Les “gilets jaunes” dégonflent le marché du pneu

Romain Thirion
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Si le marché du pneu VP, VUL et 4x4 s’est bien tenu au cours de l’année 2018, il a quand même souffert d’un décembre très impacté par la crise des “gilets jaunes”, avec une baisse de volumes de presque 20% ! Le marché des enveloppes PL n’accuse pas encore le coup, lui, mais celui-ci pourrait se ressentir au cours du premier trimestre 2019…
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Le Syndicat des professionnels du pneu (SPP) vient de rendre public le bilan de l’année 2018 pour la filière, consolidé sur la base des chiffres sell-out (NdlR : des ventes au consommateur) des centres auto, réparateurs rapides et négociants spécialistes qui constituent le panel GfK et forment l’essentiel des adhérents de l’organisation professionnelle. Ainsi que d’Allopneus, leader incontesté du pneu en ligne et seul “pure-player” à adhérer au SPP. Et c’est sur un recul de 3,1%, tous segments TC4 (tourisme, camionnette et 4x4/SUV) confondus, que l’exercice 2018 s’est achevé. En effet, les pneus tourisme ont vu leurs volumes baisser de 3,3% et ceux dédiés aux VUL de 5% !

Le pneu SUV entre les gouttes

Seuls les pneus 4x4/SUV continuent de progresser, affichant une hausse de 5,4%. «C’est une progression tout-à-fait mécanique puisque cela suit la courbe des ventes de SUV, qui ne cesse de croître depuis plusieurs années», souligne Régis Audugé, directeur général du SPP.

Le pneu 4x4 et SUV a en effet vu ses volumes croître de 62% depuis 2011 ! Mais la tendance générale baissière du marché TC4 aurait pu être moindre s’il n’y avait pas eu la crise des “gilets jaunes”, selon l’organisation professionnelle. «Si le recul de -6,6% que nous avons connu en novembre reflétait, somme toute, une tendance normale sur un automne plutôt doux, la baisse de 19,3% de décembre est clairement à mettre sur le compte de “l’effet gilets jaunes”», ajoute Régis Audugé.

Une baisse plus forte que jamais en décembre

Et le président du SPP, Michel Vilatte, d’ajouter que «c’est du jamais vu d’enregistrer une baisse de presque 20% des volumes en décembre : d’ordinaire, la baisse se limite à 15, voire 16%». Les blocages et les perturbations de circulation causés par les gilets jaunes auraient donc fait perdre 3 points aux volumes de vente de pneus TC4 en ce dernier mois de l’année 2018… «Cela représente une perte de chiffre d’affaires d’environ 30 millions d’euros en décembre, déplore le dirigeant élu. Le recul du marché TC4, en valeur, est donc du même ordre : environ 20%.»

L’effet climat n’est effectivement pas en cause du tout puisque les conditions météorologiques du dernier bimestre 2018 étaient sensiblement les mêmes que celles de l’année précédente, à la même période. «Sur le marché du pneumatique, un recul de 3,1% est très important, insiste Régis Audugé. Sans l’effet gilets jaunes, la tendance aurait flirté avec le 0%.» Néanmoins, les gilets jaunes ne sont pas les seuls en cause dans le recul de certains segments, si l’on regarde dans le détail les chiffres 2018 : si le pneu VUL a souffert de cette crise également (-21,6% en décembre !), son recul de 5% «est également dû à une concurrence accrue du web et à la baisse de l’activité économique en France», selon le directeur général.

La guerre des prix a cessé pour les pneus TC4

Derrière ces mauvaises nouvelles s’en cache toutefois une bonne pour le marché TC4 : les prix moyens se sont stabilisés et oscillent entre +0,8% pour les pneus tourisme et -0,9% pour les enveloppes 4x4/SUV. «La guerre des prix entre canaux de distribution semble s’être arrêtée en 2016 et, depuis, nous assistons à une discrète remontée, confirme Régis Audugé. Les écarts de tarifs des dimensions les plus vendues relevés sur les sites de vente en ligne se sont resserrés par rapport à ceux des acteurs traditionnels que sont les centres auto, les réparateurs rapides et les pneumaticiens, y compris chez ceux qui pratiquent le "click & mortar" (NdlR : l’achat en ligne suivi du montage en centre).»

Ainsi, aussi bien sur le segment Budget que sur le Premium, les courbes de tarifs ont été jusqu’à se croiser au cours de l’année 2018 : les prix relevés chez les "pure-players" ont pu être plus élevés à certaines périodes que ceux des pratiquants du "click & mortar". Et, de manière générale, l’écart de prix moyen entre les deux a rarement dépassé les 2 euros, en particulier sur le segment Budget. «Allopneus, leader du web avec 50% des parts de marché environ, le fait savoir depuis quelque temps maintenant : ce n’est plus par le prix qu’on se différencie en ligne, mais par la disponibilité de références rares et l’offre de pneus spécifiques», certifie Régis Audugé.

«Les sites de vente en ligne ont compris qu’il y avait une limite à faire toujours moins cher», remarque Michel Vilatte, citant l’exemple de la revente de 1001pneus et, dans un autre domaine, qu’il a bien connu en tant que président de la FEDA, la reprise d’Oscaro par PHE. Néanmoins, les niveaux de marge des pros, eux, ne se sont pas rétablis pour autant… «Il est donc devenu plus difficile de valoriser son entreprise au moment de la céder», déplore le président du SPP.

Marques B et tierces marques progressent

Côté répartition des ventes par niveau de marques, entre 2017 et 2018, les marques Premium ont encore vu leurs ventes baisser d’un point (57,6% des parts de marché contre 58,8 en 2017), au profit des marques B (19,5% contre 19,1% en 2017 pour les Firestone, Kleber, Uniroyal et consorts…) et surtout des “autres marques”, segment fourre-tout dans lequel se trouvent les pneus “exotiques” mais aussi des marques puissantes et reconnues mais pas suffisamment huppées pour intégrer les marques Premium, à l’image de Hankook, de Yokohama ou de GT Radial.

Quant aux marques de distributeur, elles peinent à décoller et reculent, même : elles ont perdu 0,4 point de parts de marché entre 2017 et 2018. Si l’on se base sur l’état du marché en 2011, marques B et autres marques ont respectivement progressé de 18,7% et de 21,2% ! Pendant ce temps, les marques Premium ont vu leurs volumes reculer de 4,5% et les MDD (ou Tradebrands) de 16,7% !

La saison du pneu toutes saisons, c’est toute l’année !

Côté saisonnalité, les pneus toutes saisons poursuivent leur croissance avec 26,6% de volumes supplémentaires en 2018, au détriment du pneu hiver, certes (-15,1%), mais aussi du pneu été, alors que celui-ci était censé être préservé par la dynamique de ce nouveau marché. En effet, les ventes de pneus été ont encore reculé de 2017 à 2018, accusant une baisse de 3,4%.

Si bien qu’aujourd’hui, les pneus été ne représentent plus que 79% du marché, contre 13,2% pour les enveloppes hiver et surtout 7,8% pour le marché toutes saisons. Alors que celui-ci ne représentait que 0,7% des volumes en 2014 ! Un dynamisme étourdissant. D’autant que ces pneus toutes saisons sont désormais tous labellisés M+S (NdlR : «Mud + Snow», c’est-à-dire boue + neige, toutes deux fréquentes en hiver).

Le marché PL va-t-il subir lui aussi l’effet “gilets jaunes” ?

Côté pneus pour véhicules lourds, le marché 2018 s’est montré plutôt serein, avec des croissances de 6,6% pour les pneus neufs et 6,1% pour les pneus rechapés, qui semblent enfin être sortis de la crise qu’ils ont connue ces dernières années, même si leur part dans les ventes globales demeurent stables, aux alentours de 34,2% des parts de marché. Le marché des enveloppes PL a même connu un pic de progression à 14,1% au troisième trimestre, avant de revenir, en fin d’année, à son niveau du deuxième trimestre.

«C’est donc une belle progression pour le marché des pneus PL, qu’il ne sert à rien d’analyser mensuellement, reconnaît Régis Audugé. Les prises de commandes font qu’une étude trimestrielle suffit. Mais le décalage de ces mêmes prises de commandes masque l’éventuel effet de la crise des gilets jaunes sur la fin d’année 2018, tempère-t-il. Celle-ci pourrait donc être ressentie dans les chiffres du premier trimestre 2019», voire du second.

Romain Thirion
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