ZFE : une bombe sociale à retardement?

Jérémie Morvan
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Une brillante analyse sur le thème « On nous shoote à l’électrique : quelles conséquences ? » est venue ponctuer le CDA organisé le 17 mars dernier par la Feda. Les pénuries de matières premières et de composants surinfectées par la guerre en Ukraine, risquent de limiter durablement les disponibilités VN et VO que les ZFE sont censées exiger...

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Il s’agit certes d’une projection. Mais elle provient de Rémi Cornubert, analyste et consultant, fondateur de Start Anticipation, qui peut se targuer de 25 ans d’expérience dans le monde de l’automobile. Intitulée « On nous shoote à l’électrique : quelles conséquences ? », son analyse s’est attachée, dans le cadre du dernier CDA organisé hier par la Feda, à mettre en perspectives le calendrier par trop ambitieux de la mise en place des ZFE. Et de graves conséquences en chaîne qu’elle pourrait possiblement engendrer, alors même que d'autres turbulences viennent renforcer cette bombe à retardement.

Mondialisation malheureuse

Les faits sont têtus. Tandis que la classe politique n’a plus d’yeux que pour le véhicule électrique, le consultant est venu rappeler quelques tendances. Selon lui, si la baisse du marché VN peut encore aujourd’hui être perçue comme conjoncturelle, elle n’en devient pas moins structurelle.

La crise Covid qui n’en finit pas et, plus récemment, le conflit russo-ukrainien, bousculent les places financières tout autant qu’ils désorganisent des pans entiers de l’économie réelle. L’inflation galopante en générale et sur les matières premières en particulier (aluminium, nickel, palladium) vient perturber la chaîne alors même que les constructeurs doivent composer avec des ruptures d’approvisionnement freinant la reprise. La batterie (qui représente environ 60 % du prix d’un véhicule électrique) ne devrait ainsi pas voir son coût diminuer. En tout cas, pas de 40 % comme promis avant crise(s)...

L'autre « effet Ukraine »

Le récent conflit en Ukraine a jeté une lumière crue sur la mondialisation de l’industrie auto. Si le pays n’est pas réputé pour ses usines de fabrication d’automobiles, elle est en revanche un des principaux pourvoyeurs en Europe des systèmes de câblage, tout comme de la fabrication de néon, gaz nécessaire à la fabrication de semi-conducteurs… La pénurie observée depuis mi-2021 sur ces derniers est d’autant plus partie pour durer dans le secteur auto que « la demande croit de 20 % par an lorsque les capacités de production n’augmentent dans le même temps que de 7 % », souligne l’analyste.

En outre, l’auto ne représente ‘que’ 8 % de la demande globale de semi-conducteurs. Aussi n’est-il pas surprenant qu’elle ne figure pas vraiment en tête des priorités chez les fabricants. D'autant que les industriels de l'automobile concernés ont un peu trop souvent annulé massivement leurs commandes en 2020. Ils se retrouvent maintenant loin dans la file d'attente des réapprovisionnements...

ZFE impossibles ?

Inflation, production limitée. Et des prix qui ne vont pas descendre. Quant aux incitations financières, elles ne règlent qu’une infime partie du problème. Car si les aides à la conversion ont le mérite d’exister, elles ne peuvent in fine être actionnées que par une petite part des acheteurs d’un nouveau véhicule. La grosse majorité se reporte sur le marché VO – et donc des véhicules thermiques – pour assurer leur mobilité.

Et d’opposer les capacités de renouvellement du parc à l’aune de la mise en place des ZFE en France, prévue pour toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants au 31 décembre 2024. Autrement dit demain. « Pour circuler dans ces zones à faible émission, il faudrait sortir du parc 17 à 18 millions de véhicules jugés trop polluants », déclare Rémi Cornubert. Avec un marché VN “scotché” à 1,5 million d’unités par an, dont 160 000 VE, l’équation apparaît impossible. Or, « pour plus de 50 % des actifs, l’automobile constitue le seul moyen de locomotion pour se rendre au travail », rappelle le consultant.

Une situation qui risque de laisser sur le bord de la route quelques 17 millions d’automobilistes, avec des véhicules aux valeurs résiduelles nulles puisque devenues invendables. Et de provoquer en France une crise de la mobilité, synonyme de crise sociale d'une toute autre ampleur potentielle que celle des gilets jaunes.

Jérémie Morvan
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