Francis Perry, Wolf Oil : « Avoir le produit à n’importe quel prix »
Quand l'huile vaut de l'or ! Entre crise pandémique, pénurie et inflation, les rééquilibrages opérés par les entreprises sont souvent des opérations réalisées "à vue" dans un contexte conflictuel avec une Russie coupant l'alimentation directe ! Chez Wolf Oil, la stratégie repose sur trois mots-clés : transparence, communication, résilience. Surtout, il faut fournir le client "à tout prix", ce qui suppose la quête d'un produit devenu une denrée presque rare mais demeurant toujours la première entrée atelier. Explications concrètes de Francis Perry, directeur des ventes France...
Votre analyse sur cette période chahutée, depuis la crise sanitaire jusqu’au conflit ukrainien ?
Francis Perry : Inédit ! La situation est plus que tendue. Après la crise du Covid, les prix semblaient se stabiliser fin 2021, voire amorcer une décrue. Nous aurions pu réinjecter des prix à la baisse, après trois hausses consécutives l’an passé, liées à la pénurie en huiles de base. Sauf que nous sommes à présent confrontés à ce conflit en Europe. Et malheureusement, l’impact est démultiplié puisque le pétrole russe, et donc les huiles de base russes, alimentaient 50 % des besoins européens, soit 100 000 tonnes par mois. Dès lors que ces produits sont manquants, tout est fragilisé. Shell annonce par exemple des pertes de 5 milliards de dollars au T1, avec la coupure russe. Il faut également ajouter deux maintenances dans des raffineries polonaise et bulgare sur des huiles de groupe 1.
Les prix des huiles de base augmentent de façon exponentielle, des hausses jamais atteintes jusqu’à présent, même au plus fort de la crise de 2008. La flambée est explosive pour tous les acteurs du lubrifiant… et se répand sur ceux de l’après-vente puisque l’on parle de la première entrée atelier !
L’agilité et la communication sont des clés.
Cela suggère un virage à 180° pour le sourcing ?
Oui car le pipeline direct entre l’Europe de l’Est et l’Ouest est rompu. L’Arabie Saoudite, la Corée, les États-Unis peuvent être des alternatives dans l’approvisionnement européen, mais le transport est plus complexe et lent, avec la mise en place de bateaux et bien sûr des frais supplémentaires. Cette situation va durer au moins en 2022, même si le conflit cesse vite. Nous sommes partis sur un temps long. C’est ce qui explique notre stratégie d’approvisionnement : avoir le produit à n’importe quel prix. C’est la course. Certains pétroliers sont en rupture depuis six mois sur certaines lignes comme la transmission, l’hydraulique est devenu une denrée rare. La clé, c’est l’agilité ! Il faut trouver des solutions pour s’approvisionner là où nous avons le droit, puisque le business est tout simplement interdit avec la Russie. Et il faut rassurer les clients. Car les hausses de tarifs vont continuer. Sur le marché international, nous achetons entre 200 et 400 dollars de plus que le cours maximum, à prendre ou à laisser.
Vous dites rejouer la transparence avec vos clients pour expliquer les hausses de tarifs ?
Nous l’avons en effet initié au temps du Covid avec une communication transparente pour être le plus didactique possible : le sourcing de l’huile, sa transformation, son transport… Aujourd’hui, cette transparence est encore plus nécessaire car nous ne savons pas comment vont évoluer les choses. L’offre s’est tarie. Donc nous alertons nos clients sur les hausses à venir et les rationnements possibles car nous faisons en sorte que tous nos partenaires soient traités équitablement. Enfin, nous privilégions nos deals sécurisés, versus des clients ponctuels. La communication, c’est aussi la clé ! J’ai une vision à trois mois. Au-delà, c’est plus incertain.
Nous sommes dans un métier de contact. Notre job, c’est d’aller voir les clients.
Un état des lieux de votre distribution en France ?
Nous travaillons essentiellement avec les réseaux traditionnels, encore peu avec les concessionnaires. Ces derniers travaillent avec des pétroliers via des accords très forts. Ils demandent des avances de trésorerie conséquentes et les pétroliers ont les capacités financières. Cependant, nous avons toutes les homologations constructeurs, donc nous pouvons être une alternative très intéressante pour les groupes de distribution.
Nous sommes six personnes à présent à sillonner le territoire entre les responsables régionaux, le responsable grands comptes et le responsable des ventes. Nous étions dans la sécurisation de nos clients distributeurs au premier semestre 2021, car nous sortions de confinements. Le Covid nous a éloignés du contact humain. Or nous sommes dans un métier de contact. Notre job, c’est d’aller voir les clients ! Nous avons réaccéléré ensuite en prospection et avons gagné une vingtaine de nouveaux clients dans le VL bien sûr (75 % du CA), mais aussi le PL/TP/agraire et deux-roues. Nous renforçons nos partenariats, comme celui avec Proxitech, en les accompagnant au quotidien (campagne, plan marketing trimestriel…) car nous souhaitons devenir la référence. D’autant que nous sortons douze nouveaux produits par an. Et pour enfoncer le clou, nous sommes présents sur les salons comme Automechanika et Equip Auto. Solutrans fut d’ailleurs une expérience significative pour renouer le contact. Nous sommes toujours un challenger, sur un produit devenu très technique. Donc il faut former, informer, accompagner, être visible.
L’électrification du parc, un défi pour le lubrifiant ou une peur ?
Pour l’instant, cela ne représente que 10 % du parc neuf, soit 200 000 véhicules sur un parc à 2 millions d’unités, donc la peur ne sert à rien. Nous sommes qui plus est sur un marché du VO thermique trois fois plus important que les ventes VN (6 millions d’occasions écoulées en 2021). Tous les acteurs planchent sur de nouvelles solutions dont le carburant de synthèse pour remplacer le pétrole. Je penche vers cette solution, plutôt qu’un avenir 100 % électrique. De fait, nous développons nos gammes sur les huiles régénérées qui existent depuis longtemps. D’autant plus pertinent que l’enjeu réglementaire impose la récupération à 100 % des huiles pour une réutilisation à 75 % a minima du lubrifiant. Pour information, 1 litre d’huile pollue durablement 1 m3 de terre et 30 millions de litres disparaissent dans la nature (30 000 tonnes exactement).
Que pensez-vous de l’écotaxe sur les lubrifiants d’ailleurs ?
Nous l’appliquons depuis le 1er janvier 2022. Elle fonctionne comme l’éco-contribution du pneumatique. C’est un cercle vertueux. Et pour certaines huiles (hydraulique, 15W), elle peut représenter un sourcing intéressant, surtout en ces temps de pénurie !