Concentrations : Autodistribution et AAG, symptômes d’une tendance lourde

Jean-Marc Pierret
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Depuis début 2016, face à un Alliance Automotive Group plus que boulimique à l'international, Autodis Group (Autodistribution) n'avait guère montré d'appétit que dans nos bonnes vieilles frontières. Même le rachat de Doyen semblait à ce titre bien timide, plus de la moitié du chiffre d'affaires du distributeur belge étant réalisé en France. Mais ça, c'était avant : avec la récente reprise de trois distributeurs italiens, Autodistribution confirme clairement que son territoire naturel d'expansion est aussi devenu européen. Par gourmandise ? Non, par nécessité. Car la concentration est durablement devenue la règle...
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En septembre dernier, Doyen tombait dans l’escarcelle d’Autodis Group, la holding d’Autodistribution. Sur l'aspect “internationalisation” de l'acquisition, la forte couleur franco-belge de Doyen laissait alors en partie perplexe. Plus de la moitié de son chiffre d’affaires est réalisée en France, le reste restant concentré sur le ténu territoire voisin du Benelux. En l’espèce, ne s’agissait-il pas en fait d'une opportunité de consolidation française, plus que d’un réel début de conquête européenne ?Le doute semblait d'autant plus fondé que les autres rachats d’Autodistribution se maintenaient obstinément dans un périmètre hexagonale. Depuis le 1er janvier 2016 et hormis donc ce Doyen à moitié international, Autodis/Autodistribution n'a en effet empilé que des reprises françaises. La plateforme Automax Marseille (12 M€ de CA), le distributeur Electro Diesel Service (4 M€), le distributeur de pneus SLPA (20 M€) et plus récemment, le réseau Mondial Pare-Brise (27,2 M€, hors CA du réseau de réparateurs). Côté logistique, l'investissement du nouveau site automatisé de Réau. Autodistribution semblait plus pressé d'enrichir son offre française que de s'en aller conquérir l'Europe...
Autodistribution enfin clairement sorti des frontières
Mais cette fois, ce que vient d’annoncer la holding Autodis Group lève toute ambiguïté. Avec les trois distributeurs italiens OVAM, Top Car et Ricauto, le groupe de distribution français vient de lancer un rapprochement dans le cadre de la création d’une structure commune en Italie. Et rien qu'en Italie. «Une structure au sein de laquelle Autodis sera majoritaire», tient à confirmer le communiqué annonciateur.Cette fois donc, l’acquisition est indubitablement étrangère à la terre natale du groupement. OVAM est présenté comme l'un des plus importants distributeurs du Nord et du Centre de la Grande Botte. Au travers de ses trois plateformes, il génère un CA annuel de 82 M€. Quant à Top Car et Ricauto, ils réalisent 40 M€ de CA dans la région de Padoue, au Nord-Est de l’Italie. Ces deux derniers sont membres du groupement d’achats Giadi, lui-même partenaire d’AD Italie et d’AD International.D'un coup, Autodistribution vient donc de croître de 122 millions de chiffre d'affaires additionnel. Déjà conséquents en l'état, ces 122 M€  apparaissent encore moins anodins à l'échelle transalpine. Le leader italien Rhiag est certes 7 fois plus gros : il pesait 882 millions d'euros lorsqu'il était gobé fin 2015 par LKQ. Mais une telle différence s'explique aussi parce que Rhiag pouvait consolider son CA par des implantations en Espagne et dans 7 pays d'Europe de l'Est. Dans une Italie de la distribution de pièces bien plus atomisée qu'en France, Autodistribution peut s'enorgueillir d'être entré par la grande porte.
Autodistribution champion de France, AAG champion d'Europe
Profitons-en donc pour refaire les comptes de cette vague de rachats, même si l'exercice comparé agace les deux groupements leaders français que sont Autodis Group et Alliance Automotive International (AAG). Des comptes pourtant nécessaires si l'on veut comprendre à quel point tous deux ont appuyé sur l'accélérateur à concentrations depuis le 1er janvier 2016. Et surtout, pourquoi ils y sont contraints.Sur la période, Autodis/Autodistribution a ainsi racheté 379,2 millions d’euros de CA au travers de ses diverses acquisitions. Même si le groupement vient de réduire son retard sur Alliance, ce dernier reste encore assez largement en tête puisqu'il affiche +423,7 millions sur la même période.Dans le détail, le match français reste en revanche à l’avantage d’Autodistribution. Le groupement affiche +157,2 M€ à l’intérieur de nos frontières (en tenant arbitrairement compte de 100 M€ de CA réalisés dans l'Hexagone par Doyen), contre “seulement” +97,5 M€ pour AAG. Toutes choses étant égales par ailleurs, le classement s’inverse donc hors France : AAG affiche + 326,2 M€ dans le reste de l’Europe quand Autodis/Autodistribution se “contente” d'environ +222 M€ (en tenant là aussi compte de l'autre moitié de Doyen).
Une ambitieuse course... de fonds
Au total en tout cas, le cumul des acquisitions des deux champions français se révèle spectaculaire : ensemble, ils viennent d'augmenter leur périmètre de 800 millions d'euros de CA en à peine 15 mois, eux qui n'en étaient “qu'à” 555 millions supplémentaires en novembre dernier. A ce rythme et à en croire les rumeurs, le milliard d'euros sera franchi en 2017.Rien de vraiment étonnant si cette croissance externe ne ralentit pas. Car cette course à la croissance est avant tout une course... de fonds, ces fonds sur lesquels les deux groupements français sont adossés : Bain Capital pour Autodistribution et Blackstone pour AAG.De toute évidence, ces deux provisoires propriétaires de groupements ont compris qu'il n'y avait d'autres perspectives de retour sur leurs investissements que de faire croître et embellir leurs poulains. C'est logique. Le top départ de cette boulimie de rachats a été donné par la campagne de conquête européenne de l'américain LKQ qui, fort de sa cotation à Wall Street, finance assez facilement chaque nouveau rachat par la progression de sa valeur boursière. Il était quasi-inconnu ici lorsqu'il débarquait fin 2011 en Europe pour acquérir le britannique ECP. 5 ans plus tard, il trône en tête de la distribution européenne de la pièce dont il pèse déjà 3 milliards d'euros. Cette course de fonds est donc aussi une course... de cote : en Bourse ou pas, pour rester visible, valorisé et séduisant, la concentration est devenue la règle pour tous ceux qui peuvent miser pour suivre la partie.
Des proies à foison
Une partie dont la règle semble en outre pérenne. Car il y a encore profusion de proies à gober sur notre vieux Continent. Nous citions récemment cette étude de Wolk qui estime à 5 milliards d’euros le potentiel de rachats via une petite cinquantaine de distributeurs dépassant chacun les 100 millions d’euros de CA. Sans oublier bien sûr le vivier total des 48 000 entreprises environ que recèle l’Europe de la distribution de pièces.C'est en cela aussi que l'accélération de la concentration, dont nous constatons l'emballement, devient systémique. Et ce n'est évidemment pas l'ambition mondiale de PSA Aftermarket et à tout le moins européenne de Renault-Exadis/PiVi Ricambi qui calmeront le jeu. Car plus les gros grossiront, plus ces 48 000 petits seront pressés de se jeter dans leurs bras avant de devenir incapables de suivre les conditions que les géants de la distribution pourront obtenir. Obtenir et surtout répercuter sur un marché où tous les observateurs prédisent en outre que les marges ne pourront que baisser, rendant la survie des plus faibles de plus en plus aléatoire.Entre ceux qui donc veulent se vendre tant que c'est encore possible et ceux dont la vocation est de racheter tout ce qui bouge ou presque, l'actualité de la concentration du marché de la pièce nous promet encore une belle profusion d'articles.Comme d'habitude, on vous tiendra au courant...
Jean-Marc Pierret
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