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Loi Agec : la filière VHU vent debout contre le décret… et les constructeurs

Romain Thirion
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Recyclage-VHU

Face au risque de déstabilisation profonde de la filière du recyclage automobile provoqué par la publication prochaine du décret d’application de la loi Agec, qui peut chambouler la viabilité des centres VHU, Mobilians vient d’éditer un livre blanc. Et entend peser de tout son poids pour ne pas être contraints de contracter avec des éco-organismes ou, pire, les systèmes individuels plébiscités par les constructeurs.

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«C’est le pot de terre contre le pot de fer.» Ainsi Patrick Poincelet, tout juste réélu président de la branche des Recycleurs de Mobilians, décrit-il la situation à laquelle fait face la filière des véhicules hors d’usage (VHU) depuis l’annonce de la publication prochaine du décret d’application de la Loi “Agec”.

Car celui-ci risque d’amener les constructeurs à complètement cornaquer les centres de recyclage automobile, pour la plupart indépendants, et à récupérer par-là même un business qui leur échappe – celui des pièces de réemploi (PRE) et de la matière issue du recyclage –et les fait encore plus saliver dans une période ou les ventes de véhicules neufs s’étiolent.

Le risque d’une filière cornaquée

Pour rappel, la Loi n°2020-105 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, votée en 2020, a inclus la filière VHU parmi les 22 soumises à la Responsabilité élargie du producteur (REP). Or, qui dit “producteur” dans le secteur automobile dit “constructeur” ou “importateur”. Et la loi oblige chaque marque de véhicules à s’organiser autour d’éco-organismes chargés d’assurer la collecte et le recyclage des VHU, ou de l’assurer elles-mêmes au-travers de systèmes individuels.

Un danger pour Patrick Poincelet et les recycleurs qu’il représente, car le cahier des charges ne serait pas unique et dépendrait de chaque système individuel. Et l’obligation de passer contrat avec eux pour continuer d’exercer transformerait de facto les entreprises indépendantes que sont aujourd’hui les centres VHU en simples prestataires de services, entièrement dépendants des marques.

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Patrick-Poincelet

Une dynamique enrayée ?

Depuis 2011 pourtant, la filière VHU est organisée selon des obligations strictes qui en font la profession automobile la plus réglementée, au contraire de nombreuses autres incluses désormais soumises à la REP. Non seulement ses centres sont soumis à un agrément ministériel VHU mais aussi à un arrêté préfectoral d’enregistrement au titre des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Raison pour laquelle « nous n’avons pas compris d’être propulsés dans cette Loi Agec au même titre que des filières qui n’étaient pas du tout organisées », déplore le président des recycleurs de Mobilians.

Avec 1 700 centres agréés VHU en France, 1,5 million de véhicules traités, 8 à 11 millions de PRE produites, la filière parvient à tenir les taux de réutilisation, de recyclage et de valorisation exigées par la Commission européenne. En effet, avec 87,1 % de réutilisation et de recyclage, elle dépasse les objectifs de la Directive 2000/53/CE. Et avec 95 % de réutilisation et de valorisation matière, elle est totalement en phase avec les seuils que le texte réclame. En outre, elle est capable de supporter 88 % de ses coûts de traitement, ce qui laisse seulement 12 % à la charge des producteurs, essentiellement dédiés à la collecte et la revalorisation des pneumatiques. Et l’avenir de la filière est prometteur, car bien que les PRE qu’elle produit ne représentent que 3 à 5 % du chiffre d’affaires pièces de rechange en France, ce marché connaît une progression à deux chiffres.

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Schema-filiere-VHU-selon-decret-AGEC

L’usine à gaz prévue par le décret

La menace que fait peser sur elle le décret est donc forte. Sous couvert de lutte contre les pratiques illégales, les casses sauvages et l’exportation illégale de quelque 500 000 véhicules qui devraient être détruits, la loi n’offre en réalité aucune solution concrète pour réduire ce business occulte. Et en renforçant le rôle des producteurs dans l’élimination desdits véhicules, elle et son décret d’application, dont la publication est prévue le 8 avril, risquent au contraire de provoquer la soumission des centres VHU agréés aux exigences des constructeurs et la probable disparition de plusieurs d’entre eux, coupés qu’ils seraient de leur approvisionnement direct en véhicules à détruire.

Car si le texte en reste là, la destruction administrative du véhicule – la suppression de sa carte crise et donc de son autorisation de circuler – ne serait plus la prérogative des centres VHU mais d’éco-organismes financés de façon paritaire par les constructeurs et importateurs ou de systèmes individuels mis en place par chaque marque de véhicule (voir schéma ci-contre). Et pour conserver leurs agréments et le droit de détruire physiquement les véhicules – donc le droit d’exister tout court – les recycleurs seraient contraints de passer par des appels d’offres et de contracter directement avec eux…

«L’aberration» des systèmes individuels

Comme toujours peu enclins à s’accorder autour de règles communes, quand bien même seraient-elles nécessaires à la création d’éco-organismes, les constructeurs privilégient naturellement le système individuel face à l’opportunité de récupérer la manne générée par les PRE, les composants – surtout à l’ère du véhicule électrique des batteries coûteuses – et la matière extraite des véhicules détruits. Or, Mobilians relève plusieurs écueils liés à ces systèmes “propriétaires”, qui induisent «un virage à 180° par rapport à l’esprit de la règlementation actuelle» selon Patrick Poincelet.

D’abord, ils nuiraient à l’aspiration généraliste des VHU et les soumettrait à des règles particulières à chaque marque, ce qui serait difficilement gérable et s’avèrerait d’autant plus anti-concurrentiel qu’il interdirait à chaque centre de commercialiser librement le produit de son travail, qu’il s’agisse de PRE ou de matière. Ensuite, ce fonctionnement marque par marque obligerait à redistribuer chaque véhicule dans le bon centre, augmentant ainsi considérablement le bilan carbone de chaque VHU, aujourd’hui principalement détruit dans sa zone de circulation. Enfin, le coût du transport des véhicules s’ajouterait à l’ensemble des charges pesant sur les producteurs pour remplir leurs obligations liées à la REP.

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Schema-filiere-VHU-propose-par-Mobilians

L’éco-organisme financier privilégié

Autant de corollaires contraires aux principes de l’économie circulaire et du développement durable. Quant à la dissociation entre destruction administrative et destruction physique du véhicule, elle ne ferait que compromettre la traçabilité des véhicules et nuire à l’identification du responsable du véhicule, comme avant la mise en place du fichier SIV. C’est pourquoi Mobilians entend convaincre le Ministère de la Transition écologique de privilégier la seule mise en place d’éco-organismes financiers (voir schéma ci-contre), qui constitueraient un second flux de véhicules hors d’usage, et non le principal, puisque les centres VHU conserveraient l’initiative de l’émission d’une déclaration d’achat pour destruction (DAD). Pourquoi financiers? Parce qu’ils n’auraient rien d’opérationnel et ne seraient chargés que d’assurer une compensation pécuniaire à la filière en cas de déséquilibre économique, à l’image de ce qui se pratique dans la filière électro-ménager.

Mais Mobilians propose aussi d’autres termes pour améliorer le décret d’application et ses objectifs. Notamment :

  • une obligation de production de pièces destinées à la réutilisation par les centres VHU agréés avec un objectif chiffré
  • le maintien des approvisionnements directs desdits centres
  • le renforcement du principe selon lequel le véhicule devient VHU sous le contrôle du centre agréé par l’émission d’une DAD ou d’une déclaration d’intention de destruction
  • la subordination de la signature du contrat entre éco-organismes financiers et centres VHU agréés uniquement au respect d’un cahier des charges technique, et non à un appel d’offre.
Romain Thirion
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