ne fait que renoncer à des recettes supplémentaires.
“Je suis favorable à la baisse des impôts de production…. Si l’on taxe les bénéfices qui s’évadent de France.
“Les constructeurs sont devenus des géants industriels mais restent des nains financiers. Il faut qu’ils reviennent au capitalisme avec du capital et qu’ils résistent au risque de vassalisation par les Gafam.
Anne Hidalgo - Parti Socialiste
“Ça roule mieux ; ça roule beaucoup mieux dans Paris !
“La question de notre dépendance énergétique est posée; la question du climat est elle aussi posée. Il n’y a plus de temps à perdre : pas de clause de revoyure à Bruxelles, il faut y aller maintenant !
“Parmi les premières mesures, je souhaite augmenter le nombre de bornes de recharge électrique et hydrogène, renforcer les aides à l’achat de véhicules propres et mettre en place un système de leasing social pour permettre aux personnes vivant en zone rurale d’avoir accès à des véhicules décarbonés.
“J’entends lancer des odyssées de l’industrie, dont l’une sera dédiée à l’automobile. Je souhaite créer un consensus, de la convergence en réunissant industriels, chercheurs, territoires pour anticiper les besoins de demain et faire que d’ici 5 à 10 ans, la France détienne le leadership de la mobilité.
“Je prendrai immédiatement la décision de baisser la TVA à 5,5 % en plafonnant le prix du litre hors taxes. Car au-delà des préoccupations environnementales, il y a aussi des contraintes sociales à prendre en compte (la mobilité des travailleurs). Je n’oppose pas l’écologie et le social ; je n’oppose pas la fin du monde et la fin du mois…