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Ingrédients peinture : qui paiera le prix de la crise ?

Romain Thirion
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Après deux augmentations fortes en 2021, les fabricants de peinture s’apprêtent à surenchérir début 2022. Annoncées plus fortes encore -jusqu'à +20 % en 3 vagues cumulées-, les hausses de tarif des produits ne devraient pas être prises en charge par les assureurs pour l’instant, compromettant l’équilibre entre ateliers agréés et non agréés ainsi que la capacité des carrossiers à rester attractifs…

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Les réparateurs en ont l’habitude : chaque année, en janvier ou février, les fabricants de peinture appliquent une hausse modérée de leurs tarifs. « Cette augmentation est souvent de l’ordre de 3,5 à 5 % », rappelle Yves Levaillant, président de la branche Carrossiers au CNPA. Or, en 2021, ça n’est pas une, mais bien deux augmentations que les réparateurs ont dû encaisser. Entre juin et août, les principaux fabricants que sont Axalta, AkzoNobel, BASF et PPG ont appliqué des hausses supplémentaires pouvant aller de 4,5 à 7 %.

Celles-ci portent l’augmentation totale entre 10 et 12 % sur 2021. Un coup dur pour les réparateurs, surtout les agréés, dont la prise en charge des ingrédients peinture n'est pas réévaluée en cours d’année par les assureurs. Sollicitée par le CNPA dans un courrier en juillet dernier, la Fédération française de l’assurance a transmis les demandes de prises en charge des ingrédients peinture des réparateurs à ses adhérents assureurs, « mais on n’a jamais eu de retour de leur part », se désole Yves Levaillant (voir encadré ci-dessous).

Matières premières et sourcing en cause

Plus que jamais, pourtant, le sujet est sur la table car les grands fabricants de peinture s’apprêtent à appliquer des hausses encore plus fortes entre décembre 2021 et février 2022. Les chiffres qui circulent seraient d’environ 4 % chez AkzoNobel, 7 % chez PPG et 9 % chez Axalta. Seul BASF se montrerait "sage" avec une hausse attendue sous les 2 %. Cumulées aux deux précédentes hausses, les réparateurs encaisseront alors une augmentation de près de 20 % sur un an, en moyenne !

Les fabricants, au moment des augmentations estivales (voir Zepros Après-Vente Carrosserie n°19, P. 38), arguaient logiquement de la situation de pénurie de certaines matières premières. En particulier de certains pigments et oxydes métalliques obligeant à revoir sourcing et formulations. Ils regrettaient aussi les cours très élevés d’autres produits et la crise du transport mondial, rendant plus coûteux les acheminements. Certains réseaux de distribution et de réparation comme Centaure et Carflex semblent prendre le chemin de solutions en interne de type MDD ou marques exclusives pour éviter de tels tracas. Pourtant, les organisations professionnelles de réparateurs ne semblent pas en tenir rigueur aux industriels de la peinture.

Pas d’action des fédérations envers les fabricants

« Nous avons interpellé les assureurs mais on n’agira pas en direction des fournisseurs car s’ils doivent augmenter leurs tarifs à cause des coûts de matières premières élevés, ils ne le font pas pour le plaisir », reconnaît Yves Levaillant. « Cette situation de pénurie et de cours élevés est une réalité. Nous n’avons pas encore entamé de discussions avec les fabricants, d’autant que la situation n’est pas répercutée de la même façon par les carrossiers agréés et les non agréés », souligne Jean-Pierre Letellier. En effet, « les non agréés peuvent amortir le choc en augmentant leurs taux horaires, mais les agréés ont du souci à se faire », corrobore Yves Levaillant.

« Nous avons insisté auprès des assureurs en amont de la période de renégociation des contrats d’agréments : le réparateur n’est pas la cause des hausses, ce sont ses donneurs d’ordres qui doivent prendre davantage en charge les augmentations de tarifs ingrédients. D’autant que les assureurs viennent d’annoncer une augmentation des primes entre 2 et 3 % pour 2022 », affirme Christophe Bazin, secrétaire général de la FFC Mobilité Réparation & Services. Surtout que les peintures, de plus en plus complexes, étaient déjà soumises à un phénomène d’enchérissement. « Nous cherchons depuis longtemps à obtenir des adhérents de la FFA un tarif pour les peintures tricouche, mais sans effet », déplore-t-il.

Une capacité d’investissement grévée

En effet, les assureurs et plateformes de gestion de sinistres « n’accordent jamais plus que 1,5 à 2 % de revalorisation des tarifs d’ingrédients peinture », reconnaît Jean-Pierre Letellier. Et la présidente de la branche Carrossiers de la FNA, Marie-Françoise Berrodier, d’ajouter : « si les agréés restent à ce niveau de tarification peinture, cela va gréver leur capacité à investir, à s’équiper et à conserver leurs salariés. La maintenance annuelle des installations coûte très cher, les outils digitaux nécessaires aujourd’hui sont coûteux aussi et le prix de l’énergie augmente ».

Yves Levaillant soulève un autre risque : celui du creusement du fossé entre agréés et non agréés. « Les premiers vont souffrir d’emblée puis les seconds pâtiront de leurs tarifs jugés "trop élevés" ensuite », déplore-t-il. Seule issue pour les agréés : « négocier », selon Christophe Bazin, auteur récemment d’un appel à la vigilance des réparateurs quant aux conditions commerciales de leurs conventions d’agrément. « Si les réparateurs ne demandent rien, ils n’auront rien de leurs donneurs d’ordres. Et ils perdront du pouvoir d’achat, d’investissement, de formation, et la capacité d’attirer les compétences », ajoute-t-il.

Les assureurs silencieux depuis des mois

A propos des augmentations des tarifs d’ingrédients peinture, le CNPA avait sollicité le 5 juillet dernier Catherine Traca, directrice des assurances dommage et responsabilité à la Fédération française de l’assurance (FFA).

« Nous souhaitons vous alerter à nouveau sur l’explosion de nombreux coûts d’intrants de production et notamment de ceux des produits peinture. Ce renchérissement, qui se traduit concrètement en ce début d’année 2021 par des hausses allant de +4 à +5 % du prix des IP, auxquelles vient s’ajouter, depuis peu, une deuxième salve de hausses, oscillant entre +6 et 7 %, soit une augmentation rien que sur le 1er semestre de cette année, déjà désastreuse, de +10 % à +12 % selon les marques et fournisseurs. Toutes ces hausses venant en outre se greffer à celles de nombreux autres intrants (pièces, gaz de climatisation, équipements nécessaires aux interventions sur les ADAS et les véhicules connectés, etc.), sont totalement incompatibles avec le niveau des indemnisations accordé par vos ressortissants aux garages agréés et participent du décrochage de nos entreprises », y expliquait Yves Levaillant.

Catherine Traca avait alors répondu : « Concernant votre demande de prise en compte des charges suite à l’explosion de nombreux coûts d’intrants de production, je vous informe que nous transmettrons vos documents à titre d’information auprès des assureurs automobile. S’agissant de relations contractuelles entre les assureurs et leurs partenaires, la FFA n’a pas vocation intervenir sur ce domaine. » Et les donneurs d’ordres n’ont pas davantage donné suite...

Romain Thirion
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