Dernière minute – 4ème Américain (suite): que vient faire le géant Advance Auto Parts dans Nexus ?
En écrivant notre récent article pressentant l'arrivée d'un 4ème gros acteur nord-américain dans l'après-vente européenne et mondiale, nous ne pensions pas être si près de l'événement. Car c'est maintenant quasiment officiel. Les principaux fournisseurs ont été informés : il s'appelle Advance Auto Parts. Et dans la foison de rumeurs contradictoires, nous ne sommes pas mécontents d'avoir eu la prudence d'évoquer une possible façon originale de le voir s'intéresser à la distribution de pièces.
Car en l'occurrence, point de rachat fondateur façon LKQ Corp/ECP ou GPC/AAG. Advance Auto Parts (AAP) vient en fait d'adhérer à Nexus Automotive International. Il y représente dorénavant le tiers des 27,5 milliards d'euros maintenant fédérés sur toute la planète par le plus jeune des groupements internationaux (voir encadré ci-dessous). Ceux qui à coup sûr se demandaient s'il allaient ainsi voir PHE gobé par ce mystérieux nouveau venu devront encore attendre la réalisation de cette éternelle rumeur de cession du distributeur français...
Pourquoi adhérer à Nexus ?
L'arrivée d'Advance Auto Parts au sein du groupement n'a donc rien d'un strapontin. Car il s'agit là d'un sacré beau bébé, même s'il est né il y a déjà 85 ans.
Fort aujourd'hui de 70 000 collaborateurs, AAP pesait 9,58 milliards de dollars en 2018 et espère en tutoyer 9,750 milliards cette année. L'entreprise pilote 6 340 points de vente, dont 4 780 sous son nom, 1 231 magasins indépendants sous la marque Carquest et les 143 succursales du réseau Worldpac. A cela s'ajoutent 183 autres entreprises de distribution au Canada, à Porto Rico et aux îles Vierges américaines. Sans oublier son site de ventes de pièces en ligne advanceautoparts.com. Une taille et une diversité qui le placent indiscutablement parmi les géants mondiaux de la distribution de pièces et de services.
Mais pourquoi Advance Auto Parts se contente-t-il d'adhérer, finalement prudemment, à Nexus Automotive International ? La montagne que nous annoncions dans notre dernière minute de lundi dernier n'accouche-t-elle pas d'une souris ? Est-ce vraiment aussi important ? A en croire les observateurs, oui, très probablement. Car l'entreprise n'a pas choisi son slogan «Think ahead. Think Advance» sans raison. La phrase, que l'on peut traduire par «penser plus loin. Penser Advance» (c'est-à-dire «penser en avance»), incarne l'approche d'une entreprise aimant prendre le temps de préparer le coup d'après.
Un géant... du retail
Car cette adhésion n'est peut-être qu'une simple étape, liée avant tout à la particularité structurelle de AAP. Contrairement à LKQ Corp. ou GPC, l’activité de l’entreprise est largement dominée par le retail. Les presque 5 000 centres Advance Auto Parts sont des centres auto.
Adhérer ainsi à un groupement international rassemblant très majoritairement des distributeurs traditionnels peut constituer une pertinente antichambre pour qui veut étudier et comprendre ce marché BtoB sur lequel ses deux grands homologues américains fondent leur croissance devenue mondiale. D’autant que, comme nous le notions récemment, LKQ Europe lui a démontré par l’exemple qu’il ne suffit pas d’acheter à marche forcée pour dégager des profits proportionnels…
On ne peut donc exclure que le géant adhère à Nexus pour élargir sa vision au monde entier avant de calibrer une stratégie d’acquisitions dans l’univers de la pièce traditionnelle.
L'avenir incertain du Do it Yourself
En creux, c’est peut-être aussi là le symptôme d’un retour à l’offensive des acteurs du retail. On sait qu’ils s’ébrouent aussi en Europe. Mobivia a discrètement monté une business unit en BtoB et vient d’entrer au capital d’Exadis. Les distributeurs du retail ont bien sûr compris depuis longtemps que le BtoB n’est pas exempt de marges. Mais ils savent aussi qu’ils touchent les limites de leur marché. Ils s'interrogent sur l'avenir d'un do it yourself qui les a longtemps portés.
Un do it de plus en plus potentiellement contrarié par la croissance technologique et digitale des véhicules, a fortiori aux États-Unis où il pèse 30% du marché de la pièce quand il n'en représente que 5,3% en Europe. Et dans les pays émergents si prometteurs par leurs parcs aux croissances exponentielles, ce sont justement ces véhicules récents aux technologies compliquées qui font l'essentiel du nombre. La chine est ainsi devenue en peu d'années le premier parc roulant mondial...
Sortir nécessairement des frontières du BtoC
Il faut donc que les retailers se mettent en situation de ne pas insulter l'avenir. Un avenir où la distribution traditionnelle affiche sinon une longueur d'avance, au moins une approche qui lui permet d'espérer rester dans la course face à une concurrence croissante de l'après-vente constructeur. Elle s'organise pour être toujours plus proche des technologies 1ère monte et pour les transmettre, en formations et en composants, aux réparateurs indépendants de tous poils...
Bien sûr, AAP peut juste vouloir se contenter d'obtenir, grâce à Nexus, une meilleure massification de ses achats. C'est somme toute la première raison de rejoindre un tel ensemble. Mais rien ne lui interdit de joindre l'utile à l'utile. En adhérant au groupement, le groupe américain s'offre aussi un perchoir duquel observer les habitudes, les forces et les faiblesses, d'un large vivier de possibles acquisitions. Et le dynamisme de Nexus (digitalisation, approche omnicanal, croissance rapide, présence sur tous les marchés mondiaux), peut accélérer sa compréhension planétaire des mouvements tectoniques de la pièce. De quoi lui permettre d'affiner sa stratégie avant de se lancer hors de ses frontières continentales.
Vers une hybridation retail/traditionnel ?
A l’inverse, les actuels adhérents de Nexus peuvent aussi s’enrichir de la présence d’AAP. Car si le retail semble devoir plafonner, il n'en possède pas moins de solides gènes consuméristes. Ces derniers peuvent s’avérer précieux pour qui veut s’adapter à l’avenir d’une après-vente qui se redessine à coup de mutation des motorisations, de digitalisation et surtout du bouleversement des mobilités.
AAP incarne ce circuit court qui mène directement aux consommateurs, quand le traditionnel concentre encore l'essentiel de ses forces à traiter les attentes des réparateurs. Quand on voit les constructeurs franchir le Rubicon des pièces équipementières, pourquoi retail et distribution traditionnelle ne s'essaieraient-ils pas, eux aussi, à une salutaire hybridation ?
Nexus sur le toit du monde de la pièce
Au-delà des possibles ambitions d'Advance Auto Parts, c'est d'ores et déjà une superbe opération pour Nexus Automotive International. Un effet “botte de 7 lieues” : le groupement bondit ainsi de ses déjà spectaculaires 20 milliards d'euros à quelque 27,5 milliards. Et ce, même s'il semble que l’enseigne Worldpac reste hors du champ de l'adhésion d'Advance Auto Parts. Worldpac est en effet déjà membre de Groupauto International et GPC, qui a racheté AAG, n'a pas l'air de vouloir la laisser sortir du giron de “son” groupement international.
En dollars qui reste la monnaie de référence mondiale, Nexus franchit ainsi la barrière inédite des 30 milliards d'achats cumulés par ses adhérents. Le groupement international le plus jeune du plateau -5,5 ans- dépasse en un coup l'ensemble de ses concurrents (AD International, ATR International, Global One Automotive, Groupauto International, Temot International). Il s'adjuge brutalement la toute première place mondiale, détrônant son homologue allemand ATR aux 23,7 milliards d'euros (26,48 milliards de dollars) qui, lui, fête pourtant ses 52 ans ! L'élève vient de dépasser ses maîtres...
En passant, Nexus consolide considérablement sa dimension retail, après avoir accueilli Feu Vert et Speedy en France, que ses adhérents traditionnels hexagonaux servent d'ailleurs en partie. Cette symbiose des canaux est dans l'ADN omnicanal de Nexus depuis son origine. Et s'il faut s'attendre à une hybridation entre distribution traditionnelle et retail telle que nous l'évoquons dans cet article, le groupement international vient de mettre un très pertinent fer au feu de son développement. Surtout à l'heure où les concentrations croissantes dans la distribution de pièces commencent à démoder le vieux business-model des groupements internationaux (voir «Groupements internationaux : suprématie menacée ?»)...