
Agir pour le libre choix !

En 40 ans, Marie-Françoise Berrodier, Présidente de la branche carrosserie de la FNA, n’a jamais rien lâché : ni son rôle clé à la tête de l’entreprise familiale, ni son implication auprès des carrossiers-réparateurs, ni ses actions pour faire face à des assureurs trop gourmands. Son principal cheval de bataille : faire respecter, pour de vrai, le libre choix du réparateur et donner une voix puissante à un métier qui subit les affres de la loi du plus fort.
Pouvez-vous retracer votre parcours professionnel et notamment votre expérience à la tête du Garage Berrodier ?
J’ai fait un Bac B qui était le bac économique à l’époque. Je me suis dirigée vers le Droit mais j’ai très vite arrêté pour rejoindre l’entreprise familiale de mon époux, le garage Berrodier, à Viriat (01). C’était en 1984. Et avec mon époux, nous avons repris le garage en 1996. La vie est faite de rencontres… J’ai toujours aimé les voitures et cela m’agaçait, quand j’étais petite, qu’on en offre à mes frères et jamais à moi. J’étais peut-être destinée à travailler dans l’automobile…
Quelles fonctions occupiez-vous dans le garage ?
Au début, nous travaillions avec les parents de mon mari et très vite, je me suis occupée de la comptabilité qui était alors gérée en externe. Mais souvent, je le dis avec humour mais c’est la réalité des petites entreprises, je faisais du balai à la compta ! C’est une entreprise qui avait une station-service, qui faisait de la mécanique, de la carrosserie, du dépannage, du lavage auto et qui a su évoluer avec son temps. D’ailleurs, mes beaux-parents étaient très avant-gardistes car ils étaient informatisés dès 1981… C’est quelque chose qui m’a plu, je me suis adaptée très vite et c’est devenu une passion.
C’est cette passion qui vous a conduit à la présidence de la branche Carrosserie de la FNA ?
En fait, mes beaux-parents étaient élus dans les départements, donc j’ai commencé par là. Ils m’entrainaient dans leurs réunions et moi je n’étais pas avare de questions, je m’interrogeais beaucoup, et j’aimais bien aller à Paris dans les réunions nationales. J’ai naturellement intégré la branche carrosserie sous la présidence de Serge Valet en 2006 ou 2008, je ne me souviens plus, et j’ai pris la présidence en 2017. J’aime cet échange avec les adhérents et il est essentiel pour faire remonter le terrain au niveau national et pour que l’on puisse discuter avec les partenaires et les parties-prenantes. Il me parait essentiel, vraiment, de repartir de la base, de l’écouter. Et puis la fédération permet également aux professionnels de rompre la solitude du chef d’entreprise.
Quelles ont été les principales évolutions du secteur de la carrosserie que vous avez observées au cours de votre carrière ?
Nous avons surtout vu évoluer les relations entre les garagistes et les assurances, les experts, les clients. Avec les experts, à l’époque où nous étions à la tête de notre garage, nous fonctionnions encore avec la « feuille rose » où on ne parlait pas de chiffres, mais de technique, et à la confiance. Le chiffrage, lui, venait après. Ensuite, avec l’informatisation sont arrivés les logiciels de chiffrage et les assurances ont pris un pouvoir qui freine de plus en plus les coûts de sinistre. Pourtant, l’évolution technique, elle, existe belle et bien et dans son sillage, il faut s’informatiser, investir dans du matériel de pointe, se former, et tout cela représente un coût énorme pour les garagistes qui ne peuvent pas voir, dans le même temps, les coûts de sinistres diminuer. Entre le moment où j’ai commencé et aujourd’hui, le métier n’a plus rien à voir. Et puis les relations étaient plus simples aussi. Par exemple, il n’y avait pratiquement pas d’ordres de réparation. Aujourd’hui il y a une traçabilité, qui est essentielle.
Quels défis avez-vous rencontrés en tant que chef d'entreprise dans le secteur automobile ?
Déjà la gestion de l’entreprise elle-même est un défi, car on ne nait pas gestionnaire d’entreprise. Il faut se former, mais il faut aussi former les salariés, c’est impératif. Or, la formation est un défi parce que cela demande de l’énergie, de l’organisation, car cela nécessite en général de s’absenter quelques jours, etc. L’autre défi important du chef d’entreprise, c’est la gestion des salariés. Les structures dans lesquelles nous évoluons sont souvent petites et nous avons autant besoin des salariés qu’ils ont besoin de nous. Enfin, l’autre grand défi, c’est la formation des apprentis et l’accueil des stagiaires en recherche de vocations. Ça a toujours été quelque chose qui nous tenait à cœur et nous avons fait de belles choses avec nos stagiaires. D’ailleurs l’un d’eux est entré dans l’entreprise à l’âge de 14 ans en stage de vocation, la mécanique lui a plu, il a fait tout son apprentissage chez nous et est ensuite devenu notre salarié. Pour moi, c’était comme mon petit garçon, c’est une belle histoire.
Vous avez récemment cédé votre garage. Qu'est-ce qui a motivé cette décision et comment s'est déroulée la transition ?
Au départ, l’âge faisant son chemin, nous parlions de la retraite mais sans entreprendre de démarches. Mais nous sommes dans une petite ville où tout se sait et où les gens parlent. Et puis un jour, un expert automobile est venu expertiser une voiture chez nous et il a lancé le sujet en nous demandant si nous souhaitions vendre notre entreprise… Et on s’est dit pourquoi pas ! Je vous disais que la vie était faite de rencontres ! Pendant 2 ans nous avons effectué les démarches avec lui. Il s’agissait d’un projet familial dans la continuité de ce que nous, nous étions. Et cet expert avait fait une école Renault donc comme nous étions agent Renault, cela s’inscrivait aussi dans la continuité. Petit à petit le projet a mûri et le 31 mars 2023, nous lui avons cédé l’entreprise.

Concrètement, durant toutes ces années, est-ce que la FNA vous a aidé ?
Ah oui, beaucoup ! C’est une occasion unique de ne pas se sentir seul, d’avoir des regains d’énergie. Lorsque l’on fait partie de la FNA, c’est beaucoup de bénévolat, mais on reçoit énormément en échange ! Moi j’ai eu affaire à des personnes qui m’ont beaucoup aidé, beaucoup appris, et je pense qu’on n’aurait peut-être pas dirigé l’entreprise de la même façon si je n’avais pas fait ces rencontres-là. Je sais que sans la FNA je n’aurais pas acquis tout ce que je fais pour la carrosserie et que je peux aujourd’hui transmettre. Le soutien dont a fait preuve la FNA, cela nous a porté et ça été très bénéfique tout au long de notre carrière. Et ce ne sont pas des paroles en l’air, c’est vraiment sincère car on a besoin de solidarité entre nous, on a besoin de savoir qu’on n’est pas seuls, d’avancer et d’apprendre.
En tant que Présidente de la branche Carrosserie de la FNA, quelles sont vos principales missions et objectifs ?
Ma principale mission c’est de faire respecter le libre choix du réparateur ! Car cela a beau être un droit acquit, ce n’est pas le cas actuellement. Et puis nous avons signé des chartes avec des experts donc le but c’est de les valoriser sur le terrain et de les faire respecter.
Quant à mon objectif, c’est de continuer à défendre les réparateurs et à essayer de contraindre les assureurs à arrêter de les étrangler et à les respecter. Il y a, je trouve, un vrai manque de respect pour les réparateurs qui sont des gens de terrain, des gens qui se lèvent très tôt, qui vivent presque dans leur entreprise et ne comptent pas leurs heures. Ils aiment leur métier, mais ça leur fait mal de voir comment ils sont parfois considérés par les assurances et ils n’ont malheureusement pas le temps de se défendre.
Justement, comment la FNA soutient-elle les carrossiers au quotidien ?
Nous mettons des outils en place. Par exemple « Mon Carrossier Confiance », une campagne de communication permettant de mettre en avant les carrossiers. Par définition, ce ne sont pas des gens qui communiquent. Or, avec cet outil, ils ont pu se réapproprier les services qu’ils proposent à leurs clients : véhicule de courtoisie, nettoyage du véhicule, suivi du dossier, etc. Services sur lesquels les assurances communiquent dans leur propre intérêt en disant : si vous allez dans un garage agréé, vous bénéficierez de tel service ou tel autre. Sauf qu’en réalité, ça, le réparateur, qu’il soit agréé ou pas, il l’a toujours fait !
Nous avons aussi des actions avec les experts car les chartes ont été signées dans le but d’entretenir de meilleures relations entre les experts et les réparateurs afin d’être plus armé face aux assurances. Et il est important de cadrer cela car le but c’est quand même de dire que, bien sûr que le réparateur a des devoirs, mais il a aussi des droits.
Enfin nous mettons en place des formations spécifiques pour nos réparateurs, notamment de gestion des dossiers, de suivi de clientèle, etc. Notre rôle est vraiment d’être dans l’action afin de donner à nos réparateurs un maximum d’outils pour qu’ils puissent se défendre.
Comment les accompagnez-vous sur le taux horaire souvent bas et devant lesquels ils n’arrivent pas à se défendre devant les assureurs ?
Le premier conseil qu’on leur donne c’est déjà de calculer leur coût de revient parce que sans cela, comment voulez-vous qu’ils puissent se défendre vis-à-vis des assureurs lorsqu’ils sont en discussion ? Nous, nous accompagnons aussi bien les entreprises agrées que celles qui ne le sont pas. L’agrément est une décision prise par le chef d’entreprise, mais il est vrai que c'est de plus en plus difficile de travailler avec les taux horaires exigés par les assurances. De plus, il ne faut pas oublier que les réparateurs subissent une pénurie de main d'œuvre ce qui alourdit la charge salariale lors d'une embauche
Vous avez récemment dénoncé une campagne dénigrant les carrossiers et les professionnels du vitrage. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette situation et sur la position de la FNA ?
Pour restituer un peu le contexte, en effet, les assurances ont fait passer des articles révélant que les réparateurs non agréés faisaient des remises et des cadeaux importants aux clients en les faisant payer aux assurances. Et cela me reste en travers de la gorge car ce ne sont certainement pas nos petites entreprises qui font des cadeaux dispendieux aux clients pour les récupérer en bris de glace ! Oui, les enseignes ont ce genre de pratique, c’est vrai, mais pas nos entreprises artisanales. Or, le problème c’est que les assurances en ont fait une généralité, ont mis toutes les entreprises non agréées dans le même panier, et du coup, elles ont fini par bloquer un prix de main d’œuvre sur le territoire. Moralité, certaines entreprises se voient aujourd’hui refuser les remboursements des assurances pour des différentiels de prix totalement aberrant, de l’ordre de quelques euros ! Et en plus, les assurances interdisent le contradictoire, c’est-à-dire qu’elles refusent de faire passer un expert automobile en cas de désaccord sur le chiffrage. Sachant qu’elles calculent le taux horaire sur la base d’une IA et pas du tout sur le vrai coût de revient des entreprises… Bref c’est une communication qui fait vraiment beaucoup de mal aux réparateurs. Surtout que les réparateurs que l’on a à la FNA sont des petits artisans qui n’ont certainement pas les moyens d’offrir 2 pneus en échange d’un bris de glace, elles n’ont pas les marges suffisantes pour cela.
Cela a poussé des carrossiers à ne plus avoir d’activité vitrage réellement ?
J’en connais qui hésitent oui et pourtant ça fait partie de notre métier. C’est devenu une vraie galère pour eux, car à chaque devis, ça parlemente, ça ne veut pas faire d’expertise et cela fini par les faire passer pour des voleurs… Donc, soit ils font le pare-brise à perte, soit ils ne le font pas mais ils perdent un client. Et au final, tout cela, c’est renoncer au libre choix et c’est quelque chose que je ne peux pas entendre. Moi je n’ai jamais dit à un client de ne pas aller s’assurer ici ou là !
Comment voyez-vous l'évolution du secteur de la carrosserie dans les prochaines années, notamment avec l'émergence de nouvelles technologies et des véhicules électriques ?
Il faut impérativement passer par les formations, c’est primordial. Certains le font, mais pas assez à mon sens. Et puis il faut qu’ils continuent à s’informer et à participer aux réunions professionnelles. Car le constat c’est qu’ils s’en détachent de plus en plus et au contraire c’est maintenant qu’il faut le faire et pas seulement pour qu’ils nous écoutent, mais surtout pour que nous, on les entende ! On doit aussi connaître ce dont ils ont besoin sur le terrain, où ils pêchent, ce que l'on peut leur apporter... La FNA reste présente pour ses adhérents.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes souhaitant se lancer dans le secteur de la carrosserie aujourd'hui ?
Je reviens toujours un peu à la même chose mais ce qui est fondamental c’est de s’informer, de ne pas rester seuls dans leur coin. Il faut qu’ils gardent également à l’esprit que la transparence est un facteur essentiel de leur métier. Et enfin, je leur dirai de commencer avant tout par calculer leur coût de revient, histoire d’être certains de travailler pour quelque chose !
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