ANALYSE - Renault et l'incertain pari de Fixter

Jean-Marc Pierret
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Fixter Motrio Kadensis

Fixter vient de détailler son process déjà testé et rodé en Grande-Bretagne. La start-up que vient de s'offrir Renault pour conquérir et s’approprier des clients de véhicules plus âgés en s'appuyant sur des réparateurs multimarques trouvera-t-elle des MRA français aussi réceptifs que leurs 400 collègues britanniques? Et les meilleurs d'entre eux que cible prioritairement la start-up ont-ils seulement besoin d'elle?

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Quelques jours après que Hakan Dogu, directeur après-vente monde Renault ait révélé le rachat de Fixter, la start-up est revenue en détail sur sa stratégie française naissante. Elle recrute actuellement une vingtaine de profils, à commencer par le DG de la filiale française. Elle entame son déploiement français par le nord-ouest de Paris en s'appuyant sur quatre à cinq réparateurs en cours de validation.

L'un d'entre eux sera d'ailleurs un Motrio, confirme Olivier Pontreau, directeur de Motrio Retail. « Il est logique que Fixter s'appuie sur des réparateurs Motrio déjà évalués et certifiés par Renault. Mais il s'agira toujours plus d'une synergie que d'une intégration: Fixter a besoin de recruter des réparateurs selon des besoins identifiés pour sa clientèle et non pas en fonction des adhérents de notre réseau multimarques. »

Comment ça marche ?

La raison d'être de Fixter ("Réparateur" en anglais), son président Frédéric Dermer la résume d'une formule-choc : « Organiser l'entretien de sa voiture doit être aussi simple que de commander une pizza. » Pour l'amont du client automobiliste, rien de plus simple en effet. En quelques clics, le consommateur renseigne l'immatriculation de son véhicule, indique son adresse et la nature de sa demande. En Grande-Bretagne où la start-up est née il y a cinq ans, « les deux prestations-phares concernent la révision et le freinage », précise-t-il.

Une fois les informations et la demande saisies, Fixter prend en charge l'ensemble de l'aval. Il s'occupe de trouver le réparateur, de valider et transmettre son devis, d'envoyer l'auto-entrepreneur contractualisé par la start-up qui va prendre en charge et ramener le véhicule au domicile ou au lieu au choix du client. Ce service à domicile sera facturé 20 €.

Le montant du devis du réparateur est bien sûr sous contrôle. Il est validé par Fixter en fonction d'une base de plusieurs millions de prix, eux-mêmes vérifiés par IA et algorithme, détaille fièrement Limvirak Chea, le président de Fixter. Si les pièces restent fournies par le sourcing classique du réparateur, Kadensis peut aussi en valider les prix via les outils déployés du temps de Partakus ou même les prix de la filiale logistique multimarque de Renault qu'est Exadis...

Fixter rétribué par le réparateur

Au consommateur, Fixter promet qu'il n'y a pas de surcoût par rapport au devis qu'il aurait lui-même obtenu, sinon bien sûr celui du service à domicile. Car la start-up n'ajoute pas sa commission mais se rétribue en négociant avec le réparateur une marge arrière d'apporteur d'affaires. Elle prend la forme d'une remise sur le taux horaire.

De 20 % au Royaume-Uni, elle est annoncée à 15 % sur le territoire français. Une rétribution que justifient les deux patrons de Fixter en la considérant comme indolore pour le réparateur, une fois pris en compte les gains de temps que l'offre Fixter lui fait gagner en relation client comme en facturation. Une rétribution qui peut aussi évoluer à la hausse en fonction des volumes apportés au réparateur...

Au-delà du devis initial, les ventes additionnelles demeurent possibles. Si le réparateur constate de visu que le véhicule nécessite d'autres interventions -tout particulièrement celles liées à la sécurité- Fixter assure le service en relayant argumentaires et vidéos auprès du clients pour, là encore, valider et faire adopter le devis complémentaire au client.

Le client appartient à Fixter

Reste que côté réparateur, tout est bordé. Après avoir été évalué et sélectionné par Fixter, le réparateur signe un contrat d'un an renouvelable. « L'expérience anglaise prouve que la relation avec le garagiste devient généralement pérenne », souligne le directeur marketing.

Sur le papier, l'offre a bien sûr du sens, d'autant que l'expérience anglo-saxonne de Fixter a semblé suffisamment convaincante pour que Renault s'offre 100 % de la start-up. « Elle a su séduire 50 000 clients outre-Manche qui ont déjà permis de facturer 3 millions de £ », soit environ 3,5 millions d'euros, calcule Limvirak Chea.

Certes. Mais à qui le client appartient-il, dès lors qu'il signe la prestation avec Fixter ? « À Fixter », confirme le président de la start-up. Et c'est peut-être là que, paradoxalement, s'entrechoquent les points forts et les points faibles du concept.

L'intérêt de Renault

Les points forts sont assez évidents. Renault, qui tient d'ailleurs à ce que Fixter garde sa propre identité, élargit ainsi son terrain de chasse pour atteindre son objectif : « Nous devons accélérer nos efforts car nous objectivons les 10 000 points de vente Motrio dans le monde d’ici trois ans », annonçait récemment Hakan Dogu, le directeur après-vente monde Renault. Et qui mieux que Fixter, appelé à se développer dans autant de pays que possible, peut permettre d'évaluer au plus fin les prospects idéaux ?

Sans compter bien sûr la très intéressante data qui dégouline de milliers de devis traités, analysée et stockée par la start-up. Renault, comme beaucoup de constructeurs, ignore encore nombre des mystères de cet IAM qui ne cesse de croître pour s'en aller atteindre 70 % du marché en 2030...

Des MRA jaloux de leurs clients

Mais la captation du client par Fixter peut aussi, en France au moins, constituer son talon d'Achille. Nos émotionnels réparateurs multimarques latins feront-ils le même accueil à la start-up que les bien plus pragmatiques ateliers anglo-saxons ultra-concurrencés ? Comment nos MRA si jaloux de leur relation avec leurs clients vont-ils accueillir une offre qui les déconnecte du consommateur tout en leur demandant de céder une partie de leur main-d’œuvre ?

Certes, Fixter reconnaît que seul les clients très urbains pourront bénéficier du service à domicile (voir encadré). Mais l'entreprise va devoir être convaincante. Tout particulièrement auprès des meilleurs MRA dont les ateliers débordent déjà et qui sont précisément ceux que veut cibler Fixter. Car c'est une évidence au moins hexagonale : les bons réparateurs sont ceux qui ont le moins besoin de nouveaux clients. Encore moins s'ils doivent en brader l'acquisition. Et surtout si ces clients ne leur appartiennent pas.

Le repoussoir de la réparation-collision

Il est vrai que, depuis longtemps, l'expérience de la réparation-collision et ses nombreuses plateformes de gestion de sinistres inspirent les mêmes espoirs de gains en coût de réparation aux apporteurs d'affaires de l'entretien-réparation mécanique. Dans l'univers multimarque de la carrosserie, c'est plus ou moins "plié". Plus de 80 % des entrées atelier y sont assujettis à l'orientation des sinistres et leur cortège de négociations en taux de main-d’œuvre et en pied de facture.

Mais chez les MRA multimarques, même les meilleurs d'entre eux concèdent seulement, et du bout des lèvres, 4 à 5 % maxi de leur activité aux "accords-flottes" et aux réparations orientées et pré-négociées. Il faut aussi reconnaître qu'en bons spécialistes du "fond de parc" VP et VUL de 5 ans et jusqu'à bien plus, ils ne croisent encore qu'à la marge des utilisateurs locataires de véhicules assujettis à des contrats de garantie ou d'entretien.

Et voilà pourtant que Fixter, sans trop y penser, veut franchir en mécanique une étape que même les gourmandes compagnies d'assurance et mutuelles n'osent même pas espérer en carrosserie : couper le réparateur d'une relation directe avec l'automobiliste, le reléguer au rang de sous-traitant en s'appropriant l’entièreté du parcours-client. Vu comme ça, « les MRA français risquent de froncer les sourcils », prédit un acteur d'une grande organisation professionnelle qui se demande quand Fixter viendra prendre conseil auprès d'elle.

Comme d'habitude, nous vous tiendrons au courant...

Fixter a encore beaucoup à prouver

Fixter peut-il vraiment inquiéter ceux qui en craignent une dépossession de leur clientèle ? L'entreprise reconnaît donc être un concept plus urbain que rural. Dans notre France aux 35 000 communes où les MRA des champs sont bien plus nombreux que les MRA des villes, la start-up sait que hors secteurs très urbanisés où un jockey peut livrer une voiture et revenir en transport en commun, il lui sera impossible de recruter des auto-entrepreneurs pour assurer le service à domicile. Elle demandera aux automobilistes d'amener eux-mêmes leurs voitures aux réparateurs référencés. Le lien avec l'utilisateur final n'y sera donc pas rompu, ce qui n'échappera pas aux rusés MRA de proximité dits "des territoires".

En outre, aussi bankable soit-elle pour Renault et aussi scalable se veuille-t-elle à l'international, Fixter a encore beaucoup à prouver. En cinq ans de déploiement au Royaume-Uni (hors les deux Irlande), Fixter n'a séduit que 400 MRA sur les 18 700 indépendants ou sous enseigne du Royaume-Uni (55 % des 34 000 points de réparation outre-Manche). Et seulement 55 000 clients sur un parc roulant de 40 millions de véhicules. Le tout, pour réaliser un chiffre d'affaires national qui, somme toute, ne représente encore que le CA annuel de... cinq MRA français moyens.

Jean-Marc Pierret
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