Résultats : les équipementiers moins gâtés que les constructeurs

Jean-Marc Pierret
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Claude Cham et Jean-François Le Bos

Vive la crise de l'offre! Les constructeurs sortent tous assez bien lotis d'un premier trimestre où le bon mix des produits compense largement les ventes ratées pour cause de pénuries. Les équipementiers première monte ne semblent pas en revanche bénéficier d'une même progression opportune. Explications de Jean-François Le Bos et de Claude Cham, président et président d'honneur de la Fiev...

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Drôle d’époque que celle d'une crise qui rend les constructeurs profitables comme jamais alors même que leurs ventes s’effondrent. Ils égrainent les uns après les autres des chiffres presque surréalistes. Au 1er trimestre, Stellantis vient d’annoncer un CA mondial en hausse de 12 % alors même que ses ventes se sont effondrées d’autant.

Si le groupe franco-italien se garde pour l’instant de détailler sa rentabilité trimestrielle, Volkswagen n’a pas la même pudeur. Lui aussi confesse un recul de ses ventes planétaires (-14,5 %) pour un chiffre d’affaires cette fois à peine orienté à la hausse (+0,6 %). Il arbore pourtant un bénéfice de 6,72 milliards d’euros, en hausse de 96,9 % comparé au 1er trimestre 2021 !

Les vertus d'une crise de l'offre

Rien d’étonnant. Les crises précédentes étaient classiquement des crises de la demande. De celles qui ruinent les rentabilités dans une spirale dévastatrice de chutes de production et de rabais afin de capter des consommateurs atones. Celle d’aujourd’hui est une crise de l’offre aux conséquences diamétralement opposées. Limités dans leurs productions par les pénuries multiples, les constructeurs peuvent cette fois non seulement choisir leurs clients, mais aussi et surtout garder le contrôle de leurs prix.

Et ils ne s’en privent évidemment pas. Si les pénuries limitent leurs productions, ils sont sûrs de pouvoir vendre ce qu’ils produisent en passant sans encombre toutes les hausses qu’imposent l’envolée des prix des matières premières, des composants, de l’énergie, du transport et même des salaires. Ils n’ont donc plus qu’à privilégier les véhicules à forte marge, puisqu'ils sont demandés coûte que coûte par les acheteurs à fort pouvoir d’achat.

Et plus on monte vers le premium, plus la prime est chatoyante. Depuis le début de l’année, BMW a vu ses ventes reculer de 6 %, mais son bénéfice trimestriel bondir de +260 % à 10,185 Mds d’euros.

Les équipementiers à la peine

Mais alors pourquoi les équipementiers de 1ère monte vivent-ils, parallèlement, une période moins prolixe ? Leurs chiffres d’affaires sont certes loin d’avoir dévissé comme les volumes des ventes VN (voir « Résultats équipementiers : merci l’inflation… et vive la rechange ! »). Mais ils n’ont pas non plus explosé dans les mêmes proportions que ceux affichés par leurs clients constructeurs.

Nous avons trouvé la réponse en rencontrant l’état major de la Fiev à l’initiative de l’AJTE (Association des journalistes techniques et économiques). Si les constructeurs ont la liberté d’orienter au mieux leurs productions et de répercuter les hausses qu’ils subissent, leurs fournisseurs équipementiers n’ont pas la même latitude.

La dure loi du contrat

La difficulté se niche dans les contrats de 5 ans qui les lient à leurs clients constructeurs. La durée a une vertu certaine : donner suffisamment de visibilité pour justifier les investissements industriels et garantir une rentabilité fondée sur de faibles marges portées par de grands volumes. Mais tout au long de la relation contractuelle, tout est encadré, à commencer bien sûr par les prix d’achat.

Alors, quand survient une flambée inflationnistes inattendue telle que celle née de la pandémie et renforcée par la guerre russo-ukrainienne, quand les volumes s'évaporent, l’équilibre économique de la relation se dégrade. Mais les termes du contrat, eux, demeurent. La sécurité contractuelle se mue alors en un étouffant corset.

Négociations difficiles

Logiquement, les constructeurs restent arcboutés sur la négociation initiale pendant que les équipementiers ne peuvent que tenter d’obtenir des compensations, constate Jean-François Le Bos, président de la Fiev. Si les constructeurs font la sourde oreille, c'est pour une évidente raison : "les équipementiers pèsent 60 à 85 % de la valeur d'un véhicule. 1 % de variation à la hausse ou à la baisse a des impacts immédiats sur la marge du constructeur".

Avec les deux constructeurs français, la Fiev et ses adhérents équipementiers discutent pour établir des indices pertinents afin de pouvoir répercuter les hausses des coûts qui puissent adoucir deux années de souffrance économique depuis le premier confinement.

Et visiblement, les négociations sont non seulement difficiles, mais les perspectives ne sont pas plus souriantes. Si les discussions avancent semble-t-il avec Stellantis, le président de l’organisation professionnelle reste prudent. Il confirme ce que Carlos Tavares a récemment annoncé : les fournisseurs de Stellantis devront prendre à leur charge 40 % des impacts inflationnistes…

Une nécessaire écoute

Mais tout n'est pas gris pour autant dans le ciel équipementier. Claude Cham, président d'honneur de la Fiev, rappelle que les relations clients-fournisseurs sont certes tendues dans l'automobile "autant par définition que par tradition". Mais les équipementiers sont aussi devenus de solides créateurs de valeur par les innovations qu'ils incarnent et par leur maîtrise des complexes fonctions qui irriguent les technologies automobiles.

Cette interdépendance entre le constructeur et l'équipementier le rend serein. "La position des constructeurs n'est pas tenable dans la durée", prophétise-t-il, car l'affaiblissement des équipementiers pénaliserait les constructeurs eux-mêmes.

Et il rappelle, lui qui assume aussi la présidence de la commission aftermarket de la Fiev, que dans une période de grandes incertitudes pour une industrie automobile menacée par les dogmes écologiques et bousculée par les impacts pandémiques et géopolitiques, les équipementiers doivent se rappeler qu'il leur faut "marcher sur deux jambes". Celle de la 1ère monte bien sûr ; mais aussi celle de la rechange. "A l'heure où il n'y a plus qu'un seul grand marché, l'aftermarket doit redevenir stratégique", rappelle-t-il à ceux qui ont peut-être trop misé sur leur seule puissance d'industriel...

Jean-Marc Pierret
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