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La spirale de l’inflation menace d’aspirer les carrossiers

Romain Thirion
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Tôlier en carrosserie

L’inflation, même sans avoir atteint les niveaux de 2022 tous intrants de production confondus, est restée élevée en 2023. Or, elle touche de plein fouet les carrossiers et pourrait en emporter un certain nombre à l’usure.

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Même si les carrossiers ont connu un joli rebond d’activité l’an dernier, à hauteur de + 6 % sur l’année, ils doivent composer avec des prix qui restent désespérément hauts. Pas pour rien que le sujet était au cœur du tout premier Club de l’Artisanat, organisé par Mobilians et au cours duquel la Fédération nationale de l’automobile (FNA) est intervenue le 14 novembre dernier à Paris.

Depuis, les chiffres de l’année 2023 dans son intégralité sont tombés. Et ils pèsent lourd sur le portefeuille des réparateurs. En un an, le coût du panier de pièces a grimpé de 9,2 % selon Sécurité & réparation automobiles (SRA). « Bien que légèrement inférieure à celle de 2022, la variation du coût du panier pièces reste nettement supérieure aux tendances historiques et à l’inflation générale », relève d’ailleurs l’organisme qui monitore chaque trimestre le coût de la réparation. Lequel a connu une augmentation plus contenue (+7 %) si l’on se base, comme le fait SRA, sur les expertises de réparation-collision, qui témoignent de la réalité des tarifs négociés par les carrossiers dans leurs accords avec les donneurs d’ordres.

« Le paradoxe de cette inflation est que les artisans subissent l’inflation du prix des pièces, du coût main-d’œuvre et des énergies, mais sont aussi créateurs d’inflation pour leurs clients, avec le risque de blocage déjà constaté dans d’autres secteurs », relevait Régis Le Goavec, président de la Branche Agents-Artisans de Mobilians, durant le Club de l’Artisanat.

Marge de manœuvre entamée

Reste que ce sont bien eux qui sont en première ligne de l’inflation et doivent en amortir l’essentiel. Au risque de rompre ? « Il faut se rappeler à quoi est confronté un carrossier. Il accueille les plus récentes évolutions technologiques dans son atelier et doit donc investir en formations et en équipements. Non seulement le métier ne souffre plus d’imprécisions, mais les marges de manœuvre y sont effectivement faibles », soutient Patrick March, dirigeant de la société Socca Conseils, spécialisée en pilotage des carrosseries. En effet, le prix de la pièce, déjà en hausse, étant défini par le référentiel constructeur, le carrossier ne peut donc qu’espérer mieux l’acheter.

Quant aux ingrédients peinture, ils sont certes rentables mais très relativement, à hauteur de 10 % de la facture. Et ils ont augmenté. La main-d’œuvre devient dès lors la seule variable de progression de l’activité. « Et c’est justement cette main-d’œuvre qui est la plus contrainte par les agréments, alors même que les services ne sont pas toujours suffisamment rétribués », poursuit P. March. Services qui incluent généralement aujourd’hui, pour les carrossiers agréés, l’expertise à distance (EAD) et le service à domicile (SAD), ainsi que le véhicule de remplacement, au coût toujours plus important lui aussi et pourtant sous-rétribué…

Un effet boule de neige

Décrit par Socca Conseils comme le juge de paix de la performance structurelle de l’entreprise, l’excédent brut d’exploitation (EBE) est le résultat du cycle d’exploitation de la société (management, achats, organisation, etc.), hors dotations aux amortissements (investissements). Or, sur une population de 200 carrossiers, qu’ils soient concessionnaires, agents, indépendants, agréés ou non, le cabinet de conseils révèle que 40 % d’entre eux génèrent entre 0 et 5 % d’EBE et que 20 % génèrent un EBE… négatif ! Et seulement 20 % d’entre eux génèrent un EBE de 10 % ou plus.

Dans un monde idéal où les entreprises seraient bien gérées, les carrossiers réalisant 30 à 60 % de leur CA via les agréments peuvent espérer dégager 10 % d’EBE. Et les non-agréés, autour de 20 %. « Mais l’inflation a probablement rebattu les cartes à la baisse pour beaucoup d’entreprises : jusqu’à -1,5 % d’EBE dû à la masse salariale et jusqu’à -3,5 % dus à l’énergie, soit -5 % d’EBE. De quoi mettre dans le rouge les 60 % d’entreprises qui dégagent au maximum 5 % d’EBE. Et d’abîmer les autres 40 % qui en dégagent plus de 5 % », déplore P. March.

L’apporteur d’affaires en question

L’heure n’est donc sûrement pas aux exigences supplémentaires de la part des donneurs d’ordres, même si certains assureurs ont accepté de revoir à la hausse la rémunération de leurs réparateurs agréés. Loin d’être une généralité, toutefois, et surtout rien de suffisant pour contrecarrer la hausse effrénée du coût par sinistre. « L’inflation de tous les postes se traduit par un dossier moyen aux alentours de 1 800 € par dossier de sinistres ; et tout le monde annonce les 1 900 € à court terme. Alors qu’il n’y a pas si longtemps, nous parlions encore de 1200 € par dossier... », rappelle David Ribeiro, réparateur Five Star à Tourcoing (59) et trésorier du Bureau national des carrossiers de Mobilians.

Et dans ce contexte, le coût de la main-d’œuvre progresse moins vite que les autres postes. Comment financer alors la montée en compétences des équipes ? Et l’investissement matériel nécessaire pour répondre aux besoins de véhicules toujours plus sophistiqués ? La question de s’affranchir des agréments d’assurance effleure donc plus d’un carrossier. « Je confirme que le mouvement de désagrémentation, devenu courant chez les carrossiers de marques constructeur, s’étend aussi aux carrossiers multimarques. Pour les uns comme pour les autres, ce mouvement n’est que le fruit du manque croissant de profitabilité », souligne D. Ribeiro. 

L'heure viendra peut-être, aussi, « d’oublier l’agrément pour exhumer le vieux projet de contrat commercial en le remettant sur le dessus de la pile, avec ses remises calculées sur le prix public et variables en fonction du volume, avec des services payés au moins au prix coûtant, mais aussi avec RFA à l’apporteur d’affaires si l’année est meilleure que prévue. Une relation gagnant-gagnant d’un nouveau genre », estime P. March.
 

Des leviers de rentabilité… imparfaits

Outre la possibilité de changer d’apporteurs d’affaires, et de privilégier des certifications constructeurs au lieu des agréments d'assureurs, plusieurs leviers s’offrent au carrossier face l’inflation. A commencer par la pièce de réemploi, qui réclame plus de préparation qu’une pièce neuve. Certes, le réparateur marge moins dessus, mais il l’achète entre 30 et 70 % moins cher, selon l’élément concerné et sa disponibilité. Néanmoins, tant que le nombre moyen de PRE prélevées sur chaque véhicule n’augmentera pas, elles resteront une part minime des achats.

Autre levier, pour faire valoir son vrai taux de main-d’œuvre cette fois : la cession de créance, voie de sortie de l’agrément. Où comment se faire indemniser légalement la réparation en lieu et place de son client, ce que facilitent Mobilians via Créance Auto et la FFC via Tribu. « Mais certains assureurs préfèrent encore allonger les délais de paiement, rembourser les automobilistes plutôt que le détenteur de la créance et nous imposent de multiplier les injonctions de payer », regrette D. Ribeiro.

Romain Thirion
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